Pour remettre en marche une machine économique à l’arrêt depuis plus de dix ans, le nouveau gouvernement n’a d’autres choix que de se jeter dans la bataille et sans trop tarder. La communauté des affaires et le monde de l’entreprise attendent des signaux, de la visibilité et de l’accompagnement pour qu’ils puissent reprendre confiance, investir et créer des emplois et de la valeur. Plusieurs dossiers prioritaires sont sur la table du nouveau gouvernement sur lesquels il doit se pencher le plus tôt possible.
La pandémie du Covid-19 a infligé en 2020 un coup dur à l’économe tunisienne déjà fortement détériorée depuis 2011. La Tunisie a accusé une grave récession, une détérioration des indicateurs économiques et une aggravation de l’endettement. En 2021, la crise sanitaire est encore là, la situation demeure difficile et les perspectives ne sont pas favorables du fait notamment des pressions exercées sur le budget de l’Etat et des difficultés pour la mobilisation des ressources extérieures pour son financement.
Quels étaient les effets de cette crise ? Quels sont les facteurs qui ont contribué à son aggravation en 2021 ? Quand et comment l’économie tunisienne pourrait-elle retrouver son dynamisme et nouer avec une croissance durable et inclusive ?
Selon Abdelhamid Triki, ancien ministre du Plan et de la Coopération internationale, «le défi majeur de la Tunisie dans cette phase réside dans la relance de l’économie et la réalisation d’une croissance inclusive, créatrice de suffisamment d’emplois tout en assurant la soutenabilité des équilibres financiers de manière à mettre la dette extérieure sur une trajectoire soutenable. Ceci nécessite des réformes et des ajustements solides qui permettent surtout de corriger les distorsions, favoriser l’initiative et inverser la tendance baissière de l’investissement. Mais au préalable des réformes à très court terme sont proposées dont l’objectif est de réhabiliter la confiance et dynamiser quelque peu l’activité économique».
Actions à très court terme
Pour réunir les conditions d’une reprise rapide de l’investissement, l’ancien ministre propose cinq mesures à très court terme axées sur la levée de l’interdiction arbitraire de voyage des hommes d’affaires, sauf pour une liste nominative avec une autorisation judiciaire et l’interdiction d’être limitée dans le temps, l’ouverture des frontières avec la Libye en assurant la circulation des personnes et des marchandises avec un contrôle sanitaire et sécuritaire renforcé.
A celles-ci s’ajoutent l’accélération de l’exécution du budget d’investissement de l’Etat pour 2021 en identifiant une liste de projets, la reprise rapidement des négociations avec le FMI pour la conclusion d’un nouvel accord de financement qui permettra également de mobiliser d’autres financements dans le cadre de la coopération multilatérale et bilatérale, outre le soutien qui devrait être apporté aux entreprises impactées par la crise sanitaire en accélérant la mise en œuvre des mesures déjà annoncées et prendre éventuellement d’autres mesures qui s’imposent.
L’étape actuelle exige aussi des réformes et des ajustements à moyen terme visant en premier lieu la relance de la croissance. En effet, ces réformes devraient permettre de relever le potentiel de croissance à moyen et long termes à travers notamment un rebond de l’investissement et l’adaptation des politiques sectorielles aux mutations qui s’opèrent à l’échelle internationale suite au covid-19.
Les réformes consisteront en effet en la mise en place d’un climat des affaires attractif conforté par un rétablissement de confiance des opérateurs économiques, l’amélioration de l’accès au financement pour les PME, en renforçant les efforts pour alléger davantage les procédures administratives, en supprimant les autorisations. D’autres réformes non moins importantes visent à développer le partenariat public-privé, relever le défi de l’économie numérique, profiter des mutations qui s’opèrent à l’échelle internationale dont notamment la transition énergétique et écologique et le changement du mode de travail qui impose de nouvelles contraintes.
Il s’agit aussi de «profiter des relocalisations des industries stratégiques après les importantes ruptures d’approvisionnement, notamment en provenance de la Chine, en améliorant considérablement la compétitivité et l’environnement des affaires et la visibilité grâce à une stabilité politique qui contribuerait à la restauration de la confiance des investisseurs».
Redressement des équilibres financiers, soutenabilité de la dette
La politique budgétaire s’attachera à assurer la soutenabilité de la dette à travers une maîtrise accrue du déficit budgétaire par le renforcement de la mobilisation des ressources propres et la maîtrise des dépenses.
Pour ce qui est des dépenses, les réformes porteront sur la maîtrise de la progression de la masse salariale publique et la refonte de la politique de subvention et des mécanismes de compensation ainsi que la restructuration des entreprises publiques. S’agissant de la soutenabilité de la dette, elle «pourrait être renforcée par la mobilisation de ressources à long terme».
Principales pistes de redressement
De son côté, Mahmoud Ben Romdhane, universitaire et ancien ministre des Affaires sociales, indique «qu’une analyse précise des déterminants fondamentaux de la crise économique s’avère nécessaire pour pouvoir dégager les pistes susceptibles d’enclencher le début de redressement de la situation et d’amorcer la réinsertion de l’économie tunisienne dans un nouveau cercle vertueux de croissance inclusive et durable».
Et d’ajouter que la tâche qui attend la Tunisie est immense pour «transcender les graves déséquilibres et tirer profit de ses gisements de productivité et de ses synergies. L’on doit, à cet effet, œuvrer impérativement pour rétablir la souveraineté de l’Etat et son rôle d’arbitre, de garant de l’application de la loi, de régulateur et de développeur dans le sens de la mise en place des politiques libérant les énergies latentes et balisant le processus de développement».
Dans ce cadre, il estime qu’il est essentiel de rétablir les équilibres fondamentaux des finances publiques et de la balance des paiements et de maîtriser l’endettement, en renforçant les recettes budgétaires à travers notamment des efforts accrus en matière de lutte contre la fraude fiscale, en contenant «les dépenses improductives et non redistributives» à travers notamment la rationalisation de la politique de compensation. D’autres dossiers doivent être examinés à court, moyen et long termes relatifs à la limitation «des importations intrusives», notamment celles qui relèvent du dumping ou de la consommation de luxe, l’engagement dans l’immédiat dans la réalisation des réformes des caisses de sécurité sociale pour en assurer la pérennité.
Priorités de sauvetage
De son côté, Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances, en définissant les priorités de sauvetage de l’économie nationale, estime que cette opération exige la mise en place d’une série de programmes afin d’arrêter la dérive sans précédent des finances publiques et d’entamer les grandes réformes économiques et la stabilisation. «Ce programme sera complexe et exigera des actions sur le moyen terme. De même, le sauvetage demandera beaucoup de courage et de détermination afin de poursuivre ce programme et atteindre ses objectifs.
L’ancien ministre a insisté sur la nécessité de prendre les questions de la relance de la croissance, de l’investissement, de la solidarité et de l’inclusion sociale dans cette nouvelle vision de sauvetage de l’économie tunisienne pour échapper au scénario libanais. «Une feuille de route économique et financière est fondamentale pour sortir des crises actuelles et mettre la Tunisie sur la voie d’une croissance durable et juste».