Souad Ben Abderrahim, maire de la Ville de Tunis, à La Presse : « 2.500 immeubles menaçant ruine représentent un réel danger ! »

En remportant, il y a trois ans, les élections municipales qui la propulsent à la tête de la municipalité de Tunis, Souad Ben Abderrahim sait pertinemment que la tâche ne sera pas facile pour elle. Le challenge est double pour cette pharmacienne de formation qui porte la casquette d’Ennahdha et qui n’a pas peur des défis, dès lors que l’élection d’une femme à la tête de la municipalité de Tunis a vite fait de susciter les hostilités dans les sphères conservatrices pour qui le titre de «Cheikh El Medina» a toujours été réservé aux hommes. Il en faut bien plus pour refroidir les ambitions de Souad Ben Abderrahim qui met les bouchées doubles et se jette à corps perdu dans le travail pour conserver le prestige de la municipalité de Tunis et faire de celle-ci une ville où il fait bon vivre malgré les points d’étranglement routiers et la dégradation de la propreté depuis le début de la révolution.  Trois ans après, la maire de Tunis, qui a su garder la tête froide en dépit des difficultés et des conditions difficiles dans lesquelles elle exerce ses fonctions à la tête de la municipalité de Tunis, vient de se lancer dans une série de projets municipaux dont certains étaient à l’arrêt à cause de la pandémie. L’un d’eux lui tient particulièrement à cœur: l’ouverture de la ville de Tunis sur son espace maritime. A mi-chemin de son mandat, elle a bien voulu nous dresser un bilan de ses activités. Entretien.

Vous êtes la première femme à être élue à la tête de la municipalité de Tunis. Il s’agit d’un double challenge pour vous. Trois ans après, quel  est votre bilan  à la tête de la commune de Tunis?

C’est une fierté pour la femme tunisienne de remporter les élections municipales. C’est la première fois après 160 ans de pouvoir et d’autorité masculine qu’une femme préside la municipalité de Tunis. Etre une femme et être élue à la tête de la municipalité de Tunis a représenté pour moi un double défi. Cela n’a pas été évident ni facile au début. Le titre qui a été toujours réservé  exclusivement aux hommes et qui est attribué pour la première fois à une femme a suscité, en effet, une vive polémique. Cette fonction a toujours été réservée aux hommes. Le fait que le titre de Cheikh El Médina soit attribué à une femme a été mal accepté et a suscité des critiques. Des voix se sont élevées contre l’attribution de ce titre à une femme. Ce défi a été une source de motivation pour moi et m’a incitée à redoubler d’efforts et à travailler davantage pour satisfaire les citoyens et les visiteurs de la ville de Tunis. En dépit des conditions difficiles  dans lesquelles j’ai pris mes fonctions, nous avons identifié et mis en place de nombreux programmes et projets. 2019 a été une année fructueuse pour le conseil municipal de la ville de Tunis qui a pris la décision de démarrer et de mettre en œuvre plusieurs projets dans divers domaines: aménagement de routes, de terrains de jeux dans les cités, d’espaces verts, restructuration de l’administration au sein de la municipalité, car le maire de la commune est également le premier responsable du conseil municipal et  de l’administration au sein de la municipalité. Le démarrage de ma mission a coincidé avec la fin de la période des délégations spéciales, qui a été une période particulièrement difficile caractérisée par un vide au sein des municipalités qui n’avaient pas de conseils municipaux. Dès le début de l’année de mon élection à la tête de la mairie de Tunis, nous avons pu constater l’absence d’une stratégie de développement de la ville et d’une vision dans la gestion des affaires d’une capitale. C’est pourquoi nous avons.pris le taureau par les cornes en identifiant et en procédant au lancement de projets la même année car notre objectif était d’accélérer leur mise en œuvre et d’éviter les obstacles d’ordre bureaucratique et administratif qui pourraient retarder et entraver leur mise en œuvre.  Nous avons commencé par le programme des marchés  hebdomadaires et des souks qui ont été ciblés par des actions de réorganisation et de réhabilitation malgré la présence des vendeurs ambulants. Nous avons  eu à gérer également un grand problème qui ne cesse de donner du fil à retordre aux municipalités: celui des étals anarchiques qui sont partout et qui ont envahi pratiquement toutes les rues  et les artères du centre-ville. Nous avons trouvé, certes, des difficultés pour mettre à exécution les décisions relatives au démantèlement des étals anarchiques en raison du fait que les outils de mise en application de ces dernières font cruellement défaut au sein de la municipalité. Nous remercions la police municipale pour ses efforts constants mais la mise en application de ces campagnes de lutte contre les étals anarchiques que nous menons au quotidien recquiert une coordination à l’avance avec ce corps de police, ce qui n’est pas toujours évident dès lors qu’ils ne sont pas toujours disponibles du fait de leurs autres tâches et prérogatives. Quant à la police de l’environnement, qui opère dans des domaines d’intervention bien déterminés, nous avons identifié et mis en place un programme précis pour ce corps de la police.

