«Felouques» est un beau livre construit à quatre mains, par la poétesse Ahlem Ghayaza et le photographe Pierre Gassin. Ses textes et photos subliment encore plus la beauté des îles Kerkennah.
Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Lui, Pierre Gassin, à l’accent chantant des méridionaux, est originaire de l’Isle-sur-la-Sorgues en France. Pendant le confinement, il vient s’installer à Kerkennah, «le cœur de la Méditerranée», comme il le clame lui-même. Il poursuit alors un travail photographique de l’archipel entamé voilà quelque temps.
Elle, Ahlem Ghayaza, est normalienne et surtout poétesse originaire de l’archipel. Ses textes sont bercés par les rythmes, les couleurs et les lumières de sa terre-mère, de sa terre qui est plus qu’ailleurs…mer. Durant le confinement lorsque Ahlem Ghayaza pense à éditer son premier recueil, elle retrouve dans les photos de Pierre Gassin l’écho tant de son univers intérieur que des images de son enfance sur l’île.
Alors, se pose et s’impose une évidence : ils publieront un livre à quatre mains, où les photos de l’un conversent avec les poèmes de l’autre, entraînant la sensibilité et le regard du lecteur dans un monde encore plus merveilleux, plus onirique et parfois plus ludique. Des mots et des clichés qui subliment la beauté d’une île aux paysages féeriques, livrée comme un bateau ivre aux quatre vents de la Méditerranée.
Les mots bleus d’Ahlem Ghayaza
Dans un style dénué de ponctuation tel un signe assumé de sa liberté de mouvement dans l’espace et le temps de la littérature, Ahlem Ghazaya écrit dans «Séparation» : «Ma felouque je la pousse vers l’horizon/ Je mets ma douleur dedans/ Je mets mon enfant à l’eau/ Et l’envoie à tous les pharaons»
Elle invente plus loin dans un poème, dénué de toute fioriture, intitulé «A Raz-De-Marée»: «Dans ma bicoque/ Sur l’île enchantée/ J’ai un chien une orange et du papier».
Elle note encore dans ce même texte : «Et lorsqu’échoue sur la rive molle/ La vague égarée/Le palmier trempe de son vin le sol assoiffé/Et le chien dresse l’oreille au bruit de ton pas étoilé».
Des mots assurément de couleur bleue, d’une simplicité, d’une sincérité et d’une élégance extrêmes imprimés sur du beau papier perlé rappelant la brillance de la Grande nacre de Kerkennah.
Des photos, une grâce reconstituée
Les photos de Pierre Gassin baignent, elles, dans une grâce infinie. Elles ressuscitent une spiritualité qui se dégage d’un territoire perdu en pleine Méditerranée. Une mer très particulière, jouant à se déguiser en marée haute et en marée basse, au gré des heures et des saisons. De sublimes couchers de soleil avec leurs dégradés flamboyants.
Des barques rudimentaires, nommées «felouques», inchangées depuis le temps des Phéniciens. Des «charfiyas» (pêcheries fixes en palmiers classées par l’Unesco en tant que patrimoine mondial en décembre 2020), qui construisent dans la grande bleue des barrières en dentelles. Un peuple de pêcheurs, qui cultive et mange la mer depuis des millénaires… Tout cela offre à Pierre Gassin une matière riche et changeante selon les heures de la journée. Le photographe n’arrête pas d’être fasciné par «cette jonction du paysage, de la lumière, du mouvement et du regard qui allaient matérialiser l’instant», comme le relève Ahlem Ghayaza dans l’introduction de l’ouvrage.
Les silhouettes des enfants de l’île sur les barques et sur les plages prises en ombres chinoises donnent au livre un aspect graphique et pleinement esthétique. Eclairés en contrejour, les ombres chinoises, qui ponctuent le livre, accentuent son ambiance poétique.
Pierre Gassin exposera ses photos de Kerkennah du 12 novembre au 7 décembre à la librairie Fahrenheit, à Carthage.