Les abus des agents de sécurité semblent être devenus la seule réponse adoptée par les autorités pour mater, dans la peur et la violence, les jeunes des quartiers marginalisés. Une population en mal de dignité sociale et économique. C’est ce qui pourrait expliquer le double drame survenu à Sidi Hassine-Sijoumi il y a dix jours : la mort d’Ahmed Ben Amara et le lynchage de Fédi.
Mercredi 15 juin. Jayara, Jayara Supérieur, Birine, 25-Juillet, Al Madrassa, Omar Al Mokhtar, Al Attar, Hay Mrad, Sfaxiya, El Frachich, Borj Chakir…A Sidi Hassine-Sijoumi, les quartiers racontent parfois les origines d’une population de l’exode venue s’établir ici dans les années 70. Des quartiers qui se suivent et se ressemblent. Rythmés la plupart du temps par «le peuple de l’informel»*, qui une brouette de fripe ici, un étalage ambulant de fruits ou de légumes là ou encore de services ménagers plus loin, inonde la ville de ses cris et de ses chants pour attirer le chaland. Par déficit de repères urbains, on se perd facilement à Sidi Hassine-Sijoumi. La seule maison de la culture (pour près de 230.000 habitants) peine à fonctionner. Pas de théâtres, ni de jardins publics, ni de stades. Une fresque aux couleurs chamarrées surgit tout d’un coup, elle atteste de la présence dans la ville de groupes ultras, supporters de l’Espérance sportive notamment. Or ces groupes de jeunes n’ont d’espace pour pratiquer le foot, leur passion, que les terrains vagues éparpillés du côté de la Sebkha. Même le saint, qui a donné son nom à la région, Sidi Hassine Ben Attia Ben Ibrahim Ben Abdallah Sijoumi (décédé en l’an 1227), a vu son tombeau disparaître suite à la vague de saccages entreprise par les tenants de l’islam salafiste visant les mausolées des saints entre 2011 et 2013. Pourtant la ville de 8 000 ha est bordée à l’ouest par la Sebkha Sijoumi, une surface d’eau de 3000 ha, où se réfugient des espèces d’oiseaux migrateurs et hivernants rares ainsi que de magnifiques tribus de flamants roses (emblème pourtant de la municipalité de Sidi Hassine). Or s’est érigé au fil du temps comme un mur entre ce bassin intérieur fréquenté assidument par les amateurs d’ornithologie d’ici et d’ailleurs et les gens de Sidi Hassine-Sijoumi. Et ce lac qui collectionne les projets d’assainissement et de réaménagement depuis des décennies aurait pu incarner une chance pour la ville en lui offrant un poumon,devient une malédiction à force d’odeurs nauséabondes et de taux de pollution provoqués par toutes ces décharges anarchiques qui l’assaillent.
«On dit que l’on reconnaît les habitants de Sidi Hassine-Sijoumi au nombre de piqûres de moustiques sur leur peau à cause de leur proximité avec la Sebkha», assure mi amère-mi plaisantine Malek, une jeune femme de la Cité sur laquelle nous tombons au hasard des rencontres. Alors que nous cherchions avec Olfa Lamloum, politologue et directrice d’Alert International, qui nous accompagne dans ce reportage, un guide pour retrouver la maison d’Ahmed Ben Amara, décédé le mardi 8 juin suite à un violent échange avec trois agents de la police.
«Des projets partis en fumée»
La veille, l’après-midi du 14 juin, des centaines de personnes originaires de Sidi Hassine-Sijoumi ainsi que des activistes de la société civile ont pris rendez-vous devant la maison des Ben Amara à Hay Mrad. Ils ont par la suite défilé ici sur l’avenue principale de la ville, traversé des rues anonymes, identifiées par un seul numéro, pour atteindre Jayara. Là où la confrontation a éclaté entre Ahmed et les policiers neuf jours auparavant. Au cours de la marche ont été scandés à l’unisson des slogans contre l’impunité qui sévit dans les rangs des forces de sécurité. Kawthar Ben Amara, la sœur de la victime, a dirigé la mobilisation avec sa belle-mère. Elle a bien insisté à hauteur de mégaphone avant le démarrage de la protestation sur son caractère pacifique : « Celui qui sème la pagaille et le désordre ne nous représente pas ! Ils nous opposent leur gaz lacrymogène et leurs coups de matraques depuis une semaine. Nous leur montrerons notre sens de la civilité », a-t-elle insisté.