Je tiens à dire que l’année 2019 a été exceptionnelle à plus d’un titre pour nous. Le plus grand appel d’offres pour les routes a été lancé au cours de cette année et les projets relatifs à leur réalisation se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Nous nous sommes également intéressés et nous avons œuvré pour le lancement de projets à caractère participatif qui ont été proposés par des habitants des arrondissements qui relèvent de la ville de Tunis. Nous opérons, en effet, dans un espace ouvert, nous organisons des séances de travail dans lesdits arrondissements et nous étudions le contenu de ces propositions de projets en fonction bien sûr du budget dont nous disposons. Nous procédons à la sélection des projets en fonction des voix qu’ils ont collectées au sein des réunions et en fonction du budget réservé à la zone municipale concernée. Nous avons également renforcé le matériel destiné à la propreté de la ville de Tunis en faisant l’acquisition de nouveaux équipements. Nous avons remarqué que la propreté de la ville de Tunis n’a cessé de se dégrader depuis 2011. Le recrutement d’un nombre élevé d’agents a pesé lourdement sur la masse salariale de la commune et a eu des répercussions négatives sur le rendement municipal. La plupart de ces agents chargés de la propreté sont relativement âgés, ce qui nous a conduits à faire appel  et à réquisionner dès que cela a été possible dans d’autres services et d’autres départements afin de pouvoir assurer la propreté de la ville de Tunis. Nous ne sommes pas totalement satisfaits de la qualité des interventions et du rendement dans ce domaine et c’est pour cela que nous veillons constamment à l’améliorer,  et ce, dans la mesure du possible.

En parallèle à la gestion opérationnelle et du quotidien nous avons œuvré en partenariat avec nos amis dans le cadre de la coopération internationale de lancer un projet stratégique  pour l’elaboration du projet Tunis Asima et la Stratégie de la ville de Tunis Tunis 2030 avec un financement de 2,8 millions d’euros qui va dessiner le developpenent multisectoriel  de la ville de Tunis.

Je présume que vous bouillionniez de projets en arrivant à la tête de la municipalité de Tunis… Avez-vous atteint vos objectifs?

