Accueil Société Entretien avec Amel Souissi Talbi, architecte et directrice de la revue Archibat: «Une Tunisie meilleure, plus humaine et inclusive»

Entretien avec Amel Souissi Talbi, architecte et directrice de la revue Archibat: «Une Tunisie meilleure, plus humaine et inclusive»

Œuvrer pour une Tunisie plus humaine, plus inclusive, faire en sorte que les villes soient ouvertes à tous, sûres, résilientes et durables, conjuguer les efforts pour que le logement soit un droit humain offert aux démunis, voilà qui a longtemps pu passer pour une utopie, mais dont on voit aujourd’hui se dessiner les prémices. Bien sûr, on est encore loin de la concrétisation, mais l’idée est là, elle se développe et prend forme. Pour preuve, le concours lancé par ONU-Habitat Tunisie sur le thème de «Un toit pour la dignité», financé par la fondation Al Waleed et organisé par la revue Archibat en collaboration avec l’Enau. Car au cœur de ce projet se trouve l’architecte, bien sûr. Amel Souissi Talbi, architecte et directrice de la revue Archibat nous en parle.

Vous êtes organisatrice de ce projet. Pouvez-vous nous en expliquer les détails ? Quelles en sont les parties prenantes ?

Le concours d’idée d’architecture, intitulé «un toit pour la dignité», a été lancé par ONU-Habitat Tunisie-Bureau Maghreb, dont la direction est assurée par Mme Aida Robbana. Il s’inscrit dans le cadre global de réponse à la crise du covid 19 dans les zones urbaines arabes et défavorisées, c’est un projet financé par la fondation Alwaleed philanthropies.

J’ai eu l’honneur d’assurer l’organisation du concours d’idée en partenariat avec l’Ecole nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis (Enau) et en collaboration avec l’enseignante Narjes Abdelghani et Chiraz Gafsia, architecte responsable du projet au bureau de Tunisie de ONU-Habitat.

Avec l’avènement de la pandémie en 2020, ONU-Habitat a constaté, avec ses partenaires des agences des Nations unies et le ministère des Affaires sociales, que la population des sans-abris avait augmenté.  Lors du projet d’ONU-Habitat, de réhabilitation des centres d’orientation et d’accompagnement social, dans les 3 grandes villes du pays, Tunis, Sfax et Sousse, qui ne présentent pas une solution de vie durable pour les sans-abris, est né l’idée de lancer ce concours d’idées.

«Un toit pour la dignité» a eu pour objectif d’inciter les étudiants en architecture à trouver des solutions d’habitat innovant et décent pour la population des sans-abris à Tunis. Les candidats ont été appelés à concevoir le prototype d’une unité de vie au moindre coût, écologique et temporaire, destinée à un individu seul ou à une famille de quatre personnes. Deux terrains ont été proposés au choix des candidats, l’un se trouve au lac-sud à côté de la station TGM-Tunis et un autre dans la Médina de Tunis, et le challenge consistait, entre autres, à réussir l’intégration dans le paysage urbain de la ville de ces groupements d’unités de vie.

Comment a été organisé ce concours ? Les participants ? La cible ?

Grâce aux conseils de M. Fakher Kharrat, directeur de l’Enau, ce concours a été pensé dans une démarche participative dans laquelle un groupe d’enseignants a donné ses conseils et son avis depuis le lancement du concours sur tous les choix adoptés. Cette démarche a permis d’optimiser les chances de réussite du concours et d’orienter les étudiants dans leurs choix des solutions les plus appropriées en tenant compte des critères d’évaluation fixés.

Depuis le lancement de la compétition le 31 mars 2021 à l’Enau en présence, notamment, de Mme Sana Ben Achour, la présidente de l’association Beity et de Dct Ben Alaya responsable de l’association «Médecins du Monde», nous avons reçu, lors du premier tour du concours 18 projets avec la participation de 37 étudiants, inscrits dans les écoles d’architecture tunisiennes : Enau, UIK, Esad et UTC. Dans le deuxième tour de la compétition, 11 projets ont été retenus pour concourir à la sélection finale avec une participation de groupes composés de 26 étudiants de niveau 6e année et 5e année d’études. Les candidats finalistes ont été encadrés par les enseignants de l’Enau, des experts du bâtiment et une psychologue de l’association «psychologue du monde». Le 29 juin, les étudiants finalistes ont soumis leurs projets. Après trois mois de travail et suite à la proclamation du jury, organisé le 2 juillet 2021 à l’Enau, cinq équipes d’étudiants ont été sélectionnées et primées. Un aperçu des projets lauréats est déjà publié sur le site internet d’Archibat (www.archibat.info) et une présentation plus détaillée sera bientôt disponible dans la revue Archibat. La cérémonie de remise des prix en présence d’officiels a été malheureusement reportée pour la rentrée, vu la situation sanitaire actuelle.

