Dans le secteur privé comme dans le secteur public, plus on s’approche du sommet de la pyramide hiérarchique, moins les femmes sont présentes. Dans le domaine de l’énergie, le pourcentage de femmes qui occupent les postes de direction est très faible (dans le secteur privé, il est à peine de 6%). Pourtant, la gent féminine représente 58% des étudiants dans les filières relatives aux sciences de l’énergie. Un paradoxe qui reflète la condition féminine en Tunisie.
N’en déplaise aux détracteurs de la cause des femmes, l’égalité entre les sexes reste un droit bafoué. Les chiffres sont têtus et montrent que malgré les lois qui ont été mises en place pour permettre à la gent féminine de pénétrer la sphère économique, les femmes au travail sont à la traîne. Pourtant, les bienfaits économiques de la participation des femmes à la population active ne sont plus à démontrer et ont été mises en évidence par plusieurs études. Le secteur de l’énergie ne déroge pas à cette règle. Considéré comme étant un secteur historiquement dominé par les hommes, le secteur de l’énergie se caractérise toujours par une faible présence féminine qui frôle à peine les 20%. Pour braquer les lumières sur ce sujet, le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie (MIME) et la « Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit » (GIZ) ont organisé, récemment, le forum des femmes leaders dans le secteur de l’énergie en Tunisie. L’événement a servi de cadre d’échanges entre des femmes leaders dans le domaine et a été ponctué de témoignages et de présentations.
L’objectif était de débattre de la place de la femme dans le secteur de l’énergie mais aussi des moyens qui permettent aux femmes de briser le plafond de verre et de s’affranchir des barrières qui les empêchent d’accéder notamment aux postes techniques et de management.
La gent féminine représente 20% du personnel de la Steg
A la Steg, une entreprise publique qui joue un rôle central dans le secteur de l’énergie en Tunisie, la présence et la représentation des femmes restent timides. C’est ce qui ressort de l’étude qui a été réalisée en 2021 et qui a fait l’objet de l’intervention de Leila Bouteraa, directrice de la formation au sein de la Steg. Il s’agit d’une étude mandatée par la Berd, avec l’assistance technique du cabinet de conseil EY. Elle a été effectuée dans l’objectif de préparer un plan d’action pour l’égalité du genre au sein de la société à l’horizon 2030. L’étude s’inscrit, par ailleurs, dans le cadre du programme de transformation des ressources humaines « Steg Talent 2030 », qui vise à préparer la Steg aux transitions importantes qui touchent l’énergétique, l’écologique et le numérique à travers un capital humain capable de relever les défis futurs liés à ces transformations majeures. Ainsi, l’étude a permis d’effectuer un diagnostic en interne, en une première phase, grâce à une enquête de terrain auprès d’un échantillon représentatif de 350 agents qui a porté sur plusieurs aspects, notamment le parcours professionnel au sein de la société, les avantages accordés aux femmes en termes de rémunération et de régime horaire et les perspectives d’évolution de carrière. L’étude a révélé que la représentation de la femme au sein de la Steg est de l’ordre de 20%. Un taux proche de la moyenne mondiale (22% dans le secteur de l’énergie) mais au-dessus de la moyenne de la région Mena (16%). L’analyse des résultats selon les activités dévoile que la majorité des femmes occupent des fonctions dites « support » (Ressources humaines, audit, commercial …). Elles sont beaucoup moins présentes dans les postes techniques (transport, distribution et production de l’énergie), représentant seulement 7% de l’ensemble de cette catégorie de métiers.
Les femmes rarement combatives face aux obstacles
Même si la société compte 300 ingénieures femmes, elles sont peu nombreuses celles qui parviennent à gravir les échelons. En effet, le taux de responsabilisation des femmes au sein de la Steg ne dépasse pas les 21% avec seulement 16 directrices qui ont pu décrocher le titre de directrice (18% du top management). Selon Bouteraa, derrière ces chiffres, se cachent la réalité de la condition féminine et des barrières culturels. « Il y a même de l’autocensure. On a décelé cela dans l’enquête qu’on a mené. En effet, à chaque frein, à chaque obstacle, il y a peu de femmes qui se montrent combatives, et souvent elles jettent l’éponge, surtout dans le domaine technique, car dans les autres métiers, les femmes sont beaucoup plus présentes, et donc, elles ont beaucoup plus de chances d’accéder aux postes de responsabilité », a-t-elle affirmé dans une déclaration à La Presse.