Il est indéniable que les  conditions sont difficiles et que les difficultés ont été nombreuses et pas seulement pour la municipalité de Tunis. Aujourd’hui, il est possible de constater un grand retard et un blocage dans plusieurs domaines et secteurs. Nous faisons en sorte au niveau de la municipalité de surmonter les difficultés rencontrées. L’année 2020 a été très difficile pour nous au niveau de la municipalité de Tunis. Nous nous sommes engagés dans la lutte contre le coronavirus en mobilisant les ressources et les équipements nécessaires sachant que nous manquons de moyens. Le budget municipal est indépendant. Il est financé par les recettes de la municipalité et de celles provenant de nos partenaires. Le confinement sanitaire a eu des répercussions négatives sur les ressources de la municipalité de Tunis. Si les projets que nous avons identifiés en 2019 ont bien avancé, ceux approuvés en 2020 ont pris du retard et viennent à peine de démarrer. Nous avons établi des programmes d’action à court, moyen et long terme. Nous avons démarré dans l’étude des projets à court terme. S’agissant des projets à moyen et à long terme, nous veillons à ce qu’ils s’appuient sur des bases solides et nous avons démarré les études y afférentes. Nous avons deux grands projets qui, nous l’espérons, verront le jour, en l’occurence l’ouverture de la ville de Tunis sur son espace maritime. Nous avons soumis une étude préliminaire à la Présidence de la République, à la présidence du gouvernement et aux différents ministères concernés par ce projet : les ministères de l’Equipement, du Transport, des Domaines de l’Etat, et le ministère des Collectivités locales. J’ai également présenté un projet  à caractère culturel qui devra voir le jour à Montfleury.

Etre à la tête de la ville de Tunis, vous a placé face à de nombreux défis et problèmes à résoudre dont celui du stationnement dans la capitale. Malgré l’existence de parkings privés et municipaux payants et l’aménagement de zones bleues, trouver une place de statinnement dans le centre-ville relève du parcours du combattant.

De surcroît les tarifs municipaux de stationnement ont augmenté. Avez-vous prévu d’aménager de nouvelles zones bleues ou de construire de nouveaux parkings municipaux?

L’organisation de la circulation routière dans la ville de Tunis relève effectivement de la municipalité. Nous avons présenté à deux occasions des appels d’offres à des investisseurs privés spécialisés dans l’aménagement des aires de stationnement. pour réaliser des parkings à étages. Nous n’avons eu aucune proposition dans ce sens car ce projet dans le centre-ville de Tunis n’est pas du tout rentable pour ces investisseurs. Avec les moyens dont elle dispose, la municipalité ne peut pas construire des parkings à étages répondant aux normes requises. Vous savez combien il y a de voitures qui circulent dans la capitale?Il y a environ un million de véhicules et deux millions qui circulent quotidiennement dans la capitale. Leur gestion est difficile et complexe et il est difficile pour les propriétaires de ces véhicules de trouver une place de stationnement. Nous avons aussi des parkings vides. Ils se trouvent dans des zones un peu éloignées du centre-ville à l’instar des Berges du Lac et couvrent à peine la moitié de leur capacité d’accueil. S’agissant des parkings du centre-ville, nous sous-traitons la gestion des aires de stationnement dans le cadre d’un partenariat avec des concessionnaires privés à qui nous avons même proposé d’exploiter une partie pour l’usage bureautique et commercial   afin que cela puisse être plus rentable pour eux. Mais nous n’avons reçu aucun appel d’offres. Les contrats de concession que nous avons conclus par le passé prévoient une augmentation annuelle du tarif de stationnement. Or cette clause n’a pas été respectée par la municipalité de Tunis. Durant des années, le tarif de stationnement est demeuré inchangé, ce qui a conduit certains concessionnaires privés à déposer plainte contre la municipalité de Tunis pour non-respect de cette clause. Ces derniers exigent, en effet, une forte augmentation du tarif, ce que nous n’avons pas accepté mais tout en essayant de trouver, toutefois, un terrain d’entente. Nous avons finalement augmenté le tarif de stationnement mais à un coût qui est en -deçà des exigences des concessionnaires qui gèrent ces aires de stationnement. Vu que cela n’est pas rentable pour eux, ces derniers ne veulent plus investir aujourd’hui dans l’aménagement et la gestion de parkings dans la capitale. Nous avons tenté de trouver des solutions pour résoudre cet épineux problème du stationnement dans le centre-ville et nous nous sommes même intéressés aux particuliers qui sont en possession de terrains qu’ils ont transformés illégalement en aires de stationnement afin de les exploiter à leur prore compte sans autorisation. Nous avons décidé d’inviter ceux parmi eux qui sont détenteurs d’un titre de propriété et ayant un contrat de location et qui se trouvent hors des zones d’influence des concessionnaires privés dans le but de leur délivrer une autorisation  leur permettant d’exploiter légalement ces aires de stationnement.

