On n’oubliera pas de sitôt la triste agression d’un enseignant au lycée d’Ezzahra. L’acte est d’une telle sauvagerie qu’il est venu rappeler à quel point notre société vit une dégradation morale et éthique qui a commencé depuis des années déjà. Depuis les années 90 où l’éducation et l’enseignement ont été marginalisés petit à petit et à mauvais escient, depuis que l’on a dévalorisé le métier d’enseignant à tous les niveaux et que l’on a ancré cette culture de l’impunité. Des années ont passé, et au fil des événements bouleversants, la société tunisienne s’est de plus en plus effritée et fragilisée.
La violence a gagné tout le monde, et pas seulement l’école et le lycée. Certains jeunes sont livrés à eux-mêmes sans encadrement parental, avec le désengagement des deux parents au profit d’une éducation « externalisée » et d’une école publique où il n’y a plus les moyens de diffuser des valeurs éthiques et des normes de conduite. Ces enfants sont livrés à la rue, à la tentation qu’offrent internet et les réseaux sociaux, tout cela dans un climat tendu qui a semé en eux les germes d’une rébellion précoce. Et tout cela aussi parce que les médias, à force de mettre en valeur des malfrats, des criminels (au point de leur consacrer des feuilletons), ont poussé en partie ces jeunes à idolâtrer des mauvais exemples dans la société. Dans nos médias, dans les écoles, sur les réseaux sociaux, on n’a que des débats houleux, des frictions, des égarements de comportement, de fausses valeurs qui encouragent la criminalité, la délinquance comme mode de vie adulé. Mais est-ce la faute seulement aux médias et aux réseaux sociaux ? Ce serait réducteur. Il y a un problème de fond, celui de la dégradation sociétale à tous les niveaux. On s’est amusé à lâcher la culture de l’effort, de la solidarité pour celle de l’argent, de la haine de l’autre, de la corruption et du gain facile.
Et puisque cette société perd de ses valeurs, la famille, élément de base dans la pyramide sociale, a été marginalisée et a perdu de son poids. Une reprise du rôle de la famille et de l’autorité parentale en prenant en compte les mutations profondes à l’échelle internationale sera la clef pour arrêter ce fléau. Ceux qui pensent qu’il faut réhabiliter l’ancien modèle classique de la famille et de l’autorité d’il y a 40 ans et plus se trompent. C’est un modèle révolu, essayer de l’appliquer aujourd’hui est un contre-sens car tout a changé. Les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent être éduqués et encadrés comme dans les années 60 et 70. Il faut un autre modèle qui aille avec le changement du cadre de vie, la sophistication des moyens de communication. La famille, l’école, l’enseignant, voilà des vecteurs qui nécessitent une refonte générale. Eradiquer les phénomènes de violence et de dégradation morale et éthique demande beaucoup de temps et de patience. Cela doit faire partie des priorités de l’Etat au plus haut niveau. C’est une question de survie et de pérennité de notre société. Il est de notre rôle, donc, de commencer à lutter contre ce chaos social. Le résumer en faits divers ou en simple conflit des générations est déplacé. C’est beaucoup plus complexe et plus menaçant que l’on pense.