Accueil A la une Crise économique et financière | Note souveraine : Peut-on éviter une nouvelle dégradation ?

Crise économique et financière | Note souveraine : Peut-on éviter une nouvelle dégradation ?

En Tunisie tout va très mal. Notre pays cumule les crises (politique, économique et sanitaire) et rien ne semble vouloir s’arranger ! La dernière mauvaise nouvelle est celle de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie de « B » à « B- » avec des perspectives négatives par l’agence de notation Fitch Ratings. Une situation que les financiers et les experts qualifient de critique et certains considèrent qu’une nouvelle dégradation vers « C » paraît difficile à éviter.

L’agence de notation Fitch Ratings vient d’abaisser la note de défaut émetteur à long terme en devises de la Tunisie de « B » à « B-» avec perspectives négatives. D’après le communiqué de l’agence, cette « rétrogradation à « B- » et les perspectives négatives reflètent des risques accrus de liquidité budgétaire et externe dans le contexte de nouveaux retards dans l’accord sur un nouveau programme avec le FMI, qui est nécessaire pour accéder à l’appui budgétaire de la plupart des créanciers officiels. Le paysage politique fragmenté et l’opposition sociale enracinée limitent la capacité du gouvernement à adopter de solides mesures d’assainissement budgétaire, ce qui complique les efforts pour sécuriser le programme du FMI ».

Ce même communiqué déplore, par ailleurs, l’absence de réformes solides. « Les créanciers publics pourraient considérer qu’une restructuration de la dette est nécessaire avant de pouvoir accorder un soutien supplémentaire. Le gouvernement a fermement déclaré qu’il n’envisageait pas une restructuration de la dette et la Tunisie ne s’est jamais engagée dans un traitement du Club de Paris ».

Les risques sont omniprésents

L’intermédiaire en Bourse, Mourad Ben Chaâbane, commente dans un post, sur les réseaux sociaux, la dernière dégradation de la note souveraine de la Tunisie. « La Tunisie se situe dans la dernière marche de l’escalier (B- pour Fitch et B3 pour Moody’s avec perspectives négatives) avant la note C (CCC, CC et C pour Fitch contre Caa, Ca et C pour Moody’s) aboutissant au défaut. Ce qui annonce des difficultés élevées pour recourir à de nouveaux crédits extérieurs, qui peut aboutir au défaut de paiement ».

Il poursuit : «Malheureusement, la Tunisie n’a réalisé au cours de la dernière décennie qu’une croissance du PIB de 1% par an, loin du minimum requis pour payer les intérêts sur la dette extérieure (qui représentent près de 3% du PIB suite aux conditions favorables de la dette multilatérale et bilatérale). De plus, les prévisions pour 2021-2023 faites par les organismes internationaux s’accordent sur un taux de croissance du PIB qui reste inférieur à 3%.

Cette croissance économique ne permet pas de payer les intérêts extérieurs. Il est donc attendu que la notation, qui exprime la capacité du pays de faire face à ses engagements financiers, se détériore. Pour lui, une nouvelle dégradation vers « C » paraît difficile à éviter, « sauf en cas d’ouverture importante vers la Libye », annonce Ben Chaâbane. Cette nouvelle notation aura des conséquences : «Un recours au marché financier international très coûteux avec un taux d’intérêt en devises à deux chiffres, ce qui éloigne cette forme de financement, surtout qu’il est de moyen terme.

Ensuite, le financement multilatéral reste disponible mais exige un accord sur un programme d’ajustement structurel qui serait piloté par le FMI pour certaines institutions (BM, BAD) ou un programme particulier aux conditions plus souples (UE, BEI, Berd). Et enfin, le financement bilatéral dépend des relations politiques avec les pays concernés ». Pour l’intermédiaire en Bourse, un accord avec le FMI est nécessaire d’ici la fin de l’année pour assurer un financement extérieur qui éviterait le défaut de payement.

Le gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi, a qualifié, lors d’une intervention sur les ondes d’une radio privée, que la note « B-» « est une mauvaise nouvelle ». Il ajoute, « nous devons aussi nous estimer heureux que la note souveraine tunisienne n’ait pas été dégradée encore plus bas ». Pour El Abbasi, le manque de décisions a un coût, et cette dernière dégradation en est la meilleure preuve.

« L’Etat tunisien aurait dû procéder à des réformes substantielles et structurelles depuis août dernier ». Selon lui, il est grand temps de mettre en place un plan de sauvetage pour l’économie. « Un plan qui doit être à la fois pertinent et qui respecte les priorités du pays », précise-t-il. Le gouverneur de la BCT appelle, dans ce sens, à la nécessité de progresser dans les programmes et les réformes avec le Fonds monétaire international et de prendre des décisions claires, notamment en ce qui concerne la masse des salaires, la question de compensation et les relations avec les institutions internationales à l’avenir.