Vous venez de lancer deux grandes opérations lifting qui ont redonné un coup de neuf au jardin du Passage et au faubourg de Bab Souika. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces deux projets de réhabilitation?

Nous nous sommes rendu compte au cours d’une visite de terrain à Bab Souika que la forte densification urbaine de ce faubourg a conduit à son asphyxie, accentuée par la désorganisation du trafic routier dans cette partie de la Médina. En effet, le flux de la circulation est dense à ce niveau où les voitures stationnent en seconde et troisième position… Depuis les années 90, il n’ya pas eu de nouvelle réhabilitation et de restauration de ce faubourg, qui a perdu son lustre d’antan et qui est devenu un point d’étranglement routier. Notre objectif est de réorganiser  le stationnement des voitures tout en préservant le cachet architectural et historique de Bab Souika. Ce projet comporte également parmi ses composantes l’aménagement d’une aire de stationnement,  d’un  petit théâtre  pour abriter des activités culturelles et de loisirs et l’installation de faisceaux de lumières artistiques. Dans le même esprit et dans la continuité de cette action, nous prévoyons de réhabiliter également la Place de la République dont le coût des travaux prévus s’élève à 800.000 dinars. S’agissant du projet de réhabilitation du jardin du Passage, nous avons restauré le réseau de l’éclairage public, installé de nouveaux équipements, rénové la voirie et nous avons de nouveau fait fonctionner la fontaine…Nous avons fait appel à un paysagiste à qui nous avons soumis notre conception du nouvel aménagement paysager de ce jardin pour la réalisation de travaux d’embellissement. Il faut savoir que ce jardin était un cimetière en 1959, les dépouilles ont été transférés au cimetière du Borgel et le cimetière a été depuis transformé en jardin qui est devenu le poumon vert du centre-ville. Nous avons procédé également à la rénovation de la Place Ibn-Khaldoun et à l’embellissement des entrées des arrondissements communaux.

Après Bab Souika, y a-t-il d’autres projets de réhabilitation?

Le projet de rénovation de la Place de l’Indépendance vient d’être achevé. Nous allons démarrer le projet de réhabilitation de la Place de la République et les prochaines vacances de printemps coincideront avec la fin des travaux des projets de restauration de Bab Souika et du Belvédère. Le centre de Bir Lahjar rouvrira ses portes au cours du mois de Ramadan. Nous avons conféré, par ailleurs, une nouvelle fonctionnalité à l‘espace culturel Saint-Croix qui se trouve à proximité de la Mosquée d’Ezitouna. Grâce à un don italien, nous avons démarré la seconde  phase de restauration qui inclut l’ancienne église pour la reconvertir en un espace événementiel polyvalent.

Qu’en est-il des espaces verts?

Nous avons un plan vert qui prévoit d’aménager davantage d’espaces verts et de parcours de santé en réorganisant le couvert végétal dont nous disposons. A titre d’exemple, prenons le cas de la forêt de Sijoumi. C’est une forêt qui est abandonnée et délaissée et qui est privée d’éclairage. Nous allons aménager un parcours de santé dans cette forêt qui sera prêt pour les vacances de printemps. Nous avons procédé à la rénovation de parcours de santé anciens que nous avons doté d’équipement et d’aires de jeux au Belvédère, à El Kabbaria, à El Hrairia…. Aménager un parcours de santé dans chaque arrondissement répond à un de nos principaux objectifs et s’inscrit dans  objectif. Nous avons 15 arrondissements municipaux, des terrains de sport dans les cités. Il est important de doter également ces parcours de santé de l’éclairage car ils finissent par devenir des points noirs infréquentables sans éclairage public. Dans notre programme, des coachs conseillent les citoyens.

