Accueil Culture L’artiste peintre Rafika Dhrif n’est plus: Une démarche picturale qui intègre le désir de vivre, l’émotion créative et les fantasmes de la mémoire imagée

L’artiste peintre Rafika Dhrif n’est plus: Une démarche picturale qui intègre le désir de vivre, l’émotion créative et les fantasmes de la mémoire imagée

Par Khélil GOUIA|

L’artiste peintre Rafika Dhrif nous quitte pour un monde meilleur à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Une artiste aux aspirations qui ont marqué toute une génération, celle des professeurs pionniers qui ont contribué à construire la scène plastique tunisienne, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle et au début du millénaire. L’artiste décédée a laissé un malaise dans l’âme de ses collègues et anciens élèves. Elle a été un exemple dans le travail culturel, la participation créatrice, la représentation des valeurs d’honnêteté, la croyance profonde en la patrie, l’aide aux jeunes, l’ouverture de l’art au quotidien social et les potentiels créatifs inspirés du vécu collectif. A cet égard, il est opportun d’envisager les valeurs esthétiques les plus resplendissantes dans cette démarche picturale submergée d’émotion et de créativité…

L’expérience esthétique de Rafika Dhrif  a brillé et ses traits se sont épanouis après avoir effectué sa mission pédagogique de professeur d’arts plastiques de 1961 à 1993 et ​​consacré son temps à la peinture à l’huile. Après ses études à l’Ecole des Beaux-arts de Tunis et son diplôme de l’Ecole des arts plastiques de Paris, elle a enrichi le paysage culturel par quelques expositions personnelles et plusieurs participations rayonnantes aux expositions collectives phares, notamment à Tunis et à Paris. Parallèlement, elle a remporté le prix Louis-Jules Dumoulin à Paris en 1972.

Bien que les grandes caractéristiques de cette expérience se soient épanouies au cours des dernières décennies, elle n’a pas mené sa création via une démarche typique et ne s’est pas impliquée dans une hypostase stylistique particulière. Ses œuvres témoignent de stades séparés et d’un processus ouvert qui profite des inspirations de l’art moderne, mais aussi d’une tentative de ressaisir toute la tradition moderne dans une vision subjective, dotée d’un savoir académique et surtout imprégnée d’aspects créatifs et de valeurs innovatrices. De ce fait, découlent ses enjeux transgressifs contre la stagnation. Il s’agit, bel et bien, d’une vision esthétique profondément ancrée dans le Moderne, mais fluctuante d’un état à l’autre et ne connaît pas la stabilité. Chaque peinture est une renaissance de la démarche de cet artiste. Chaque naissance est un bond en avant vers un avenir plein de mystère. Sa participation annuelle à l’exposition de l’Union des artistes plasticiens tunisiens n’est rien d’autre que cette visée. Rafika Dhrif  a investi dans sa vaste expérience académique, mais elle ne s’est pas limitée à ce niveau pour servir un programme esthétique impliquant un projet expressionniste progressiste. Chaque tableau représente un déni du précédent et une rupture de l’horizon de l’attente qui nous imprime. De même, l’art chez Rafika Dhrif est une transgression perpétuelle des accumulations du moi créateur et de ses acquis antérieurs, dans la mesure où elles dépassent nos attentes.

Dans une peinture intitulée «Untitled» (2000), le pinceau cache un trait semi-surréaliste qui exprime une expérience de dessin et s’appuie sur des structures anatomiques étudiées. Quant à la toile «Manipulation» (2001), elle dépendait du dessin analytique. Et si le sujet est venu suggérer un caractère statique (Nature morte), il a semblé ému par la vibration des lignes originales. Le recours aux lignes était explicite et central dans le fait de mouvoir ce qui est statique et d’activer la perception de l’espace, tout en reliant les éléments de l’objet. Ainsi, la prédominance de la palette monochromatique qui se rapporte à l’illumination d’un bleu énigmatique dans nombre de ses nuances avait une forte présence… Cette économie chromatique est due, à nouveau, à la glorification du dessin et non à diminuer sa présence austère à travers l’exubérance de la couleur. Dans cette mesure, l’artiste est une peintre essentiellement linéaire qui s’appuie sur une intelligence mentale structurante dans la saisie de ses sujets.

Au contraire, le tableau «Amnesia» (2003) transcende cette mémoire imagée à travers une autre variété de sujets imprégnés d’affection qui résistent à la division mentale et académique de l’espace. Dans une telle optique, les manifestations de la féminité se situent entre des lignes légères, des couleurs saturées et éclatantes (bleu, orangé, écarlate …) entrecoupées de touches blanches translucides qui assurent le lien entre ces sensibilités chromatiques froides et chaudes.

Dans sa peinture «The City» (2002), Rafika Dhrif s’est appuyé sur une genèse géométrique équilibrée de l’espace architectural. La ville s’est manifestée comme une structure scénique non narrative qui investit dans les éléments du ciel, de la verdure et des blocs architecturaux ouverts inspirés de l’architecture de l’ancienne Médina de Tunis ou de Mahdia (dômes, minarets et textures architecturales entrelacées). Cette géométrie est basée sur l’équilibre optique et la luminosité qui resplendit au fond de la composition et bien évidemment au centre du tableau (la profondeur des ruelles, le labyrinthe des structures architecturales …). Il n’y a pas de personnages, les signes architecturaux et plastiques sont capables de revitaliser l’espace et d’animer le tissu des éléments sans avoir besoin des personnages, cette fois-ci. Cela contraste avec le tableau «Le Cœur de la Ville» (2007), où l’artiste peintre a incorporé des figures comme des éléments activateurs dans une vaste texture de touches et de lignes … A cet égard, l’artiste n’a pas été impliqué dans la configuration naïve de la Médina qui a été largement adoptée par les peintres de l’art brut… La peinture de Rafika Dhrif  est une peinture intellectuelle, savante, basée sur des valeurs académiques modernistes, malgré sa tendance à transcender ses bases et à se rebeller de ses acquis personnels.

Telles sont quelques-unes des valeurs qui régissent cette démarche digne d’un regard pensif. Un processus de création ambitieux qui ouvre la voie sur l’imprévu, Une artiste qui profite d’une nouvelle naissance à chaque tableau qu’elle peint, toujours annonçant des aventures pleines de précipitation. Il s’agit, justement, d’une expérience aspirante qui n’a aucune décision que de rêver et de surmonter… Paix à son âme.

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