Accueil A la une Carthage — Constructions illégales sur les terrains archéologiques : Les intouchables empêcheraient-ils l’application de la loi ?

Carthage — Constructions illégales sur les terrains archéologiques : Les intouchables empêcheraient-ils l’application de la loi ?

• Des terrains déclassés avant 2011 et reclassés après la révolution, selon le décret-loi n°11 du 10 mars de la même année signé à l’époque par Foued Mbazaa. L’imbroglio juridique vient s’ajouter à la pression exercée au fil des ans par des personnalités influentes pour mettre en échec toute tentative d’application des règlements en rapport avec les décisions de démolition concernant les constructions illégales sur le site archéologique de Carthage. Pendant ce temps, l’Unesco observe.
• La situation demeure des plus confuses et à quelques mois de l’ultimatum fixé par l’Unesco, les vestiges de Carthage sont toujours engloutis par les constructions illégales. Les parties impliquées dans ce dossier s’accusent mutuellement et certains départements se désengagent déjà de toute éventuelle responsabilité quant à la prise par l’Unesco de décisions irréversibles se rapportant au classement du site de Carthage.
La mise en garde de l’Unesco adressée  aux autorités tunisiennes en juillet 2018 lors de sa 42e session relative à la protection du patrimoine culturel et naturel mondial tenue à Bahreïn n’a pas eu l’effet escompté et tout le monde continue d’adopter la stratégie de la fuite en avant comme mécanisme de défense. Mais on risque d’être choqué si des «décisions irréversibles ne sont pas prises» comme l’avait déjà annoncé l’Organisation en question concernant le site antique de Carthage.

 Le Comité du patrimoine mondial statuera en 2020 

En guise de rafraîchissement de la mémoire, on rappelle que lors de la session de 2018, une importante décision a été adoptée par le Comité du patrimoine mondial concernant le site archéologique de Carthage (lire notre article publié le 20-09-2018 sous l’intitulé «Mise en garde de l’Unesco, constructions illégales sur le cirque romain de Carthage»).

En effet, le comité annonce en substance dans cette décision avoir pris note des efforts entrepris par l’Etat partie (la Tunisie) en vue de la maîtrise foncière des terrains situés dans la zone classée et l’invite à les poursuivre et les renforcer et lui demande de «soumettre au Centre du patrimoine mondial les projets d’étude et de mise en valeur du cirque romain et celui de la stratégie d’étude et d’investigations archéologiques et de conservation du bien, ainsi que les évaluations d’impact sur le patrimoine avant que des décisions irréversibles ne soient prises, en vue de leur examen par les organisations consultatives».

Tout le monde avait cru que cette mise en garde était suffisante pour secouer les esprits et intensifier la coopération entre les parties prenantes au plus haut niveau décisionnel d’autant plus que le comité en question avait fixé la date du 1er décembre 2019 comme dernier délai pour soumettre au Centre du patrimoine mondial un rapport actualisé sur l’état de conservation pour examen par le Comité du patrimoine mondial lors de sa 44e session en 2020. Mais on a vite dû déchanter.

Des décisions de démolition sans suite

Les vestiges du site antique de Carthage risquent de se perdre pour toujours dans les méandres de la convoitise et de la bêtise humaine. La révolution n’a fait que compliquer encore  plus la donne. Des permis de bâtir ont été octroyés à des  citoyens avant la chute du régime de Ben Ali  dans  cette zone puis ont été retirés après 2011. Un imbroglio de plus dans cette zone, nous fait savoir Zied El-Hani président de l’arrondissement municipal Carthage-Byrsa- Salammbô nouvellement créé et relevant de la municipalité de Carthage.

El-Hani nous explique que plus de 350 décisions de démolition ont été prises mais  n’ont pas été exécutées. Dans ce contexte, il a tenu à bien clarifier les choses. L’application de ces décisions de démolition ne doit nullement être sélective. Elle concernera tous les contrevenants, à commencer par l’Etat lui-même puis les personnes aisées  pour que les gens issus des autres classes sociales ne pensent pas  qu’ils constituent le maillon faible et ne se  sentent pas lésés par ces décisions. La loi s’applique à tout le monde, sans exception.

Toutefois, les bonnes intentions ne suffisent pas et le dossier auquel fait face le président du nouvel arrondissement municipal Carthage-Byrsa- Salammbô est très complexe et si nos décideurs se cantonnent dans l’immobilisme, les conséquences seront désastreuses sur  le site de Carthage, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. Il s’agit, semble-t-il, d’une décision politique qui doit être prise au plus haut niveau, nous confie sous le couvert de l’anonymat un conseiller. Certaines parties se renvoient toujours la balle  au sujet de cette situation qui se complique de plus en plus. Tout récemment, l’institut national du patrimoine  a souligné que la municipalité de Carthage n’a pas mis à exécution 40 décisions de démolition publiées depuis 2013.

De son côté, Zied El-Hani a déclaré que c’est à la police municipale qu’incombe la responsabilité d’exécuter les décisions de démolition. Ainsi le conseil municipal se trouve-t-il dépourvu du mécanisme le plus important à même de mettre en application les décisions émises par les autorités relevant de la tutelle du ministère des Affaires culturelles et des mairies. S’agit-il d’une lacune procédurale ou d’un laxisme exagéré ? C’est au département de l’Intérieur de répondre à ces interrogations. 

Un rapport parti en fumée

En dépit du décret-loi n° 2011-11 du 10 mars 2011, relatif au parc archéologique national de Carthage Sidi Bou Saïd et notamment l’article 4 qui stipule la création d’une commission chargée de la régularisation des situations foncières dans les zones relevant du parc archéologique national de Carthage Sidi Bou Saïd, à l’effet de garantir le respect de son caractère archéologique, historique et architectural »,  la situation demeure des plus confuses et à quelques mois de l’ultimatum fixé par l’Unesco, les vestiges de Carthage sont toujours engloutis  par les constructions illégales. Les  parties  impliquées dans ce dossier s’accusent mutuellement et certains départements se désengagent déjà de toute éventuelle responsabilité quant à la prise par l’Unesco de décisions irréversibles se rapportant au classement du site de Carthage.

En 2014, des pressions émanant d’hommes d’affaires notoires et de personnalités influentes ont été exercées sur l’ancien ministre des Affaires culturelles, Mourad Sakli, en vue de mettre au placard un rapport consacré à la délimitation de la zone  archéologique et aux propriétaires de titres fonciers. Le rapport en question fut élaboré par la commission spéciale créée selon l’article 4 susmentionné  mais il n’a jamais vu le jour, selon notre  source.  

Comme par hasard, les autorités de tutelle ont très vite  réagi à certaines informations qui circulaient et mettaient en cause la politique du gouvernement en matière de sauvegarde  du site antique de Carthage et ont expliqué que l’Unesco n’avait pas l’intention de rayer le site archéologique de Carthage de la liste du patrimoine mondial. Le même démenti a été formulé cinq ans après, plus précisément en juin 2019, par le directeur général du Patrimoine en raison de la fin du délai de l’Unesco qui approche rapidement. Pour nos décideurs, ils doivent se dire demain est un autre jour ou demain, on ne sera pas de l’équipe gouvernementale.

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