Entièrement couverte des couleurs du deuil, un voile noir jeté négligemment sur la tête, Kawthar Ben Amara, 28 ans, assistante administrative dans une société privée, nous accueille dans le salon de la maison familiale construite par ses parents originaires de Siliana lorsqu’ils sont venus s’installer à la fin des années 70 dans cette ceinture très proche de la médina de Tunis (3 km). Sa voix est enrouée des suites de sa colère et de sa peine déployées la veille lors de la conférence de presse tenue au Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) le matin et exprimées encore une fois pendant la marche de l’après-midi.
Elle raconte le destin d’une famille frappée d’une série de drames. La mort de la mère d’une maladie incurable, alors que Kawthar n’a que 12 ans, le remariage du père, le décès d’un frère dans un accident de voiture, la fragilité psychologique du frère aîné en état d’arrestation depuis huit mois pour une affaire de vol et de bagarre sur la voie publique, puis la mort d’Ahmed.
«Ahmed a 32 ans. Il est forgeron, a appris ce métier d’un proche. Les temps du Corona ont été durs pour lui et il a déménagé son atelier à l’étage de la maison. Cet étage dont il était en train de finaliser la construction pour pouvoir se marier. Des projets partis en fumée… ».
Kawthar poursuit son récit : «Ahmed se trouvait avec sa fiancée ce mardi 8 juin à 18h30 lorsqu’il fut agressé par trois policiers. Elle n’est pas la seule à avoir assisté à l’incident. La rue, à cette heure de sortie de boulot, débordait de passants et d’autres témoins, qui ont capté les images de l’incident et reçoivent aujourd’hui des intimidations, ont assisté à la scène. Mais des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux. Même si elles ont été effacées par le ministère de l’Intérieur, des applications peuvent les retrouver ».
La drogue ? Une accusation pour criminaliser les jeunes
Elle en est certaine : tout s’est déroulé en moins d’une heure. Entre le moment du tabassage de son frère à coups de gourdin en fer, sa prise de force par la police, l’abandon de son corps sur la voie publique et enfin son agonie entre les bras de l’un de ses amis. Vers 20h 20, la famille, informée par le copain d’Ahmed, se précipite à l’hôpital et enregistre à la morgue les traces de coups sur le crâne d’Ahmed, sa nuque, ses mains et ses doigts.
«Les policiers l’ont balancé comme un chien sans lui procurer des soins d’urgence, qui auraient peut-être pu épargner sa vie. Or ils sont forts de leurs impunité de plus en plus ancrée dans leurs pratiques», assène la jeune femme. Elle s’efforce à trouver une explication à un comportement dont elle ne justifie ni la sauvagerie, ni la brutalité : «Ils l’ont jeté de cette façon soit parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils se sont trompés de personne, le casier judiciaire d’Ahmed est vierge de toute infraction. Soit parce qu’ils savaient qu’il allait mourir ».
Accusé par les forces de l’ordre de détenir des quantités de drogue, une visite à l’étage qu’il construisait pierre par pierre sur le long cours et ses outils de forgeron appliqué démentent cette version des faits.
« Une version souvent avancée par la police pour se disculper, déjouer toute enquête et criminaliser les jeunes tout en dressant l’opinion publique contre eux. Au pire des cas, même si Ahmed Ben Amara se révélait être véritablement un trafiquant de drogue, de quel droit on l’arrêterait avec cette brutalité? », réagit Olfa Lamloum, qui a beaucoup travaillé depuis 2012 sur les quartiers de la relégation et de la marge dans le cadre de l’ONG International Alert.
Barbe hirsute et cheveux en bataille, Ayoub Jawadi, 36 ans, enfant du quartier, comédien et metteur en scène, un homme révolté. Il s’insurge : «Ils en ont fait une sorte de Pablo Escobar. Un dealer d’héroïne et de cocaïne circulerait dans une grosse berline, Ahmed n’avait même pas de scooter. A 32 ans, il n’était pas encore marié. Parce qu’il n’en avait pas les moyens ! Et puis le jeune Fedi a aussi été accusé de consommation de drogue par la police, déclaration qui s’est révélée par la suite complètement mensongère !».
