Saison 1978-1979 : Le nouveau promu en division nationale s’appelle Oceano Club de Kerkennah. Une première pour le club insulaire qui allait pouvoir exhiber l’immense talent de ses joyaux.
Parmi ces pépites, Mohamed Nejib Ben Salah, un ailier droit à la pointe de vitesse et à la virtuosité proprement déroutantes. Quatorze saisons durant, il a apporté une part prépondérante au rayonnement des hommes de Mongi Dalhoum.
Mohamed Nejib Ben Salah, de prime abord, on est en droit de se demander pourquoi vous avez signé pour l’OCK, et pas pour ses voisins de Sfax nettement plus prestigieux, le SRS ou, à plus forte raison, le CSS ?
Notre quartier s’appelle Chichma, Km 1,5 sur la route de Tunis. Nous y avons été nombreux à opter pour l’OCK qui venait d’être fondé en 1963. Plusieurs anciennes gloires ont vécu dans mon quartier : Mongi Delhoum, l’ancien avant-centre du CSS qui allait nous entraîner à l’OCK, l’attaquant de la sélection qui joua en Argentine, Mohamed Ali Akid, le véloce ailier du SRS, Mustapha Sassi… Il est vrai que les grands espaces offraient aux gosses l’opportunité de laisser éclater leur talent.
Vos parents voyaient-ils d’un bon œil ce jeu qui vous prenait tout votre temps ?
Non, loin s’en faut. Aussi bien mon père Mokhtar, fonctionnaire municipal, que ma mère Aïcha pensaient au contraire qu’il vaut mieux se consacrer aux révisions et aux études et que le foot ne mène nulle part. Un sport pour «Zoufri», ou vagabonds, perdus à jamais. Mais c’était plus fort que moi. Après chaque remontrance de mon père ou petite correction, impénitent, je revenais avec plus d’appétit encore croquer dans le jeu.
Avez-vous toujours été ailier droit ?
Non. A mes débuts, j’étais milieu de terrain. Alors que nous jouions encore en division 2, Mongi Delhoum m’a repositionné à l’aile droite, et m’a pris dans l’équipe cadette pour me lancer dans le grand bain des seniors. En toute fin de carrière, Moncef Melliti m’a reconverti avant-centre.
Quelles qualités doit posséder un bon ailier droit ?
Vitesse, appel de balle en profondeur et dans les espaces, et faculté de dribbler et d’imposer sa technique afin de pouvoir éliminer l’adversaire: voilà ce qu’on attend d’un ailier droit de métier.
Vous avez eu à faire à un grand nombre de défenseurs. Lequel vous a posé le plus de tracas ?
Le Marsois Salah Bourouba. Une fois, il m’a blessé à la cheville, m’obligeant à rester deux mois loin des terrains.
On vous a complètement perdu de vue depuis votre retraite sportive dans les années 1980. Que devenez-vous depuis ?
Un citoyen ordinaire. J’ai pris ma retraite il y a cinq ans de l’Office de la marine marchande et des ports, à Sfax, où j’ai travaillé depuis 1975. D’ailleurs, la plupart des footballeurs de l’OCK sont enrôlés dans cet établissement. Le P.-d.g. est, en même temps, président de l’OCK. C’est ainsi que Ali Attia m’a engagé à l’Ommp dont les premiers responsables allaient par la suite être Mohamed Kraiem, l’ancien ministre des Sports, et Youssef Kraiem. Durant sept ans, j’ai entraîné l’équipe de Sport et Travail. Mais cela n’était pas allé plus loin. Je suis timide. Je crois que le métier d’entraîneur n’est pas fait pour moi.
Depuis sa première accession parmi l’élite au terme de la saison 1978-79, l’OCK n’a pas lésiné sur les moyens, optant résolument pour un football ultra-défensif souvent décrié par les puristes…
Nous avons en fait opté pour la politique de nos moyens. En accédant parmi l’élite, du 4-3-3 avec une ligne d’attaque composée de Msakni alier gauche, Mohamed Boutaba attaquant axial et moi-même ailier droit, nous étions passés au 4-4-2 qui bloquait les espaces et permettait de jouer à fond la contre-attaque. Nous nous étions, si je puis dire, «italianisés» en pratiquant le catenaccio cher aux footballeurs italiens de l’époque. Et cela nous a réussi, puisque nous allions nous maintenir cinq saisons durant. Nous devons cette réussite à notre entraîneur Mongi Delhoum (1975-1979, puis 1981-1983), un technicien ultra-réaliste qui savait parfaitement composer avec le peu de moyens sur lesquels le club s’appuyait.D’ailleurs, avec Moncef Melliti (1979-1981, puis 1983-1984) et Noureddine Ben Mahmoud qui m’a entraîné trois ans en division 2 (1970-1973), Delhoum reste le meilleur technicien que j’ai connu. J’ai eu également Ahmed Ouannès comme entraîneur entre 1973 et 1975.
De qui se composait ce magnifique Oceano qui a souvent défrayé la chronique de la D1 ?
Bouraoui Chaâri dans les bois, Ali Masmoudi, Mounir Grati, Mohamed Dahech, Mohamed Boutaba, Abdelkader Baâti, Hedi Touhami, Farhat Dahech, Mohamed Jemal, Mounir Boussarsar et moi-même.
Quel est votre meilleur match ?
En 1979-80, à El Menzah contre le Stade Tunisien. J’ai signé ce jour-là un doublé, mon deuxième but à partir du rond central. Voyant le gardien stadiste avancé, je l’ai instinctivement lobé. Ce doublé nous a permis de mener au score par 2 à 0 avant d’être rejoints sur le fil.
Comment était le derby face au grand voisin clubiste sfaxien ?
Beaucoup de familles kerkenniennes sont installées à Sfax, et cela donnait à nos retrouvailles des airs de fête. Le derby constituait le moment le plus important de la saison. Je me rappelle d’un derby pas comme les autres, car avant le coup d’envoi, nous étions, une fois n’est pas coutume, mieux classés que le CSS. Conséquence : durant la phase retour, le match vedette au Mhiri, c’est l’OCK qui le jouait, alors que le CSS en était réduit à évoluer en lever de rideau.
Quel est votre meilleur souvenir sportif ?
La toute première accession de l’OCK parmi l’élite, et ma convocation en sélection nationale. A l’OCK, avec le gardien Bouraoui Chaâri, nous avons été les deux premiers à bénéficier d’un tel honneur.
Et votre plus mauvais souvenir ?
Notre relégation après cinq saisons consécutives parmi l’élite. Mais il y a également la perte d’une dent dans un télescopage avec le gardien de légende, Attouga. En voulant «boxer» le ballon, le portier clubiste prend en même temps ma mâchoire. En fait, un simple incident de jeu car cela n’a pas été fait exprès. J’ai d’ailleurs fini par lui inscrire un but.
Qu’est-ce qui a changé entre le foot d’hier et d’aujourd’hui ?
Jadis, on jouait pour ses couleurs, s’y investissant à fond. Maintenant, on joue juste pour l’argent, comme un simple boulot. Conséquence: il n’y a plus de spectacle. Le foot a perdu son âme.
Et l’arbitrage, actuellement véritable plaie du foot tunisien, comment était-il ?
Les hommes en noir n’en faisaient qu’à leur tête. Rares étaient les caméras qui filmaient les matches. Il n’y avait donc ni moviola ni évaluation objective du rendement arbitral. Les hommes en noir se trouvaient dans une impunité totale. J’ai ainsi été expulsé plusieurs fois. Un fort sentiment d’injustice m’a toujours révolté, car nous formions une petite équipe que certains arbitres n’hésitaient pas à malmener, et à sacrifier sur l’autel de leurs petits intérêts et caprices. En tant que capitaine, en me faisant expulser, la peine dont j’écopais était doublée et je pénalisais de la sorte très fort mon club.
En ce temps-là, était-il facile de changer de club ?
Non, loin s’en faut. Cela n’a pas empêché Abdelmajid Chetali de me recommander auprès d’un club du Golfe. Je devais partir dans ce club en même temps que Mongi Dalhoum qui allait l’entraîner. Malheureusement, notre président Ali Attia a catégoriquement rejeté l’idée de m’accorder un bon de sortie.
Quel est votre club préféré après l’OCK ?
Naturellement le CSS et le SRS.
Parlez-nous de votre famille…
En 1981, j’ai épousé ma cousine Monia Ben Salah. Nous avons deux garçons et deux filles : Mokhtar, 39 ans, Omar, 38 ans, Sahar, 35 ans, et Samar, 26 ans.
Comment passez-vous votre temps libre ?
Avec mes anciens coéquipiers Farhat Dahech et Bouraoui Chaâri, on se rencontre au café. A la télé, on se régale des matches européens qui illuminent nos week-ends. Mon club préféré reste le Real Madrid, et mon joueur préféré, Cristiano Ronaldo.
A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Hamadi Agrebi, un artiste du ballon rond comme il n’y en aura plus. Minimes, puis cadets, nous avons joué tous deux face-à-face. C’était toujours de petites corrections que nous faisait déjà subir le CSS de Mister Agrebi.
Enfin, que représente pour vous le football ?
L’inusable passion qui a bercé mon enfance et ma jeunesse. Je dois tout au sport et à mon club, l’OC Kerkennah. Sans eux, qui aurait connu Mohamed Nejib Ben Salah ?
On m’a aimé, et on continue de le faire pour les forts moments de bonheur que j’ai su modestement apporter aux sportifs de tous bords.