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Culture et arts de rue: Un acquis au temps des crises

Dans une Tunisie post-révolutionnaire encore en effervescence, 11 ans après la révolution de 2011, le principal acquis farouchement sauvegardé jusqu’à présent reste la liberté d’expression. L’appropriation de l’espace public à des fins d’expression citoyenne reste de mise : l’art exercé dans la rue en fait partie.

Avant la crise du covid-19, de ses restrictions et momentanément entre deux baisses de pics, Tunis et quelques régions vivent au rythme de manifestations culturelles et artistiques diverses. A la différence près d’il y a quelques années, ce qui interpelle davantage c’est l’’organisation d’une partie conséquente de ces manifestations dans la rue. Une manière de rendre les arts plus visibles, d’atteindre le public, ou est-ce tout simplement l’exercice de la liberté d’expression.

En plein mois d’octobre/novembre de chaque année, au fil des Journées cinématographiques de Carthage devenues annuelles, la capitale vit pour les films et le cinéma. Les salles sont combles et une dynamique est installée pendant 7 jours entiers dans toutes les rues et avenues. Les festivaliers peuvent, les après-midi, profiter d’une projection gratuite en plein air, dans un espace couvert, et protégé des intempéries. Les chaises sont installées face à un écran géant qui passe des films tunisiens cultes des années 80/90, des chefs-d’œuvre  du 7e art mondial, ou d’anciens Tanit d’Or. L’aspect rétrospectif du festival est offert au grand public à travers ces projections de rue, pour le plus grand bonheur des curieux, souvent des passants lambda qui  n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma.

Le théâtre qui s’empare de la rue ? Désormais, c’est possible pendant les Journées théâtrales de Carthage. Des sketchs, des représentations souvent clownesques et des spectacles d’une durée courte s’organisent dans la rue, ponctués par des concerts musicaux, qui se tiennent également : rappeurs, bands de rock, amateurs, ou professionnels se donnent rendez-vous et se réservent des dates pour des performances.

Depuis des années, « Tunis, capitale de la danse » a longtemps permis à ces troupes nationales et internationales de se produire dans la rue. Des chorégraphes et danseurs professionnels mettent en œuvre leur talent le temps d’une manifestation afin d’approcher le public et d’user des mots du corps pour exprimer tout haut les maux d’une nation. Toujours sous la houlette de Syhem Belkhodja, la manifestation « Kalimat » a vu, auparavant, différentes activités autour du livre se tenir dans les moyens de transport,  dans des jardins publics ou dans l’artère principale  de la capitale. Des lectures à haute voix se faisaient entendre, attirant ainsi fana de lecture, et simples spectateurs curieux.

L’un des évènements les plus imposants et les plus marquants de ces 14 dernières années est bien évidemment la Biennale de « Dream City », organisée  dans les rues de la médina de Tunis. Ce festival des arts y compris visuels et contemporains, organisé par l’association l’Art Rue, traduit l’appropriation de l‘espace public via l’art et la culture.  « Dream City »  invite des artistes tunisiens et internationaux à inventer et créer contextuellement en s’engageant avec la cité et ses habitants. C’est aussi un festival engagé sur la durée qui accompagne les artistes invités et leur offre un temps long de création (allant de 1 à 4 ans) pour pleinement appréhender les spécificités et les réalités sociales et politiques. C’est surtout un festival à part qui investit les espaces informels de la médina de Tunis (café, rue, maison abandonnée, place…), lit-on sur le site officiel de la manifestation. La 8e édition se tiendra pendant l’automne 2022.

Des initiatives singulières se sont créées aussi : La Presse est partie à la rencontre de Kamel Ring, musicien de rue d’à peine 20 ans qui exerce sa passion dans différentes régions de Tunis, souvent en pleine rue. Il est passionné et exerce la « Street music » ou « la musique de rue ». Souvent malmené par les autorités, il est parvenu à régulariser sa situation via l’obtention d’une carte lui permettant d’exercer en toute sécurité.  Sous le covid-19, Nesrine ben Arbia, artiste et chorégraphe professionnelle, a sillonné les rues de Tunis en dansant.

Les exemples se succèdent et ne se ressemblent pas : la pratique de la liberté d’expression, de l’art ou de la culture dans la rue s’est démocratisée depuis 2011. Sous Ben Ali, c’était interdit : les activités qui se faisaient dans la rue étaient folkloriques. Pendant les attaques terroristes, les crises politiques, les affrontements policiers et la crise du covid, l’usage de ces espaces à des fins artistiques s’est réduit, le contrôle s’est accru, et l’obtention d’une autorisation de manifester est devenue rigide. Le pays vit en état d’alerte permanent, au gré des crises …

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