Nous avons entamé également des discussions avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement depuis une année pour préparer l’adhésion de la ville de Tunis au programme villes vertes et nous avons aujourd’hui  une équipe d’experts mandatés par la banque qui travaillent avec nos équipes sur le sujet.

Plusieurs grands projets n’ont pas du tout démarré ou avancé. Citons, entre autres, le projet d’aménagement du Centre d’art contemporain dans la zone de Montfleury, le projet de l’Hôtel Union des radios des Etats arabes, le projet de la gare multimodale de la sation Barcelone et le projet de mise ne valeur de la lagune de Sijoumi.

Pouvez-vous nous présenter ces projets un par un et nous expliquer les raisons du retard observé?

Le Centre d’art contemporain est un projet culturel qui sera aménagé dans la cité de Montfleury. Il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat public-privé. Il s’agit, par ailleurs, de reconvertir les anciens abattoirs de  la ville de Tunis en espaces culturels. Mais nous devons résoudre les problèmes fonciers qui y sont liés. Nous avons même proposé au ministère des Domaines  de l’Etat  et des Affaires foncières de faciliter les procédures pour  pouvoir accélérer les projets de rénovation et de reconvertion de ces espaces en espaces culturels. En ce qui concerne le projet de Sebkhet Sijoumi, il ne relève pas de la municipalité de Tunis. Nous avons présenté notre conception de l’ouverture de la Ville de Tunis sur son espace maritime et qui concerne l’entrée de Tunis au niveau du TGM. Nous voulons prolonger l’avenue Habib-Bouguiba jusqu’à la mer mais il y a des obstacles d’ordre administratif et foncier. Ce Projet devrait être intégré dans la stratégie de la ville de Tunis qu’on est en train  d’élaborer .

Des lacunes et des défaillances ont été observées au niveau des abattoirs municipaux qui sont fonctionnels. Avez-vous pris des mesures pour y pallier?

Nous procédons à des campagnes d’inspection et de contrôle des abattoirs de Tunis. De grands dépassements ont été observés. Il y a un nombre peu élevé qui font l’objet de contrôle. Nous avons un vétérinaire relevant de la municipalité qui assure le contrôle des bêtes et des viandes rouges qui entrent et sortent de ces abattoirs. Mais beaucoup procèdent à l’abattage de leurs bêtes en dehors des abattoirs municipaux et ils sont difficiles à contrôler. Or dès que nous procédons à des campagnes de lutte contre l’abattage anarchique, des voix s’élèvent  et rendent difficile l’application de la loi.

Aujourd’hui la plupart des cimetières dans la ville de Tunis sont saturés…

Il est vrai que les cimetières sont saturés. Nous avons adressé un courrier au ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières dans lequel nous avons proposé d’aménager un nouveau cimetière sur un  terrain de la zone d’El Hraïria. Le cimetière de Sidi Yahia est fermé et saturé. L’ouverture de nouvelles tombes peut se faire uniquement  huit ans  après la précédente inhumation, conformément à la loi dans ce cimetière. Nous prévoyons des travaux d’extension dans la zone haute du cimetière du Jellaz. Il y a une véritable pression aujourd’hui  sur les cimetières. Il est effectivement temps de penser à en  aménager de nouveaux.

Un homme d’affaires aurait vendu illégament en 2019  à des privés un terrain appartenant à la municipalité de Tunis et qui est située dans la zone des Berges du Lac. Avez-vous saisi la justice?

L’affaire ne concerne pas un lot de terrain appartenant à la municipalité de Tunis mais plutôt un fonds de commerce privé — le Flamingo Centre — où se trouve un espace extérieur qui le jouxte et qui est un parking dont nous percevons les droits d’exploitation. Or, des structures ont été érigées et construites illégalement. Une enquête est en cours. Il y a des décisions qui ont été prises dont un arrêté de démolition par la municipalité et nous avons même entamé une action en justice contre le contrevenant.

