Au-delà de la lecture politique du dernier sondage d’opinion de Sigma Conseil, il y a lieu de faire l’observation suivante : la scène politique a tremblé ces derniers jours sous l’effet d’un sondage d’opinion réalisé à partir d’un petit échantillon de 800 personnes (sur 12 millions d’âmes et plus de six millions d’électeurs). Médias et réseaux sociaux se sont emballés sous l’effet des commentaires et autres sarcasmes : on ne parlait plus que de Sigma Zargouni et de Nabil Karoui, « le président des pauvres » et de l’inimitable Kaïs Saïd. Les résultats inédits et inattendus de ce sondage ont fait l’effet d’une onde de choc sur les partis politiques, bousculant leurs calculs et leurs certitudes et prouvant, encore une fois, leur déconnexion de la réalité des Tunisiens et de leurs préoccupations. Cette déconnexion que les Tunisiens ont commencé à sanctionner dans de nombreux précédents sondages sans que les partis politiques n’en tirent les leçons.
Après un long enlisement dans les crises politiques et les guéguerres partisanes, la classe politique n’a donc pas vu venir le tsunami des outsiders hors normes, à quatre mois des élections, et les grands partis favoris pour les législatives jusqu’à il y a quelques jours accusent le coup dans un mutisme fort révélateur du sentiment de déconfiture. Le plus dur à gérer reste la difficulté à faire adopter par le parlement un projet d’amendement de la loi électorale dont le contenu est approuvé par l’ensemble des partis politiques mais dont l’impact sera l’éloignement de Karoui et de Saïd de la course électorale. Un impact que certains partis politiques, essentiellement de l’opposition, ne sont pas disposés à avaliser si près du double scrutin.
Malgré l’importance de la lecture qu’on peut faire de ses résultats, le sondage demeure aléatoire, conjoncturel et sujet à des variations en fonction des évolutions que connaîtra le paysage politique d’ici à la date des élections. Les jeux ne sont donc pas encore faits et tout peut arriver dans les prochains mois qui s’annoncent particulièrement agités, sous le signe des alliances, des fusions, des implosions et des ruptures. Et comme le dit le proverbe, à quelque chose malheur est bon. Les partis politiques sont appelés à changer de discours et à relever son niveau linguistique et intellectuel, à innover dans leur méthode d’approche des citoyens et à rompre avec les promesses creuses, ressassées depuis 2011. Il faudrait, pour cela, qu’ils descendent préalablement de leur tour d’ivoire, qu’ils déposent leurs armes de guerre et qu’ils cessent de prendre le pouvoir comme un tribut.