Les policiers n’ont toujours pas été entendus par la justice
Aux yeux de Kawthar, aucune institution officielle n’a plus de crédit. Pourtant, la famille attend toujours la publication du rapport de la médecine légale pour découvrir une part de vérité sur les dessous du meurtre. Le déficit de confiance de la sœur s’accentue encore plus lorsqu’elle pense que les trois policiers coupables de violences devant des témoins oculaires n’ont toujours pas été entendus par le juge d’instruction comme le répète l’avocat d’Ahmed, Maître Yacine Azaza. Sur la page Facebook de la municipalité de Sidi Hassine présidée par Fraj Gribaâ d’Ennahdha, aucune trace n’est visible de tout ce qui est arrivé ici à la suite du drame du 8 juin. Ainsi que de l’incident du 9 juin lorsqu’un mineur, Fédi, 15 ans, a été entièrement dévêtu et tabassé en public par des policiers en civil (voir encadré). Ni des heurts, qui ont explosé plusieurs nuits de suite entre une population écœurée par autant de mépris (hogra) et de discrimination à l’encontre de la jeunesse et les forces de l’ordre. Sur cette page, Sidi Hassine-Sijoumi apparaît comme un lot où règnent le calme, l’ordre et la beauté. Un long fleuve tranquille ! L’espace de communication avec les habitants de la ville nous informe que des fresques de flamants roses ont été financées par un homme d’affaires et une campagne anti-moustiques est initiée par un riche opérateur économique de la région et son ancien maire. La seule note de tristesse provient d’un avis de décès et de condoléances de l’équipe municipale adressée non pas à la famille Ben Amara mais à un membre du conseil municipal, Mannoubi Triâ, qui vient de perdre sa mère…
La répression comme unique réponse à la demande de dignité
Le divorce entre les jeunes de la cité et les autorités est consommé depuis bien longtemps. Ayoub Jawadi en connaît quelque chose, lui qui travaille avec les jeunes des quartiers populaires sur des expressions artistiques inspirées du « théâtre de l’opprimé », précise-t-il. Un dispositif artistique basé sur le vécu et les souffrances de ces damnés de la ville et qui permet leur accès à la culture et leur possible intégration ultérieure. Ayoub accueille son public cible au centre-ville de Tunis, où il procède à ses répétitions à l’espace Forum, du côté de la rue de Madrid.
«Cependant, les jeunes des quartiers ont du mal à se déplacer. Car ils risquent à chaque fois de tomber dans des rafles. Stigmatisés doublement à travers un délit de faciès et leur lieu de résidence par la police à chaque contrôle d’identité, ils ont peur tout le temps. Leur haine grandit en parallèle. «Que faites-vous donc ici ? Rentrez chez vous !», leur jette la police à chacune de leur tentative de se déplacer». Le ministère de l’Intérieur équivaut pour moi à un ministère de la colonisation !», clame Ayoub Jawadi.
L’homme de théâtre fait remarquer que des opérations d’humiliation comme ce qui est arrivé à Fedi se répètent chaque semaine à Sidi Hassine-Sijoumi dans le silence et la violence devenue presque ordinaire.
«La chance du mineur de 15 ans réside dans la vidéo devenue virale, qui a témoigné de son calvaire. C’est ce qui a médiatisé son cas à outrance et l’a sauvé d’une arrestation certaine», résume Ayoub Jawadi.
Olfa Lamloum, qui vient de diriger avec Myriam Catusse un ouvrage intitulé Jeunes et violences institutionnelles, une série d’enquêtes ayant choisi pour terrains Hay Ettadhamen et Douar Hicher, a accumulé une importante expertise dans l’observation et l’analyse de ces sentiments d’exclusion, d’humiliation et d’enfermement des jeunes des quartiers populaires.
Elle explique : « Face à la demande sociale et à l’exigence de dignité, l’Etat n’a aucune solution à part la réponse sécuritaire, la répression des mouvements protestataires et la criminalisation des pauvres. Alors l’émeute devient une forme de résistance. C’est d’ailleurs, flagrant qu’il n’y a de morts suite à des interventions musclées des forces de sécurité que dans ces quartiers de la marge où la police est perçue comme une force de répression de classe».
L’émergence de la figure de la femmes en lutte contre la violence
La politologue, qui rappelle qu’en janvier dernier au moment du soulèvement des quartiers de la marge, 2.000 personnes ont été arrêtées dont 500 mineurs, ajoute : « Vous avez dû remarquer le déploiement sécuritaire dans le quartier Sidi Hassine au lendemain de la mort d’Ahmed Ben Amara. Et si on avait injecté tout cet argent dans l’aménagement d’un centre sportif et culturel ou au bénéfice de la santé et de l’emploi des jeunes? Or après la révolution, le ministère de l’Intérieurreste parmi les rares structures ministérielles à continuer à recruter ».
Déterminée et combattive, Kawthar Ben Amara soulève l’admiration d’Olfa Lamloum, notamment lorsqu’elle affirme : «Nous les femmes, nous savons transformer notre faiblesse et notre douleur en une arme contre l’injustice et l’impunité. Je continuerai à me mobiliser, en particulier dans le cadre associatif, pour que justice soit rendue à mon frère. La lutte sera longue…».