Comment ce projet a-t-il être perçu ?

Les propositions créatives et pertinentes des étudiants, ainsi que la qualité des réflexions et des idées soumises montrent un grand intérêt à la question de l’architecture sociale et à celle du logement des populations défavorisées, thématiques très importantes pour un meilleur développement durable de nos villes. Grâce à l’engagement et l’enthousiasme d’une équipe d’enseignants de l’Enau, ainsi que la participation des architectes invités au jury, le concours s’est déroulé dans le cadre d’un échange instructif et de synergie constructive et a permis le croisement de plusieurs disciplines. J’espère que la publication prochaine des projets dans la revue Archibat permettra de donner plus de visions et d’ouvrir les horizons à nos futurs penseurs et édificateurs de nos villes. Je pense que notre média Archibat a un rôle important à jouer pour alimenter la réflexion sur les valeurs sociétales et pour ouvrir un débat sur des problématiques réelles afin de réfléchir ensemble à une Tunisie meilleure, plus humaine et inclusive. Je saisis cette occasion pour réitérer mes remerciements à ONU-Habitat Tunisie pour cette opportunité accordée afin de coordonner ce projet qui m’a permis de vivre une expérience très enrichissante.

Quels sont les objectifs de ce concours d’idées ?

Ce concours d’idées a instigué les futurs architectes et aussi les enseignants qui ont participé aux encadrements, à prendre part à une démarche de recherche architecturale pour répondre à la problématique de l’inclusion des populations marginalisés et vulnérables en vue d’un projet social contextualisé, constructible et adapté aux besoins vitaux des sans-abris à Tunis. S’inscrivant dans cette réalité, la compétition a permis de sensibiliser les étudiants sur le rôle social de l’architecture et sur le lien inextricable entre l’accès à une maison et la dignité humaine.

Cet exercice pédagogique, s’insère dans une thématique plus large qui est celle de l’habitat social abordable, conformément à l’objectif 11 de développement durable des Nations unies, «faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables». Alors que le logement peine à être inscrit comme droit humain fondamental pour toutes et tous, il est certain que les efforts de plusieurs protagonistes doivent désormais se conjuguer pour défendre et concrétiser la cause du logement comme droit humain pour les plus démunis et dans cette chaîne humaine, dans cet effort collectif et collaboratif, l’architecte se présente comme un acteur principal.

Un objectif politique est aussi attendu de ce concours, sachant que ONU-Habitat Tunisie-Bureau Maghreb compte, dans le but d’appuyer les politiques publiques, communiquer les projets lauréats aux institutions concernées telles que la municipalité de la ville de Tunis, le ministère des Affaires sociales, le ministère de l’Equipement de l’Habitat et des Infrastructures, etc., dans l’espoir de les réaliser.

Est-ce un projet spécifiquement tunisien ou est-ce un modèle  déjà expérimenté ailleurs ?

Ce concours d’idées est spécifiquement tunisien et unique à l’échelle des pays arabes. D’ailleurs le bureau ONU-Habitat Tunisie compte le présenter à l’échelle régionale pour essayer de le répliquer dans d’autres pays, en Libye, en Irak ou Syrie où la problématique des sans-abris est récurrente.

Nous nous sommes référés dans ce projet à la démarche adoptée dans les concours d’architecture organisés annuellement par la Cité de l’architecture à Paris, sous la conduite de l’architecte Fiona Meadows qui a été invité à la séance de lancement de notre concours pour nous présenter le processus de la compétition : Habiter le temporaire, la nouvelle maison des jours meilleurs qu’elle a organisée en 2017.

Archibat a-t-il déjà participé à de semblables événements et concours ? 

Nous avons organisé en 2006 un concours d’architecture destiné aux étudiants en partenariat avec l’Enau et l’Agence nationale de la maîtrise d’énergie, de conception d’un logement écologique et qui avait pour objectif de sensibiliser les futurs bâtisseurs à l’approche environnementale et à la construction économe en énergie, une thématique qui reste de grande actualité.

Charger plus d'articles
Charger plus par Alya HAMZA
Charger plus dans Société

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *