
Un portrait sensible et au montage créatif, voilà ce qui se dégage du documentaire d’Eliane Raheb, «La Guerre de Miguel». Un film qui sert de catharsis à un personnage en souffrance pour sa différence vécue dans un pays arabe, le Liban.
Projeté en compétition officielle dans la section documentaire des JCC, «La Guerre de Michel» est un long portrait signé par la Libanaise Eliane Raheb, qui dure un peu plus de deux heures. Or, le rythme soutenu du film et la densité émotionnelle de son protagoniste principal ne laissent pas le moindre répit au spectateur, ne le livrant à aucun moment à l’ennui.
Teddy Award à la Berlinale 2021, le film mixe les techniques et les multiples possibilités de l’image pour tenter d’explorer la personnalité complexe et tourmentée de Michel Jelelaty, devenu Miguel après son arrivée à Madrid dans les années 80. En pleine Movida et au cœur d’une période post-franquiste. Le Miguel d’aujourd’hui a beaucoup souffert dans son passé sous l’effet de son homosexualité vécue dans un pays arabe, le Liban, mais également pour cause d’une mère tyrannique et peu aimante, et d’un père conservateur. Il a aussi connu une adolescence dominée par les bombes de la guerre civile à laquelle il a pris part sous la bannière de la milice des Forces libanaises.
«Tu es trop lent. Tu es différent. Tu ne peux être mon fils, me disait ma mère, qui avait une préférence affichée pour mon frère Elie», se souvient-il devant la caméra d’Eliane Raheb.
Devenu interprète de conférences à Barcelone, il a aujourd’hui 58 ans. Eliane Raheb, à laquelle on doit des documentaires comme «Sleepless Nights» et «Those Who Remain» et qu’on voit dans le film, va l’aider à faire face à ses démons pour tenter de retrouver une mémoire en voie de déperdition. Des allers-retours entre Beyrouth, Madrid, Séville et Barcelone, sur les lieux de la mère, de la guerre, de l’affranchissement et du «vide», comme il le dit lui-même, font émerger des souvenirs, des rêves et des fantasmes chez Miguel. Mélangeant le reportage, les reconstitutions, aux passages animés et aux images d’archives, Eliane Raheb nous donne à voir un film plein de fantaisie et de sensibilité, dont le montage est magnifiquement bien maîtrisé. Pleine d’empathie pour son protagoniste, elle le laisse se livrer librement, l’accompagne autant dans ses fantasmes que dans son processus de deuil. Elle lui offre ainsi une psychanalyse filmée avec l’utilisation des techniques du jeu de rôles, de l’introspection, de l’immersion dans l’enfance. Miguel passe parfois sans transition du rire aux larmes. Sans retenue. Parfois pudique sur un viol qu’il aurait subi et une tentative de suicide dans le passé, ses confidences sont souvent totalement démunies d’interdits et de tabous. C’est ce qui rend ce film puissant : l’homosexualité existant dans les pays arabes, mais restant totalement tue et très peu exprimée. La réalisatrice et son protagoniste payent cher le prix de cette liberté, puisqu’aucun pays arabe n’a accepté de le diffuser dans ses salles de cinéma.