La directrice d’International Alert commente le propos de Kawthar : «Depuis l’affaire Omar Laâbidi, 19 ans, décédé par noyade en 2018 à Oued Meliane, aux alentours du stade de Radès suite à une brutale interpellation de la police, nous assistons à l’émergence de la figure de la mère ou de la sœur dans la lutte contre les violences policières. Elles se battent, fédèrent les jeunes des quartiers et disposent d’une légitimité. Une affaire qui n’est plus l’apanage uniquement de quelques collectifs des droits humains ».
De son côté, Ayoub Jawadi pense sérieusement et pour la première fois quitter le pays. Il n’en peut plus de cet arbitraire policier. Il avait cependant cru aux possibilités de la révolution et espéré construire quelque chose ici grâce à son travail et par l’entremise de l’art.
«Mais je ne trouve plus ni la force, ni le goût de poursuivre mes projets. Je vis sous haute tension : trop de pressions et trop de menaces m’assaillent malgré mon bien-être économique et le respect dont je jouis dans le quartier. Mais comment supporter tout le reste ? », s’interroge le jeune artiste.
Il se rétracte toutefois, un soupçon de sourire aux lèvres : «Ou alors partir une année ou deux pour une autre aventure, une autre expérience professionnelle, le temps de changer d’air et de recharger mes batteries pour continuer à avancer ici à Sidi Hassine-Sijoumi, dont j’aime les gens plus que tout !».
Chronologie des faits et des contradictions
des autorités
Mardi 8 juin 2021 : mort suspecte d’un jeune homme, Ahmed Ben Amara, 32 ans, suite à un échange avec la police. Des heurts éclatent la soirée du 8 juin entre les forces de l’ordre et des habitants de la région qui ont essayé d’accéder au poste de police. Les policiers recourent aux bombes lacrymogènes pour les disperser.
Mercredi 9 juin : une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant à Sidi Hassine un jeune mineur, Fédi, 15 ans, dénudé en train de se faire rouer de coups par des agents de police en civil accompagnés par une unité sécuritaire mobile. Après l’enterrement d’Ahmed Ben Amara, Sidi Hassine s’embrase de nouveau.
jeudi 10 juin 2021 : le ministère de l’Intérieur publie un communiqué donnant sa version des faits à propos du lynchage du jeune Fédi. Accusant le jeune homme d’avoir été en état d’ébriété manifeste et sous l’emprise de la drogue, il a indiqué qu’il s’était dénudé lui-même pour provoquer les policiers.
Selon le ministère de l’Intérieur, le Parquet a décidé de maintenir l’individu en garde à vue l’accusant d’atteinte aux bonnes mœurs.
Vendredi 11 juin 2021 : le Président de la République, Kaïs Saïed, se rend à Sidi Hassine pour voir le jeune Fédi. Kaïs Saïed déclare que cette agression est « un cas isolé et individuel ». ll se rend également au district de la police où il souligne la nécessité de parvenir à un équilibre entre liberté et sécurité.« Il n’existe pas de conflit entre le peuple et les agents de l’ordre ». préconise-t-il.
Vendredi 11 juin : l’Association des magistrats tunisiens (ATM) demande, dans un communiqué publié, le ministère public auprès le Tribunal de première instance Tunis 2 à accélérer l’instruction judiciaire à l’encontre des policiers ”impliqués dans de graves dépassements contre un jeune du quartier Sidi Hassine Sijoumi “.Elle appelle tous les membres de l’autorité judiciaire, en tant que protecteurs des droits et des libertés, à assumer leur rôle dans les affaires de torture et de morts suspectes ” afin de mettre fin aux bavures et à l’impunité.
Vendredi 11 juin : le ministère de l’Intérieur annonce l’arrestation des policiers impliqués dans l’agression du jeune mineur. C’est ce qui ressort d’un communiqué officiel, deux jours après la diffusion d’une séquence vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux où on voit des policiers lyncher et déshabiller Fédi, 15 ans. Le communiqué explique que les agents — dont le nombre n’a pas été précisé — responsables de ces abus, « ont été suspendus de leurs fonctions, pour enquête par l’Inspection générale de la sécurité nationale ». Il ajoute que «le ministère de l’Intérieur condamne ces actions, et confirme qu’elles sont en contradiction avec ses orientations visant à trouver un équilibre entre le maintien de la sécurité publique et les principes des droits humains».
Samedi 12 juin : à 17h00, plusieurs dizaines de militants de gauche et habitants de quartiers populaires manifestent devant le ministère de l’Intérieur, arborant des pancartes : « Qui nous protège de la police ? » ou encore « A bat la police de classe ! ». Les mères de trois jeunes décédés ces trois dernières années après leur interpellation, étaient présentes dans la foule. La manifestation dégénère et la police asperge les jeunes de gaz lacrymoège et procède à plusieurs arrestations.
