La lutte contre le blanchiment d’argent était l’un des sujets phares sur lesquels se sont penchés les professionnels de la comptabilité, lors du colloque qui a été organisé récemment par la Fédération internationale des experts-comptables et commissaires aux comptes francophones (Fidef) à l’occasion de la célébration de son 40e anniversaire. Ces derniers estiment que l’expérience tunisienne en matière de lutte anti-blanchiment est un cas d’école, et ce, en référence aux efforts qui ont été déployés pour faire sortir la Tunisie de la liste noire du Gafi. Mais le risque d’une récidive est-il définitivement écarté ? Le président de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie, Walid Ben Salah, nous répond en marge du colloque.
Pourquoi cette manifestation est-elle importante pour la profession comptable en Tunisie ?
Tout d’abord, ce colloque est important parce que nous avons réussi à réunir plus de 200 experts-comptables francophones issus de 37 corporations professionnelles différentes et 32 pays francophones répartis sur quatre continents. Sachant que la Fidef est présidée par un Tunisien, en l’occurrence Slaheddine Zahaf, que deux Tunisiens siègent à son conseil d’administration (Slaheddine Zahaf et moi-même en tant que président de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie) et que ce colloque a été organisé à l’occasion de la célébration de son 40e anniversaire, on déduit l’importance de cet événement qui est un message de confiance à l’égard de la Tunisie. Deuxièmement, cette rencontre nous permet d’échanger sur les expériences des différents pays, en matière de lutte contre l’économie informelle et contre le blanchiment d’argent, deux sujets très importants qui ont une ampleur assez particulière, notamment au sein des pays africains francophones. Nous voulons nous inspirer des diverses expériences qui ont été menées dans différents pays, même dans des pays développés, tels que la France, le Canada et la Belgique. Cet échange offre un cadre pour peaufiner davantage les nombreuses propositions. Notre objectif est de recueillir toutes les propositions nécessaires, afin de pouvoir identifier des solutions concrètes qui seront adaptées à notre propre contexte tuniso-tunisien. Il faut rappeler qu’en tant que professionnels et experts-comptables, nous avons travaillé sur ces deux sujets-là dans d’autres cadres, et ce, en proposant des mesures concrètes dans le cadre des réformes engagées notamment la réforme fiscale et celle du secteur financier. L’Ordre des experts-comptables a également contribué activement à la sortie de la Tunisie de la black-liste du Gafi et nous avons déployé des efforts en ce sens.
Plusieurs actions, notamment en relation avec notre profession, ont été mises en place à travers une norme professionnelle qui définit les diligences devant être effectuées par les experts-comptables dans l’objectif de lutter contre le blanchiment d’argent. Nous avons aussi contribué à l’effort national en faisant la revue de plusieurs textes, notamment la loi anti-blanchiment, la loi relative à l’organisation de la commission tunisienne des analyses financières, la loi portant sur la création du Registre national des entreprises (RNE) et ses textes d’application, la réglementation relative aux associations… Il faut rappeler également que nous sommes membres de la commission nationale auprès de la présidence du gouvernement, chargée du suivi de la notation par le groupe Gafi qui va intervenir dans les quelques prochains mois.
Est-ce que le risque d’une récidive, c’est-à-dire d’être blacklisté encore une fois par le Gafi, est définitivement écarté ?
Je ne peux pas affirmer que le risque est écarté définitivement, mais il y a des avancées qui ont été réalisées et qui nous ont permis de quitter la black-liste. Maintenant, il y a d’autres points qu’il faut développer et il faut s’assurer également de l’effectivité de ce que nous avons déjà prévu auparavant.
Le plus important pour le Gafi n’est pas uniquement d’élaborer des textes, mais également de s’assurer de leur application effective. Il faut s’assurer que la loi anti-blanchiment est en train d’être appliquée d’une manière effective et que le secteur bancaire et financier s’attelle à mettre en place les diligences nécessaires telle que prévu par la loi et par les circulaires de la Banque centrale.
Il faut s’assurer également que les professionnels de la comptabilité, notamment les experts comptables, sont en train d’appliquer effectivement la norme professionnelle relative à la lutte anti-blanchiment… Sans oublier qu’il y a d’autres sujets qui doivent être développés davantage. Donc, le travail qui est en train d’être réalisé est axé sur ces points-là, et ce, afin de pouvoir améliorer la notation de la Tunisie.
Lors de l’ouverture du colloque, les intervenants ont mis l’accent sur l’impact économique de la crise ukrainienne. Si la guerre s’inscrit dans la durée, est-ce que l’économie tunisienne pourra tenir le coup?
De toute façon, les conséquences de la guerre ne concernent pas uniquement l’économie tunisienne. Elles concernent l’économie mondiale d’une manière générale, et il y a des secousses qui sont très importantes. Malheureusement, comme notre économie est de petite taille et qu’elle est très vulnérable, étant donné qu’elle est passée par plusieurs crises successives, elle est beaucoup plus exposée à ces risques-là. Nous avons certains secteurs d’activité où il y a une forte dépendance à ce qui se passe sur les marchés internationaux. Mais je pense que, par ailleurs, il y a certaines opportunités qu’il faut saisir pour pouvoir atténuer l’impact de cette crise si elle perdure dans le temps. Comme ça, on retrouve plus ou moins les équilibres qui nous permettent d’avancer.
Et qu’en est-il de l’impact sur les finances publiques ?
L’impact sur les finances publiques est déjà visible. Il a été immédiat. Le fait d’avoir une augmentation d’une trentaine de dollars par rapport à la prévision du cours du baril, cela constitue déjà un impact très important et direct sur le budget de l’Etat. Au cours des deux dernières semaines, il y a, également, une augmentation au niveau du taux de change dollar-dinar, ce qui va se répercuter également sur les finances publiques. A cela s’ajoute l’effet direct de la crise qui a engendré une inflation très importante à deux chiffres, voire plus, sur plusieurs produits et principalement sur les matières premières et sur les produits alimentaires. Donc, nous savons pertinemment que, malheureusement, notre pays est fortement dépendant de ces marchés-là. Et c’est pour cette raison qu’on est en train de subir la crise au moins à trois niveaux : l’inflation, le cours de change et le cours des matières premières, principalement le cours du baril de pétrole. Ces trois facteurs vont affecter le budget de compensation, impacter la contribution de l’Etat au profit de plusieurs entreprises publiques et se répercuter sur l’encours de l’endettement, puisque les deux tiers de la dette publique sont libellés en devises. Il y a un impact qui est assez négatif ,et espérons que cela ne s’inscrit pas dans la durée.