Yassine Ayari, député (Mouvement Amal et Aamal), à La Presse : «L’affaire Maersk-Atrous m’a demandé trois ans de travail»

Dans cet entretien, le député Yassine Ayari nous parle d’un nouveau dossier impliquant un parti politique, un géant du transport maritime et un homme d’affaires. Il s’agit de contrebande de devises dont le montant s’élève à 120 millions de dollars ainsi que des raisons qui «bloquent» la nouvelle loi sur le «FCR» et ce qu’elle apporte de nouveau. Il nous parle également de son projet de transformer le mouvement Amal et Aamal en parti politique.

Dans Maghreb Confidentiel du 26 février dernier, il est mentionné que vous avez transmis des documents à la justice concernant l’enquête sur Maersk et Tahar Atrous pour contrebande de devises et évasion fiscale.

En effet, c’est une affaire de contrebande de devises, d’évasion fiscale avec une couverture politique où Ennahdha est impliqué aussi bien en tant que parti que personne. D’habitude, dans chaque affaire qui implique ce parti, il y a une grande polémique sauf dans l’affaire Maersk et Atrous. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui veulent faire croire que je suis au service du parti Ennahdha. Si ce dossier qui implique ce parti  est porté par ma personne, cette thèse tombe à l’eau. C’est pour cela qu’ils veulent étouffer l’affaire. D’ailleurs, je persiste et signe que je ne travaille pas pour le parti Ennahdha, ni pour qui que ce soit ! J’ai porté devant la justice des affaires qui impliquent Youssef Chahed, l’Ugtt, Ennahdha, Fakhfakh, Nasr Ali Chakroun, les Ben Ayed, Atrous, les Mabrouk. C’est une affaire qui n’a pas encore été bien médiatisée en Tunisie, alors que les médias étrangers spécialisés en parlent. C’est une affaire où les montants trafiqués atteignent les 120 millions de dollars. Du reste, c’est un dossier qui m’a demandé trois ans de travail et qui prouve que Tahar Atrous a fait de la contrebande de devises sous la couverture d’Ennahdha et avec la complicité du géant du transport maritime Maersk. Le dossier est actuellement entre les mains de la justice.

Vous étiez le premier à parler de cette entrée «en douce» des vaccins en Tunisie. Pourquoi l’avoir divulguée ?

Effectivement, c’est en douce, puisque ni les douanes, ni le ministère de la Santé, ni le comité scientifique n’étaient au courant de l’entrée de ce vaccin. C’est vraiment navrant lorsqu’un Président de la République ne reconnaît pas les institutions de la République… Je qualifierai ce non-respect des institutions de l’Etat  d’acte dangereux. Lorsque j’ai divulgué l’information, tous les partis et les responsables politiques se sont emmêlé les pinceaux et se sont mis à se jeter les accusations. Pourtant, je détenais cette information depuis une vingtaine de jours mais j’ai fait confiance en la Présidence de la République et en sa capacité à communiquer ne serait-ce qu’autour d’un don fait par un autre pays. Ce silence de la présidence a créé une crise. J’ai donc pris la responsabilité d’annoncer que la présidence a reçu le vaccin en question de la part des Emirats arabes unis et ma source était un diplomate tunisien qui l’a eu à travers l’ambassadeur des EAU en Tunsie. Ce n’est pas la première erreur de communication de la Présidence… C’est un vrai capharnaüm communicationnel à Carthage… Tout le monde se rappelle d’ailleurs l’affaire de la lettre déchiquetée et cet amateurisme dans la communication  doit s’arrêter immédiatement à mon sens. Cela remet en cause l’image de la Tunisie à l’étranger et entache la confiance qu’ont les Tunisiens en leur Président.

Parmi les dossiers que vous défendez, il y a celui du «FCR» qui est à chaque fois ajourné… On parle de lobbies des concessionnaires automobiles… 

Bien entendu que ce lobbiying existe. Je le confirme parce que l’un des concessionnaires, qui est aussi député, m’a franchement dit qu’ils constitueront un lobbiying pour ne pas faire voter la loi sur le «FCR». Je le respecte d’ailleurs pour sa franchise. Cela dit, j’ajouterai qu’il y a au minimum un chiffre d’affaires de 160 milliards par an que les concessionnaires engrangent en laissant la loi telle qu’elle. Ces concessionnaires iraient jusqu’à mettre cinq milliards par exemple pour acheter la complicité de certaines parties et faire avorter ce projet.

On croit savoir que ce projet de loi sur le FCR a disparu du bureau d’ordre de l’ARP…

En effet et ce n’était pas chose aisée de le retrouver. «Amal et  Aamal» a déposé ce projet en juillet. Nous avons recueilli les signatures de toutes les parties sauf d’Al Karama et du PDL. Ensuite, on l’a déposé au bureau d’ordre du Parlement. Quatre mois après le projet de loi n’a pas été affecté à une commission et lorsque j’ai demandé des comptes, on m’a répondu que le dossier a disparu. C’est une première qu’un projet de loi déposé par des députés disparaisse à l’ARP ! Il a fallu que je menace de faire un scandale muni de ma décharge. Le projet est réapparu en 48 heures pour passer devant la commission des finances où il subira encore une hibernation. Je suis certain que si les concessionnaires vont phagocyter ce projet, ça  sera au sein de la commission des finances. Le président de cette commission est monsieur Haykel Mekki qui est un socio-démocrate censé être très loin des lobbies.Mais le fait est là ! Le projet n’avance pas, Haykel Mekki a-t-il subi des pressions ? Je me pose la question et je ne peux pas répondre à sa place. D’ailleurs, il n’a même pas répondu aux interrogations du président de la commission des Tunisiens à l’étranger.

Quelles sont les nouveautés de ce projet de loi sur le « FCR » ?

Entre autres, le propriétaire d’une voiture ramenée de l’étranger n’est plus obligé d’attendre un an pour avoir  la plaque minéralogique tunisienne. Ce régime ne sera  plus lié  aux familles, nous avons proposé que tout citoyen a droit à son propre véhicule. L’autre proposition pour rajeunir le parc mais aussi pour préserver l’environnement concerne les taxes à payer. Actuellement, les voitures FCR paient 25%, le nouveau projet propose 20% pour le véhicule hybride et 15% pour le véhicule électrique. Le projet propose aussi l’interdiction d’entrée pour les voitures polluantes qui n’obéissent pas aux normes Euro6. Pour le retour définitif, toute famille avait droit à un conteneur, avec le nouveau projet tout citoyen a droit a sa propre franchise. Le nouveau projet propose également le payement des 25% de taxes sur les voitures directement en devises en Tunisie, puisque l’Etat a besoin de devises. Auparavant, le propriétaire était obligé de changer ses devises en dinars et de payer en monnaie locale. Enfin, nous avons éliminé tous les tracas de la paperasse. Un Tunisien vivant à l’étranger peut remplir toute la procédure sur Internet et payer par virement de manière à ce que dès son arrivée au port il récupère sa voiture. Et encore, il ne s’agit que de quelques points dans ce nouveau projet .

Le mouvement Amal et Aamal projette de devenir un parti politique. Vous ne craignez pas une opinion publique très déçue par les partis politiques ?

Il n’y a pas d’autres statuts pour faire de la politique en Tunisie. Nous avons besoin d’un statut juridique conforme à la loi. Nous savons que les Tunisiens sont déçus par les partis politiques, mais nous ne démarrons pas de zéro. En tant que personne, cela fait dix ans que je fais de la politique, nous avons des réalisations, des activités parlementaires et une équipe très professionnelle. J’entends par là que nous ne sommes pas quelques individus. Pendant les dernières élections, nous étions présents dans 32 arrondissements et nous avons recueilli 45.000 voix. 16 mois plus tôt, nous avons gagné face à Hafedh Caïd Essebsi aux législatives en Allemagne, avec 283 voix. Aujourd’hui, nous voulons être organisés de manière très moderne et la seule manière de le faire, c’est de se constituer en parti politique. Mais notre parti sera très différent des autres et travaillera sous la bannière de la démocratie participative avec des processus très clairs. Les Tunisiens seront agréablement surpris par ce parti qui n’aura pas son pareil.

Mais pour certains Tunisiens, vos positions sur les grandes questions qui divisent l’opinion publique ne sont pas claires…

Aujourd’hui, nous avons acquis assez de maturité pour s’en rendre compte… et les Tunisiens ont raison quelque part. C’est pour cela qu’on a décidé de prendre une centaine de ces questions et de définir notre position par rapport à elles, et ce, de la cause palestinienne jusqu’à l’héritage et l’homosexualité  en passant par la Banque mondiale et la question du divorce.

D’aucuns pensent qu’il faut beaucoup d’argent pour créer  un parti et faire de la politique…

Je ne suis pas de cet avis. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de Kaïs Saïed… alors que d’autres partis ont dépensé des milliards sans arriver à aucun  résultat. A mon sens, il faut beaucoup d’argent pour ceux qui veulent faire de la politique sans projet clair, parce qu’ils ont besoin de soudoyer les gens.

Que pensez-vous de la taxe de 25% imposée aux fabricants tunisiens des produits cosmétiques qui paient plus que les produits importés de l’étranger.

Même si ce sont des produits considérés comme des produits de luxe, le produit tunisiens paie plus de taxes que le produit importé. Cette pratique doit cesser. C’est une question qui mérite d’être approfondie et discutée avec le ministre des Finances. En ce qui me concerne, j’encourage la production nationale et dans ces moments de crise, au moins je suis contre toute idée d’importation de cette catégorie de produits. D’ailleurs, je pense que si les produits importés payent moins de taxes, il doit y avoir derrière un gros bonnet que je me ferais un plaisir de débusquer.

2 Commentaires

  1. Taoufik Bennaceur

    10/03/2021 à 14:30

    Bonnes propositions pour le FCR. Rajouter les véhicules électriques au FC ce qui n’est pas le cas actuellement.

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  2. Hannibal

    12/03/2021 à 11:10

    C est interressant mais les discours des deputes sont toujours en decalage de la realite…que du bla bla pour s acrrocher au siege….D ailleurs il ne repond presque jamais aux messages ,il les meprise

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