Bien que la muicipalité de Tunis œuvre à rendre la capitale plus belle sous votre houlette, la Ville de Tunis souffre du manque d’espaces de loisirs pour les enfants dont la distraction ne semble pas être une priorité pour la commune…

C’est vrai qu’il n’y a pas suffisamment d’espaces de loisirs destinés aux enfants dans les arrondissements municipaux et les zones relevant de la municipalité de Tunis. Nous encourageons et nous appuyons les initiatives privées dans ce domaine. Dans les jardins d’enfants  municipaux, il y a des aires de jeux, des clubs….Quant aux  maisons de  la culture et des jeunes, elles ne relèvent pas de la municipalité de Tunis. Nous avons organisé  en 2019 des manifestations culturelles, des activités culturelles dans les maisons des jeunes des arrondissements municipaux.  Nous avons aménagé des terrains de sport dans les cités. Il va y  avoir une extension du terrain de tennis d’Alain Savary qui relève de la municipalité de Tunis où d’autres jeux vont être introduits. Il faut savoir que je ne peux ni exploiter ou aménager un terrain dans une zone ou une cité comme je le veux. Juridiquement, ce dernier ne nous appartient pas et relève des Domaine de l’Etat. Il faut s’assurer du titre foncier et il y a des procédures administratives complexes.

La police de l’environnement est de moins en moins visible. Nous ne voyons plus les véhicules de ce corps de police  sillonner la capitale et les zones périurbaines. Cette dernière est  même accusée de marcher sur les plates-bandes de la police municipale….

Oui il est vrai que les prérogatives de la police de l’environnement et de la police municipale se chevauchent parfois. Si la police de l’environnement était si visible au début de sa création c’est parce qu’elle a participé à des événements médiatisés tandis qu’aujourd’hui, elle est très active sur le terrain loin des feux des projecteurs.

De nouveaux véhicules viennent d’être remis à la police de l’environnement pour faciliter sa tâche  et conférer de la célérité à ses interventions sur le terrain. Aujourd’hui, les deux corps de police assurent leurs fonctions sans que l’une n’empiète sur les prérogatives de l’autre. Les agents de la police de l’environnement opèrent dans les domaines de la protection de l’environnement et de la protection de la santé des citoyens dans les commerces et les espaces ouverts au grand public. Ils constatent et relèvent les infractions environnementales comme le fait de se débarasser et de jeter les déchets de démolition et les remblais dans la nature ou sur la voie publique. Nous déployons beaucoup d’efforts pour sévir contre ceux qui jettent les déchets de démolition n’importe où et pour venir à bout de ces déchets.

Nous avons l’impression que la loi relative aux délits et aux infractions commises par les personnes qui se débarrassent des déchets de démolition sur la voie publique n’est pas toujours appliquée et que la municipalité laisse faire et tarde à prendre des sanctions à leur encontre…

Ce n’est pas la volonté qui manque mais il est difficile de prendre en flagrant délit des citoyens ou des particuliers qui se débarrassent de leurs déchets de démolition sur la voie publique. Une réunion s’est tenue la semiane dernière sur ce sujet avec le gouverneur de Tunis. Nous avons évoqué  le dépotoir contrôlé d’El Kharouba réservé aux déchets de démolition et qui a été fermé à cause d’un différend d’ordre juridique qui oppose la société des ciments à un privé. Suite à la fermeture de ce dépotoir,  le déversement anarchique des déchets de démolition a repris de plus belle. La municipalité prévoit d’aménager un nouveau dépotoir à El Ouardia pour la collecte de ces déchets.

La police de l’environnement ne semble pas être suffisamment efficace…

Il ne faut pas s’attendre avec l’affectation de soixante agents dans 15 arrondissements à ce que tous les délits environnementaux soient punis. Il n’y a pas suffisamment de voitures réservées  à la police de l’environnement, sachant que nous disposons de seulement quatre véhicules pour la municipalité de Tunis. Afin de les rendre plus efficaces sur le terrain, ils ont été répartis équitablement entre les arrondissements où ils ont été affectés pour contrôler les espaces ouverts au grand public.

