Devant l’inaction des autorités, l’impunité dont jouissent les auteurs des violences, la multiplication des violences sexistes sous toutes leurs formes, nous craignons le pire, alerte l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’une des ONG les plus anciennes en Tunisie, connue par son grand militantisme au temps de l’ancien régime. A ce titre, l’Atfd vient d’envoyer une plainte à la rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes parlementaires et aux militantes féministes relevant du Conseil des droits de l’homme à l’ONU
Rien n’a changé pour la femme tunisienne en matière de respect de ses droits fondamentaux. Pire, le projet de loi sur l’égalité successorale n’est plus à l’ordre du jour depuis le départ de l’ancien président de la République, feu Béji Caïd Essebsi. Le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), à son tour, s’apparente beaucoup plus à un mauvais cauchemar pour des politiques hissés aujourd’hui au rang de député et qui voient d’un mauvais œil l’émancipation de la femme et font tout pour saper les acquis féministes.
Plainte à l’ONU
Jamais les acquis de la femme tunisienne en matière de liberté n’ont été aussi menacés. Les récentes élections législatives ont permis au parti Ennahdha de monter au créneau et de renvoyer aux calendes grecques la question de la légalité successorale. Aujourd’hui, rien n’est plus comme avant, les obscurantistes s’affichent publiquement, agressent verbalement et des fois physiquement les femmes non voilées sous différents prétextes. Elles sont qualifiées de «Aahiret». Le mot ne choque plus personne et l’impunité pousse à la récidive. Elles ne seront pas épargnées même sous la coupole de l’Assemblée des représentants du peuple. De Samia Abbou à Abir Moussi, les exemples d’agressions verbales ne manquent pas à l’encontre des femmes parlementaires. Face à ce climat délétère où les violences verbales à l’encontre de la femme sont devenues monnaie courante, à l’ARP comme dans d’autres lieux, l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), connue pour son grand militantisme à l’époque du régime de Ben Ali qui n’hésitait pas à oppresser ses membres les plus actives, a repris avec les plaintes à l’adresse des instances onusiennes, comme au temps de la dictature. Le moment est grave et il fallait reporter les menaces qui pèsent sur les libertés fondamentales de la femme en Tunisie aux commissions spécialisées relevant de l’ONU. C’est ce qui a été fait au temps du président Ben Ali qui a fini par quitter le pays sous la pression du peuple. L’Atfd, refusant de se soumettre au diktat des partis obscurantistes et antidémocrates, a envoyé une plainte, qui ne sera pas sans conséquences, à Dubravka Šimonović, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, siégeant périodiquement à New York et à Genève. La plainte a été rendue publique par l’Atfd le 8 mars à l’occasion, justement, de la célébration de la Journée internationale de la femme. Une fête au goût amer pour la femme tunisienne en cette ère post-révolution marquée par le non-respect de ses droits et les agressions physiques et verbales à son encontre. L’Atfd a attiré l’attention de la rapporteuse spéciale sur « les violences faites aux femmes parlementaires et aux militantes féministes».
Le parti Ennahdha et la coalition El Karama épinglés
Depuis la révolution, la Tunisie est gouvernée par une majorité islamo-conservatrice issue du parti Ennahdha. Lors de sa victoire aux élections législatives de 2019, ce parti s’est allié notamment avec un mouvement religieux d’extrême droite (la coalition El Karama), a souligné l’Atfd. Et d’ajouter que, dans un climat tendu, les femmes sont particulièrement exposées à tous les types de violence et que les chiffres enregistrés par le Centre d’écoute et d’orientation pour les femmes victimes de violences confirment l’augmentation des violences à l’encontre des femmes mais aussi des enfants, malgré la législation en vigueur.
Détaillant les formes d’agression sur les femmes, l’Atfd a signalé le cas de la militante Bochra Blehaj Hmida qui a fait l’objet de propos dégradants émanant du député Fayçal Tebbini suite à son refus de la peine capitale dans l’affaire de l’assassinat d’une jeune fille à Ain Zaghouan. L’un des députés de l’Assemblée a affirmé, lors de la plénière du jeudi 3 décembre 2020 consacrée à la discussion du budget du ministère de la Femme, que les mères célibataires étaient «soit des traînées, soit des femmes violées». Parmi les violences et dépassements enregistrés, l’Atfd n’a pas manqué de signaler l’agression des députés Samia Abbou, Amal Saïdi et Anouar Bechahed dans les coursives de l’Assemblée par les élus de la Coalition El Karama, ainsi que celle de Abir Moussi par le député Seifeddine Makhlouf qui lui a arraché le téléphone des mains en l’insultant et en menaçant de la frapper.
A l’entrée de l’ARP, Oussama Sghaier, député d’Ennahda, a foncé avec son véhicule sur un groupe de manifestants (il a écrasé avec son véhicule le pied d’une manifestante et provoqué la chute d’une autre) devant l’entrée de l’ARP le mardi 08 décembre 2020, note l’Atfd qui fait aujourd’hui l’objet d’une grande campagne de diffamation et de dénigrement allant jusqu’à des menaces directes sur la sécurité de ses militantes, son staff et ses locaux. L’Atfd a pointé les nombreuses arrestations arbitraires qui visent également les jeunes.
Depuis le début du mois de février, une violente campagne de harcèlement, de dénigrement et de diffamation vise la jeune artiste et militante Rania Amdouni qui a pris part aux récentes manifestations sur l’avenue Habib-Bourguiba. La campagne, orchestrée sur les réseaux sociaux par certains syndicats des forces de l’ordre et par le député de la Coalition El Karama Seifeddine Makhlouf, menace au quotidien la sécurité de Rania, selon l’Association des femmes démocrates. Et c’est au moment où la victime s’est rendue au poste de police dans le but de déposer plainte contre cette campagne de harcèlement qu’elle fut arrêtée et accusée d’atteinte à la morale publique.
Elle a été jugée le 4 mars 2021 au tribunal de Tunis et a écopé de 6 mois de prison ferme avec exécution immédiate pour outrage à un fonctionnaire public. Devant l’inaction des autorités, l’impunité dont jouissent les auteurs des violences, la multiplication des violences sexistes sous toutes leurs formes, nous craignons le pire, alerte à la fin l’Atfd.