Dans une prochaine étape, la Steg se penchera sur la sensibilisation des managers pour les associer à cette démarche vers la parité homme-femme, mais aussi des femmes pour leur apprendre à se mettre en avant. « Nous avons tout un programme de formation qu’on va mettre en place avec l’appui des partenaires et des bailleurs de fonds, à savoir la GIZ, Usaid et la Berd qui vont accompagner la Steg dans sa transformation. Il faut profiter de l’amélioration des conditions de travail telle que la flexibilité des horaires. La Steg doit mettre en place des mécanismes permettant aux femmes de concilier vie familiale et travail et de progresser dans leurs carrières », a-t-elle ajouté.
Premier obstacle, l’absence du soutien familial
Du côté du secteur privé, c’est le même son de cloche. C’est ce qu’a affirmé Hélène Ben Khemis, sous-directrice chargée des projets de recherche, innovation et développement des compétences à l’Anme dans une déclaration accordée à La Presse. Cheffe du projet « promotion du rôle des femmes dans le secteur énergétique » qui a été lancé en coopération avec la GIZ, Ben Khemis a révélé les résultats d’une enquête, la première de son genre en Tunisie, qui a touché 130 entreprises opérant dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique et employant près de 3.000 personnes. En effet, 28% seulement des postes dans ces entreprises sont occupés par des femmes. Pour les fonctions administratives, la parité est atteinte (et même légèrement dépassée) mais au niveau des postes techniques, la part réservée aux femmes n’a pas dépassé les 22%.
Plus on s’approche du sommet de la pyramide hiérarchique, moins les femmes sont présentes. 6% seulement des postes du top management sont occupés par des femmes. Il est clair que, dans le secteur privé, il est beaucoup plus difficile de progresser dans sa carrière en tant que femme. Pourtant, la gent féminine représente 58% des étudiants dans les filières relatives aux sciences de l’énergie. « Il est vrai qu’il y a le cadre institutionnel et réglementaire qui exige la parité et l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais, en réalité, il y a aussi des obstacles d’ordre culturel, social. Parfois ce sont les femmes qui renoncent à l’idée de l’entrepreneuriat ou à la promotion professionnelle. Il est encore difficile pour les femmes de concilier travail et vie familiale. Ce n’est pas un phénomène propre à la Tunisie, puisque mondialement le secteur de l’énergie est un secteur masculin, 32% seulement des postes du travail dans le secteur des énergies renouvelables sont occupés par des femmes », a-t-elle précisé. Ben Khemis a ajouté que l’enquête a également porté sur les barrières à l’entrepreneuriat féminin dans le secteur des énergies renouvelables. Il en est ressorti que la première cause qui empêche les femmes de se lancer dans l’entrepreneuriat dans ce secteur est l’absence (ou du moins le manque) de soutien familial. Ensuite, il y a les stéréotypes de genre selon lesquels les femmes ne sont pas capables de gérer une équipe et de commander.
Un parcours exceptionnel
Livrant son témoignage sur son parcours de combattante pour mettre sur pied « Hawkar », une startup spécialisée dans la mobilité électrique dédiée aux personnes à mobilité réduite et en situation de handicap physique, Khadija Jallouli s’est épanchée sur son parcours professionnel, mais aussi sur les difficultés rencontrées en tant que femme dirigeante d’entreprise. Bravant son handicap et faisant de sa particularité une source d’inspiration, la jeune trentenaire ne lésine pas sur les efforts pour faire progresser la startup toujours en phase MVP. « La discrimination flagrante à l’égard des femmes et qui saute aux yeux, il n’y en a pas vraiment. Je n’ai senti aucune différence entre un gérant ou une gérante de startup. On galère tous ! Il y a d’autres challenges dans le domaine de la mobilité électrique, en Tunisie. On commence à peine à pénétrer le marché, même si à l’étranger notre activité est considérée comme étant de l’amélioration et non pas de l’innovation. Bien sûr, le fait de ne pas trouver facilement des financements, quand on est basé en Tunisie, représente le plus grand challenge pour une entreprise telle que la nôtre », a-t-elle expliqué dans une déclaration à La Presse. La levée de fonds en point de mire, la jeune dirigeante affirme que le prochain objectif est d’homologuer le prototype créé et d’entamer la phase pilote.