Violation des libertés individuelles au mois de ramadan : La circulaire Mzali est-elle encore valide ?

La fermeture des cafés et des restaurants, ainsi que le harcèlement des non-jeûneurs sont contraires aux fondements de l’Etat civil, soulignent dans une déclaration commune plusieurs  associations de la société civile

Le débat ne fait qu’enfler de jour en jour autour de la question de la liberté  de ne pas jeûner durant le mois de Ramadan. La relance de ce débat récurrent sur la nécessité de respecter le choix des gens et de ne pas empiéter sur les libertés individuelles ressurgit à chaque arrestation d’un propriétaire de café ou d’une personne suspectée d’avoir transgressé en public une circulaire datant de l’époque de Mzali depuis juillet 1981

Au fil des ans, rien n’a changé et les zones touristiques de notre pays qui mise sur l’arrivée massive des touristes ressemblent plutôt à des cités-dortoirs en raison de l’application d’une note circulaire surannée, clivante et qui contraste avec la constitution de 2014 et avec les ambitions affichées d’un pays aspirant à aller de l’avant dans l’ancrage des pratiques démocratiques et le respect des droits individuels.

Le démenti du ministère de l’Intérieur

La société civile dénonce la traque des non-jeûneurs, les descentes dans certains cafés, l’arrestation des gens par les unités de police accusées parfois d’excès de zèle. La neutralité confessionnelle de l’Etat est mise à rude épreuve  et les forces sécuritaires se trouvent parfois, contre leur gré, au milieu de luttes intestines entre divers courants et partis politiques. Les informations liées aux descentes présumées dans les cafés pour traquer les non-jeûneurs ne sont jamais recoupées et se propagent très vite sur les réseaux sociaux, attisant encore plus les tensions et alimentant les rumeurs quant à l’application exagérée de la circulaire en question.

Le ministère de l’Intérieur est contraint à démentir ces descentes à coups de communiqués et apporter des précisions sur certaines arrestations. Dans l’un de ces communiqués, le ministère affirme qu’il n’y a pas eu de campagne ciblant les cafés et restaurants ouverts durant ce mois. L’un des hauts cadres dudit ministère nous confirme à son tour que les cafés et restaurants dans les zones touristiques ou les complexes commerciaux sont autorisés à servir les clients à l’intérieur des locaux et non dans les terrasses par respect pour les jeûneurs durant le mois de Ramadan.

Notre source n’exclut pas toutefois l’arrestation de personnes recherchées à l’intérieur de ces cafés ouverts, mais les propriétaires refusant que les agents de police procèdent à ces arrestations n’hésitent pas à cacher la vérité et à ne pas transmettre les réelles raisons de l’arrestation aux représentants des partis politiques ou d’associations, d’où ces fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux, selon ses dires.

Une arme à feu en guise de carte de service !

Mais il arrive aussi dans de rares cas que certains responsables sécuritaires dans les commissariats ne respectent pas les règlements et prennent des décisions de leur propre chef, comme ce fut le cas en 2016 à Sidi Bou Saïd où l’un des chefs de poste a semé la pagaille après avoir intimé l’ordre aux propriétaires des cafés et des restaurants de ne servir que les étrangers. Il a d’ailleurs très vite été muté. « Il n’y a jamais eu de descente et les arrestations qui ont eu lieu dans quelques cafés concernent des personnes recherchées par la justice, rien de plus », nous confirme la même source.  Sauf que les dépassements existent comme l’illustre bien le comportement de cet agent qui se croyait au-dessus de la loi et qui a embarqué avec lui un professeur universitaire pour un contrôle au poste de police en usant de son pistolet au lieu de sa carte de service pour décliner sa qualité sécuritaire dans un café à Sfax. Inconcevable dans la Tunisie post-révolution.

Un comportement à réprimer à plus d’un titre en Tunisie, considérée comme la seule démocratie du monde arabe. Certes le ministère de l’Intérieur a apporté, par le biais de son porte-parole, les explications censées éclaircir l’opinion publique sur ce fâcheux incident mais quand le ras-le-bol se fait sentir, que les menaces sur les libertés individuelles deviennent plus sérieuses, c’est la société civile qui s’érige en défenseur de ces libertés et qui crie « basta ».

Vives inquiétudes de la société civile

Dans une déclaration commune publiée mercredi 23 mai, plusieurs associations, dont le Syndicat national des journalistes tunisiens, l’Association tunisienne des femmes démocrates, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, le Comité pour le respect des libertés et droits de l’homme en Tunisie et l’Union générale des étudiants tunisiens, ont exprimé leur vive inquiétude face à la récurrence des atteintes aux libertés individuelles par les autorités publiques chaque année durant le mois de Ramadan, et ce par le biais de descentes effectuées dans les cafés et qui donnent lieu à l’arrestation et à la conduite parfois sous la menace au poste de police, des personnes fréquentant ces lieux.

Les associations en question ont exprimé leur étonnement à l’égard du comportement de l’agent de police dans un café à Sfax et la position prise par le porte-parole officiel du ministère de l’Intérieur qui a déclaré que «cette arme constitue aussi l’identité du policier».  

Ces associations ont exprimé leur total soutien aux citoyens dont les droits ont été violés dans les lieux publics en raison de leur refus de jeûner, appelant les autorités tunisiennes, notamment le ministère de l’Intérieur, à respecter l’article 6 de la constitution de 2014 garantissant la liberté de croyance, de conscience et de culte. La violation des droits individuels, l’imposition du jeûne aux citoyens, la fermeture des cafés et des restaurants, ainsi que le harcèlement des non-jeûneurs sont contraires aux principes fondamentaux de l’Etat civil, soulignent à la fin les signataires de la déclaration.

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