Lundi 14 juin : l’ONU fait part de son inquiétude face à la multiplication des violences policières en Tunisie et presse les autorités de lancer des enquêtes et de sanctionner les auteurs des exactions.«Ces violations graves et répétées depuis le début de l’année révèlent des dysfonctionnements continus au sein des services de sécurité intérieure dont la résolution exige une volonté infaillible tant des pouvoirs exécutif que judiciaire», estime l’ONU. Pour l’ONU, «la sanction effective des responsables de ces violations marquera la fin de l’impunité des personnes dépositaires de la force publique qui pensent pouvoir s’absoudre du respect de la loi tunisienne et de l’Etat de droit».
Mardi 15 juin : une conférence de presse est organisée au Snjt par plusieurs associations des droits humains, l’Ugtt et le Snjt afin de donner la parole à la famille d’Ahmed Ben Amara et leur avocat. Y intervient également la mère d’Abdessalam Zayane, mort le 2 mars 2021 à la prison civile de Sfax. Arrêté pour non-respect du couvre-feu, le jeune homme est décédé durant son interpellation pour n’avoir pas eu accès à ses médicaments. Le défunt qui était diabétique n’a pas pu recevoir son traitement d’insuline.
L’après-midi même une marche de protestation pacifiste part de la maison d’Ahmed Ben Amar et circule dans Sidi Hassine, jusqu’au lieu où il fut trouvé mort. Elle est dirigée par sa sœur et sa belle-mère.
Deux décès précédents
La mémoire collective à Sidi Hassine-Sijoumi se souvient de deux autres jeunes victimes des abus des forces de l’ordre. Les histoires d’Abderraouf et d’Ayman sont toujours inscrites dans les interstices de la ville.
Khamassi est décédé après avoir été torturé au siège de la brigade de la police judiciaire de Sidi Hassine-Sijoumi lors d’un interrogatoire musclé sur une affaire de vol, considérée par son avocat, Maître Abdellhak Triki, comme fabriquée de toutes pièces.
D’après le site Nawaat, qui a investigué sur cette affaire, les policiers accusés dans le meurtre de Khamassi étaient visiblement protégés tout au long de l’enquête administrative menée par les services du ministère de l’Intérieur. L’autopsie laisse aussi entendre, dans ce dossier, que le décès n’est pas lié à la torture. Le Docteur Ben Mrad du service de réanimation de Charles-Nicolle diagnostique, selon le site, ce qui suit :
« L’hémorragie importante dont le décédé a été victime serait la conséquence d’un traumatisme crânien occasionné par l’impact d’un objet dur tel un gros bâton ou un autre objet similaire, ce qui écarte l’hypothèse d’une chute. »
Cette hypothèse a été présentée par le ministère de l’Intérieur.
Aymen Othmani, tué le 23 octobre 2018
Ayman Othmani, 19 ans, a été abattu par la police l’après-midi du 23 octobre lors d’une opération menée contre un entrepôt à Sidi Hassine. La police soupçonnait la présence de marchandises de contrebande dans ce bâtiment. Selon des témoins entendus par Amnesty International, plusieurs policiers auraient entouré AymanOthmani après l’avoir blessé par balle, alors que le jeune homme gisait inanimé sur le sol, et l’auraient roué de coups pendant au moins 10 minutes. Ayman Othmani a finalement succombé à ses blessures. Selon sa famille et l’avocat de celle-ci, qui ont pu consulter le rapport du médecin légiste, le jeune homme avait été atteint de deux balles dans le dos et à la cuisse. Imed Othmani, le frère d’Ayman, indique que plusieurs agents avaient écrasé le visage d’Ayman sous leurs chaussures, alors que celui-ci gisait à terre, puis l’ont traîné en le tirant par les épaules. Des vidéos réalisées par des voisins viennent appuyer les déclarations d’Imed. La famille a en outre expliqué à Amnesty International qu’Ayman n’avait été conduit à l’hôpital que vers 17 heures, soit deux heures après le début des affrontements. Selon elle, les agents des douanes auraient empêché des voisins d’appeler une ambulance, affirmant l’avoir déjà fait. Comme l’ambulance n’arrivait pas, le jeune homme a finalement été conduit à l’hôpital en voiture par un voisin. Il est décédé vers minuit. Plus tard dans la journée, la Direction des douanes a publié une déclaration, dans laquelle elle affirmait que ses agents avaient appliqué la procédure appropriée en matière de recours gradué à une force nécessaire.