Les limites de l’exercice actuel

Le gouverneur de la Banque centrale se demande : « Comment voulez-vous négocier avec un pays qui a eu 10 ministres des Finances en dix ans… ? De notre côté, nous n’avons aucune vision, en ce qui concerne le budget et le financement du budget pour la fin de 2021. Alors, mettons-nous autour de la table et négocions ces réformes, et mettons en place un programme digérable et facile d’implémentation ».

Selon Radhi Meddeb, président directeur-général de « Comete Engineering », « les jours qui viennent s’annoncent difficiles et l’été sera chaud ». Pour lui, les raisons de la dégradation de la note souveraine tunisienne à B-, avec perspectives négatives, sont connues depuis longtemps. Il s’agit précisément de « l’absence d’un accord avec le FMI, seul susceptible s’ouvrir la voie à des financements extérieurs, l’absence de réformes structurelles fortes, la fragmentation du paysage politique empêchant la formulation d’une vision cohérente de l’action politique, l’incapacité de l’Etat à accompagner socialement des réformes sérieuses, l’évolution effrénée de la masse salariale publique dans un contexte de rétraction du produit intérieur brut, suite aux effets de la pandémie».

Il poursuit : « Les faits nouveaux sont relatifs aux échéances fin juillet et fin août de remboursement de crédits garantis par les États-Unis à hauteur de deux fois 500 millions de dollars. Le renouvellement de telles garanties est certes en discussions mais n’interviendra probablement pas avant le quatrième trimestre 2021. Il y aura donc un mauvais quart d’heure à passer. Ces nouvelles garanties risquent d’être conditionnées par la signature du nouvel accord avec le FMI, tout comme les autres financements extérieurs recherchés par la Tunisie pour un montant de 3 milliards de dollars pour 2021 ».

Meddeb explique que  la Tunisie a pu substituer sa sortie sur les marchés internationaux au cours des années 2020 et 2021 par une augmentation considérable du recours au financement local, en dinars auprès des banques, mais aussi, du public en devises également, auprès des banques locales. « Tout semble indiquer qu’il y a des limites à l’exercice. Ces prélèvements massifs sur le marché local ont eu un effet d’éviction par rapport au financement de l’économie réelle », affirme le premier responsable de « Comete Engineering ». Il continue : «Le recours au Club de Paris est clairement évoqué par Fitch Ratings, c’est-à-dire une demande de rééchelonnement de la dette. Le gouvernement tunisien continue à affirmer haut et fort qu’il ne le fera pas, que la Tunisie ne l’a jamais fait et que le pays continuera à honorer ses engagements. Nous sommes plusieurs a avoir appelé les autorités, régulièrement depuis plusieurs années, à engager une telle réflexion sereinement et dans l’ordre pour anticiper une situation subie dans le désordre ».

La trêve politique est une nécessité

Lors d’une intervention sur les ondes d’une radio privée, l’ancien président du directoire d’Amen Bank et actuel membre du bureau exécutif de l’Iace, Ahmed El Karam, a également commenté la dégradation de la note souveraine tunisienne et a abordé les pistes possibles pour une sortie de crise. Il affirme que « la note de Fitch Rating était attendue, mais demeure désolante ». Il a également mis en garde contre une nouvelle dégradation. « Après la note de B-, il y a la note C qu’on atteindra, si nous ne faisons pas les restructurations nécessaires… Avec la note C, la Tunisie sera un pays boudé, c’est comme un élève qui a zéro dans son examen, ni ses parents, ni son entourage ne sont heureux. L’Etat n’est plus le bienvenu et on ne reconnaît plus ses dettes », explique El Karam.

Pour sa part, Moez Laâbidi, professeur en économie, juge que la dégradation de la note souveraine tunisienne n’est que « la conséquence directe de l’instabilité politique et économique du pays ». D’après ses propos, une réforme structurelle de la stratégie publique devient nécessaire, et ce, en plus d’un changement radical des visions adoptées avec une exclusion rapide  de « toute solution narcotique dont l’effet est seulement à court terme, tel que : l’injection de la liquidité et le recours incessant aux emprunts ». Il développe : « On ne peut pas se permettre d’injecter de la liquidité, puisqu’on a un taux d’inflation entre 5% et 6%. Cette solution n’est bénéfique que si ce taux devient faible. Nous n’avons pas la possibilité, non plus, de recourir à l’emprunt national pour le paiement de la dette, puisque le paiement de cette dernière doit se faire par les revenus de l’importation, qui sera aussi utilisé pour le paiement des exportations. Le paiement de la dette et des exportations par l’emprunt national ne sera pas sans incidence sur les réserves de devises ». Pour Moez Laâbidi, les conditions sine qua non pour une sortie de crise restent la trêve politique et sociale en plus d’une meilleure visibilité économique.

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