Il y a aussi le problème de la police municipale qui ne relève pas de la municipalité mais du ministère de l’Intérieur…

Les agents de la police municipales doivent veiller à l’application des décisions émanant de la municipalité. Or, aujourd’hui, l’application de la loi se heurte à des obstacles, d’une part, à cause des condition socioéconomiques difficiles des catégories vulnérables et, d’autre part, en raison du flou qui entoure la relation qui lie la police municipale à la commune en plus du fait que leur nombre est insuffisant. Alors que la décision municipale relative à la démolition de constructions anarchiques, au délogement de squatteurs ou d’habitants dans un immeuble qui menace ruine, au démantèlement  des étals anarchiques… devrait être appliquée rapidement, c’est le contraire qui se passe. Nous sommes dans l’obligation de changer et de modifier le programme et le calendrier d’intervention de la police municipale en fonction de leur propre disponibilité car ils ne travaillent pas seulement pour le compte de la municipalité. Ils peuvent être affectés, en effet, à d’autres tâches attribuées par le ministère dont ils relèvent. La Fédération nationale des villes tunisiennes se penche actuellement sur l’étude des prérogatives et des champs d’intervention de la police municipale et de la police de l’environnement.

Les décisions de démolition des constructions anarchiques accusent pour la majorité un grand retard. Pour quelles raisons?

C’est la municipalité qui prend les différentes décisions relatives à la démolition des constructions anarchiques, au démantèlement, au délogement des immeubles menaçant ruine… Le secrétariat général de la municipalité est chargé de coordonner l’application de ces décisions avec la police municipale. La responsabilité est partagée entre l’autorité qui prend la décision, en l’occurence la municipalité, et celle qui applique cette décision, à savoir la police municipale. Je vous explique comment cela se passe. Nous prenons une décision municipale et nous en informons la police municipale qui attend que la date de l’intervention soit fixée. C’est à ce niveau que des malentendus ont tendance à surgir. Ils sont d’ailleurs à l’origine du retard observé dans l’application des décisions municipales. Chacun attend que l’autre fixe la date d’intervention pour l’application de la décision municipale. Nous avons tiré les choses au clair en expliquant à la police municipale que c’est à elle de fixer les dates d’intervention en fonction de sa disponibilité et de son programme et que notre rôle à nous consiste à lui fournir les équipements nécessaires pour son intervention. Mais il faut savoir aussi que dans certains arrondissements municipaux, l’application des décisions municipales est rendue difficile à cause du manque de véhicules. 

Avez-vous trouvé une solution au problème des vendeurs ambulants qui ont pignon sur rue dans les artères du centre-ville?

Il est vrai qu’ils sont partout. Les étals anarchiques représentent un grand problème pour la municipalité de Tunis. L’espace  couvert de Mongi-Slim a été réhabilité pour accueillir les vendeurs ambulants. Un autre espace à El Omrane Supérieur devra  également les accueillir. Il comporte 300 points de vente.

De nombreux immeubles se trouvant dans un état de dégradation avancé menacent de s’effondrer et représentent un véritable danger pour les citoyens….

Les immeubles menaçant ruine figurent parmi les problèmes les plus complexes et les plus épineux  que nous avons eu à traiter au sein de  la municipalité de Tunis. C’est la municipalité de Tunis qui prend les décisions d’évacuation. Les autorités régionales sont appelées à les mettre en application. Le problème qui se pose est le suivant: qui va prendre en charge les familles qui ont été délogées? Le gouvernorat, le ministère des Affaires sociales ou la municipalité…? Qui va prendre en charge le coût des travaux de démolition? Un projet de loi à ce sujet a été élaboré et soumis à l’ARP mais il n’a toujours pas été approuvé. Actuellement, 2.500 immeubles menacent ruine et représentent un réel danger pour les citoyens. Notre rôle est d’installer, entre autres, des panneaux pour signaler le risque d’effondrement. Concernant les immeubles qui appartiennent à des privés et qui représentent un danger, nous leur signalons qu’ils doivent procéder à des travaux d’entretien et de rénovation. Or, ces derniers refusent généralement de le faire car le coût des travaux est élevé en comparaison des loyers dérisoires qu’ils perçoivent… Ils savent qu’une fois les travaux de restauration achevés, ils vont devoir de nouveau y reloger les familles qui les occupaient. C’est pour cette raison qu’ils préfèrent les laisser dans cet état.

