Le phénomène est hissé au rang de crime transfrontalier auquel il faut faire face. Sous nos cieux, l’Inltp avait déjà mis à disposition un mécanisme national d’orientation des victimes de traite, aidé en cela par le Conseil de l’Europe. La Libye veut s’en inspirer.
2020 était, en quelque sorte, une année charnière, où la prévalence d’exploitation des femmes et des enfants et la vente des nourrissons avaient pris de l’ampleur et gagné du terrain. Selon le rapport de l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (Inltp), l’on enregistre 907 victimes contre 1.313 cas en 2019, soit une certaine légère baisse constatée. Toutefois, en dépit d’un tel recul signalé à ce niveau, il n’est pas évident que le nombre des victimes a baissé d’un cran. Mais, cela est dû, en partie, aux diverses circonstances dictées par le Covid dont particulièrement l’état de confinement prolongé, le couvre-feu imposé et les interdictions de déplacement entre les régions.
Cela dit, le phénomène est hissé au rang de crime transfrontalier auquel il faut faire face. Sous nos cieux, l’Inltp avait déjà mis à disposition un mécanisme national d’orientation des victimes de traite, aidé en cela par le Conseil de l’Europe. Son chef en Tunisie, Mme Pilar Morales, également coordinatrice de la politique de voisinage avec le sud de la Méditerranée, l’a, d’ailleurs, qualifiée d’expérience unique non seulement dans la région, mais aussi dans certains pays européens. Déterminée à y livrer bataille, la Libye veut, elle aussi, s’en inspirer davantage. Pas plus tard qu’hier, un atelier de travail s’est tenu à Tunis intitulé «Liste d’indicateurs relatifs à la détection et l’identification des victimes de la traite des êtres humains en Libye», en présence d’une pléiade d’experts et d’acteurs libyens et européens.
Un réseau mafieux
La manifestation a lieu pendant trois jours, au cours desquels les participants se penchent sur les moyens de prévention du trafic des personnes, devenu un véritable casse-tête pour les autorités libyennes. Comment détecter et identifier ses victimes ? D’où il est temps d’élaborer toute une liste d’indicateurs relatifs au phénomène, aux fins de pouvoir l’endiguer et le traiter. «La situation en Libye est d’autant plus complexe que nul n’est capable de contenir ce fléau. La traite des personnes est très préjudiciable aux droits de l’homme en Libye. Même le gouvernement n’en vient pas à bout», commente Frej Fenniche, directeur régional de «No peace without justice », une ONG basée à Bruxelles. L’objectif, selon lui, est de réunir les différents acteurs et responsables libyens autour d’un sujet aussi explosif que celui du trafic des êtres humains. «Car, certaines parties criminelles liées à l’Etat, des milices, y sont de plus en plus impliquées et manifestement accusées d’être derrière tout un réseau mafieux», révèle-t-il, ouvertement. Et d’ajouter que l’instabilité politique que connaît ce pays voisin avait pesé lourd sur tout ce qui est législatif lié à l’adoption des lois de lutte contre ce phénomène. A cela s’ajoutent l’insécurité et la porosité des frontières territoriales. «C’est que la Libye demeure un pays de transit, où les migrants sont plus souvent sujets à des crimes de traite, à n’en plus finir», évoque-t-il, sans donner des chiffres, faute de statistiques locales. Seulement des rapports onusiens des droits de l’homme évoquent des cas bien réels. Et là, M. Fenniche a insisté sur le fait de ne pas mélanger torchons et serviettes. Traite des personnes et migration, il faut faire la part des choses. «D’autant que les pays européens instrumentalisent la lutte contre le trafic des êtres humains pour combattre les flux migratoires. Ce qui est inadmissible ! », s’indigne-t-il, soulignant que son ONG œuvre déjà sur la question à l’échelle du Parlement européen à Bruxelles. Et ce pour dissuader de tels comportements à l’égard des migrants.
Aucun pays n’est épargné
Interrogé sur l’affaire Sofiène et Nadhir, deux journalistes tunisiens kidnappés en Libye, il y a maintenant huit ans, l’orateur a déclaré que certaines informations non vérifiées ont été relayées sur leur mort. «Mais tant qu’il n’y a pas des preuves bien fondées, ils pourraient probablement être victimes du trafic des personnes. Et par conséquent, l’on peut dire qu’ils seraient encore en vie et que l’Etat tunisien ainsi que la Libye sont appelés à les trouver», plaide-t-il ainsi. De son côté, Omar Hijazi, président du Conseil national des droits civils et des droits de l’homme, une des institutions souveraines du Parlement libyen, a avoué que son pays demeure un terreau pour la montée de la traite des personnes où les trafiquants courent toujours, faute de lois l’incriminant. «Sauf qu’aujourd’hui nous disposons d’un projet de loi qui vient d’être soumis au Parlement pour adoption», indique-t-il, soulignant l’impact de ce phénomène sur la sécurité des migrants en Libye. Et pour cause ! C’est dans cette optique que la Libye a manifesté l’intérêt de lancer son propre mécanisme d’orientation des victimes de la traite des personnes. «Nous avons décidé d’organiser cet atelier de trois jours comme première activité avec les Libyens pour établir une liste, afin de pouvoir détecter et identifier les victimes de la traite des personnes», explique Mme Morales, estimant que la Libye était fortement touchée. Aucun pays n’est épargné, à vrai dire, lance-t-elle. Du reste, il s’agit, estime-t-elle, d’une belle initiative libyenne que le Conseil de l’Europe compte soutenir et accompagner jusqu’à la mise en place des outils de lutte contre ce phénomène transnational.