Depuis la publication au Jort, le 30 juin dernier, de la constitution du Président Saïed, des voix de femmes se sont élevées pour protester contre toutes les régressions relevées dans la nouvelle loi fondamentale quant aux droits et libertés des Tunisiennes.
Le texte qui sera soumis au référendum le 25 juillet a toutefois été légèrement retouché le vendredi 8 juillet. Ainsi après avoir oublié la possibilité pour les femmes de candidater au poste de président de la République, Kaïs Saïed a rattrapé cette « erreur » dans la dernière version de la loi fondamentale. Après une vaste controverse sur les réseaux sociaux notamment, il a également éliminé la mention concernant « les bonnes mœurs » comme restriction à l’exercice des droits et libertés.
Or ces petits amendements de dernière minute n’ont point réussi à rassurer plusieurs associations féministes et des droits humains sur l’avenir des Tunisiennes à l’ombre d’une constitution, qui évoque dans l’un de ses articles la « umma islamique » et « maqacid al islam » ou les objectifs de l’islam. Et voilà que Kaïs Saïed ressuscite le débat identitaire, qui a marqué la première partie de la transition, et réveille les anciens démons du retour vers la charia (la loi islamique).
Une bombe à retardement ?
Pour Sarra Medini, analyste politique et chargée des dossiers des femmes victimes de violences à Asswat Nissa, la question la plus ardue qui se pose aujourd’hui a trait à l’article 5 : « La Tunisie fait partie de la umma islamique. Seul l’État devra veiller à garantir les objectifs de l’Islam en matière de respect de la vie humaine, de la dignité, de l’argent, de la religion et de la liberté ».
Sarra Medini s’interroge : « Les objectifs de l’islam se confondent-ils avec ceux de la charia ? Selon quel courant de la religion islamique va-t-on interpréter les objectifs de la religion ? Et qui va s’en charger ? D’autre part, une telle lecture mettra-t-elle en péril les accords et conventions internationaux signés par la Tunisie en faveur des femmes, tels que la Cedaw ? ».
Yosra Frawes, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, intervenant la semaine passée dans un débat organisé par Asswat Nissa, s’inquiétait elle aussi de cet ancrage dans les « maqacid de l’islam » qu’elle compare à « une bombe à retardement ». « Kaïs Saïed a occulté toute référence aux conventions internationales, qui représentent pour nous les garde-fous des droits de l’homme. Parce qu’il ne croit pas aux droits individuels, ni à l’égalité de genre, il a remplacé ce référentiel du droit international par les maqacid de l’islam », s’alarme Yosra Frawes.
L’ancienne présidente de l’Atfd revient sur les vastes prérogatives que le projet constitutionnel confère au président de la République, qui sera désormais « le seul maître à bord du pays : sans démocraties, pas de droits pour les femmes ! », affirme-t-elle.
Disparition de la référence à l’universalité des droits humains
La juriste Hafidha Chekir et membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates, qui vient de publier avec Fethia Saidi une étude intitulée « Lecture du projet de la constitution tunisienne 2022 : une approche féministe et des droits humains » (Atfd, juillet 2022) assure avec grande amertume : « En effaçant toute trace de l’universalité des droits humains et en insistant sur l’aspect religieux dans son texte constitutionnel, Saïed offre aux islamistes ce dont ils ont toujours rêvé mais n’ont pas réussi à réaliser, ni en 2011 ni en 2014 ».
La juriste estime que les « objectifs de l’islam » ont désormais une valeur constitutionnelle, ce qui pourrait permettre au Président de remettre en cause plusieurs acquis des femmes tunisiennes, comme la circulaire de 1973 abrogée en 2017, au temps du président Béji Caïd Essebsi, interdisant le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans mais également tout droit, aussi minime soit-il, dont dispose la communauté Lgbtq+. D’autant plus, ajoute la juriste, qu’il s’agit d’un président, « qui concentre tous les pouvoirs et ne reconnaît pas le principe de la séparation entre les pouvoirs dont parlait Montesquieu. C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser… ». « Cette citation, lui professeur de droit constitutionnel, je doute fort qu’il l’ignore », proteste Hafidha Chekir.