Alors que les villes écologiques et durables ont de plus en plus la cote dans le monde, le transport écologique et vert ne semble pas s’être suffisamment développé dans les zones relevant de la municipalité de Tunis, en raison, entre autres de l’absence de pistes cyclables dans les cités et les quartiers. Par ailleurs, la municipalité de Tunis semble avoir échoué à transformer l’avenue Habib-Bourguiba en zone exclusivement piétonne..

Dans un futur proche, concernant les nouvelles divisions,  l’octroi des autorisations de bâtir aux promoteurs immobiliers devra être soumis aux conditions suivantes: la présence de pistes cyclables, le recours à l’énergie photovoltaïque, l’aménagement de citernes sur les habitations pour la collecte des eaux pluviales, l’aménagement d’espaces verts… Notre optique est de promouvoir un environement sain et durable. Sinon nous avons organisé des dimanches sans voiture sur l’avenue de Habib-Bourguiba. Rendre cette artère exclusivement piétonne en en modifiant le modèle routier ne relève, par contre, pas de nos prérogatives.

Le fait que le conseil municipal soit constitué de plusieurs couleurs politiques qui peuvent faire naître des désaccords entre les membres de ce conseil ne constitue-t-il pas un obstacle  pour la bonne gestion des projets municipaux? On parle de tension entre vous et votre principal concurrent, Kamel Idir….

Le conseil municipal de Tunis comprend 60 membres. Nous avons fait la promesse de constituer une seule équipe malgré les différentes couleurs politiques qui existent  et qui sont représentées dans ce conseil. Nous avons réussi à surmonter nos différences politiques et nous sommes passés de l’esprit de concurrence à l’esprit d’équipe pour un objectif unique, celui de nous mettre au service des citoyens. D’ailleurs, nous nous sommes réparti les tâches et les responsabilités au sein du conseil municipal et nous essayons de rapprocher nos points de vue. Si nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur un projet donné, nous faisons appel au processus démocratique en procédant au vote. 

Les projets que vous avez mis en œuvre ont nécessité des fonds importants. Vous êtes-vous contentés du budget de la commune ou avez-vous bénéficé de dons étrangers?

La masse salariale de la municipalité de Tunis est élevée et avec les dernières augmentations salariales, elle représente plus de 60% du budget  de la commune. Par conséquent, nos propres ressources ne suffisent pas pour la réalisation de projets dont les coûts sont élevés. C’est pour cette raison que nous avons opté pour les mécanismes de refinancement de PPP et nous faisons appel aussi aux bailleurs de fonds. Nous comptons parmi nos partenaires l’Association internationale des maires francophones qui nous a souvent apporté son appui.

Où en êtes-vous dans le développement de la numérisation des prestations et des services municipaux?

Nous pouvons affirmer que la municipalité de Tunis est avant-gardiste en la matière.  Nous avons d’ailleurs reçu un prix pour les efforts que nous avons fournis dans ce domaine. A titre d’exemple, les autorisations de construire sont désormais accessibles en ligne. Nous avons également procédé à la numérisation  du service du courrier au sein de la municipalité.

Que pensez-vous du blocage actuel entre les trois pouvoirs?

J’appelle à le surmonter par le dialogue.

Comptez-vous vous représenter, sous la casquette d’Ennahdha, aux prochaines élections municipales?

Je pense qu’il est trop tôt pour y penser. (Sourire)

 

crédit photo : © Salma GUIZANI

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