Par Volkan Bozkir * 

Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand vous entendez le mot « désertification » ? Des dunes de sable qui viennent lentement remplacer des terres agraires généreuses ? Le Sahara et le désert de Gobi qui envahissent l’Afrique et l’Asie ? Des fleuves et des rivières qui s’assèchent ? C’est assurément un aspect du problème. Mais le principal effet de la désertification est la dégradation des terres, jusqu’au point où le sol est tellement endommagé qu’il ne peut plus nourrir la vie.

Le sol, c’est bien plus que de la poussière. Pour une planète en bonne santé, il faut un sol en bonne santé. Le sol sous nos pieds regorge d’un monde caché de plantes, d’animaux et de microbes, souvent trop petits pour être visibles. Mais notre survie dépend d’eux. Ce vivier négligé alimente nos industries agricoles et alimentaires. Il contribue à réguler les émissions de gaz à effet de serre et à préserver la vigueur des plantes, des animaux et des humains.

Mais aujourd’hui, plus d’un cinquième des terres de la planète – dont plus de la moitié de nos terres agricoles – est en proie à la détérioration. Chaque année, plus de 12 millions d’hectares de terres sont perdus à cause de la désertification, de la dégradation des sols et de la sécheresse. Cette perte touche plus de 3 milliards de personnes, en particulier les communautés pauvres et rurales du monde en développement. Dans le même temps, lorsque des terres sont hâtivement mises en culture, sans qu’il soit tenu compte de la santé globale de l’environnement, du carbone et de l’oxyde nitreux sont libérés dans l’atmosphère. Les changements climatiques s’accélèrent, la biodiversité s’étiole et les maladies infectieuses pullulent. Tout cela met en péril l’approvisionnement en eau, les moyens de subsistance et notre capacité à faire face aux catastrophes naturelles et aux phénomènes météorologiques extrêmes.

Si nous n’agissons pas maintenant, la situation ne fera qu’empirer. Au cours des 25 prochaines années, la dégradation des sols pourrait réduire la productivité alimentaire mondiale de 12 % et entraîner une hausse de 30 % des prix alimentaires mondiaux. Nous n’atteindrons jamais les objectifs de développement durable si nous restons les bras croisés.

Nous avons toutefois de nombreux motifs d’espoir et nous pouvons faire beaucoup ensemble. Comme nous l’avons constaté avec la rapidité du développement des vaccins contre le Covid-19, quand il y a une volonté et que les ressources sont mobilisées, l’humanité peut accomplir des exploits tout à fait prodigieux.

La restauration de 350 millions d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030 permettrait de réduire de 13 à 26 gigatonnes les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour chaque dollar dépensé pour la restauration des terres – y compris dans le cadre de projets à faible intensité de main-d’œuvre et de qualification – on peut s’attendre à des avantages économiques d’au moins 9 dollars. La restauration des terres ne génère pas seulement des possibilités d’emplois verts dans un large éventail d’industries, mais elle nous permettra également de cultiver des aliments plus nutritifs, d’assurer la sécurité de l’eau potable, de lutter contre la perte de biodiversité, d’atténuer les changements climatiques et de nous y adapter.

Qu’il s’agisse des citadines et citadins, qui ont besoin d’un approvisionnement fiable en fruits et légumes, des hôteliers des îles, qui comptent sur les plages protégées et les palmiers bercés par le vent pour attirer les touristes, ou des patients des hôpitaux, dont la vie dépend de médicaments dérivés de la nature, une chose est claire : il n’existe personne sur la planète – ni d’ailleurs aucun être – dont l’existence ne dépende de la terre.

Alors, que pouvez-vous faire pour aider à protéger nos terres et nos sols ? Une mesure simple consiste à ne pas gaspiller la nourriture. En effet, lorsque les agricultrices et agriculteurs travaillent la terre pour produire des aliments que nous ne consommons pas, ils épuisent inutilement nos sols. Et si vous êtes citadine ou citadin, vous pouvez collaborer avec les autorités locales pour rendre votre ville plus verte, grâce à des méthodes innovantes telles que les jardins sur les toits et les forêts verticales.

À l’ONU, la promotion de la régénération des terres est un aspect fondamental de nos travaux. Dans les mois à venir, les principales conférences de suivi des trois conventions de Rio (la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et la Convention sur la diversité biologique) se tiendront pour la première fois la même année. C’est une occasion unique de réfléchir à la santé de notre planète et à ce que nous pouvons faire pour l’améliorer et protéger notre existence même.

Pour ma part, le 20 mai, j’accueillerai une réunion de haut niveau sur la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse, dans la salle emblématique de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Cette réunion – la première du genre depuis plus d’une décennie – s’appuiera sur les travaux déjà menés, mettra en lumière les carences dans nos efforts collectifs et imprimera un élan vers les trois grandes conférences de suivi des conventions de Rio. Elle aura pour objet de rappeler que la dégradation des terres est bien réelle et qu’il est impératif de la combattre. Elle permettra d’expliquer comment trois questions apparemment différentes – le climat, la biodiversité et la désertification – sont en fait intrinsèquement liées. Elle visera à renouveler l’ambition d’une action mondiale.

L’Assemblée générale est le seul organe où les 193 États membres des Nations unies siègent sur un pied d’égalité. Il n’y a donc pas meilleur endroit pour s’attaquer aux problèmes qui transcendent les frontières et nous concernent tous et toutes. Lorsqu’il s’agit de la terre qui nous porte, du sol qui nous donne la vie, il n’y a pas de temps à perdre. Les conférences de haut niveau ne peuvent pas améliorer la situation du jour au lendemain. Mais en recherchant un consensus, en partageant les meilleures pratiques et en prenant des mesures concrètes ensemble, nous pouvons changer de cap. En fin de compte, nous n’aurons pas le choix : il faudra inverser la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse, et nous le ferons. Mais nous devrons travailler ensemble. Nous devrons changer certaines de nos pratiques. Et j’espère que l’ONU pourra compter sur votre soutien.

V.B.

(*) Président de l’actuelle session de l’Assemblée générale de l’ONU

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