Accueil A la une FTDES | Marginalité sociale, marginalité spatiale : Les iniquités d’une population oubliée…

FTDES | Marginalité sociale, marginalité spatiale : Les iniquités d’une population oubliée…

Ce mercredi 5 octobre 2022 s’est tenue une table ronde au sujet de la marginalité sociale en Tunisie, organisée par le Ftdes (Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux). L’objectif : présenter les cahiers N°7 qui mettent en avant les enjeux de l’inégalité et de l’intégration dans les zones périphériques du pays des populations oubliées des décisions étatiques.

La marginalité est ce concept qui désigne un espace déconnecté de son environnement et est exclu de toutes formes de développement, social et économique. Il est souvent vulnérable et faiblement doté des infrastructures essentielles à une population. Une notion qui se retrouve au cœur des préoccupations du Ftdes et de ses collaborateurs, soulevant les questions fondamentales de dignité, liberté et justice sociale au sein du système actuel tunisien.

En ce sens, le projet présenté s’est axé sur l’effet d’exclusion d’un point de vue géographique et porte sur des études diverses pour exprimer le propos. Une équipe de géographes, sociologues et urbanistes a publié ce travail axé sur trois points : les processus constitutifs de la marginalité, les lieux et formes de liens sociaux dans les quartiers informels ainsi que les échelles spatiales de la marginalité. Une recherche de mise en lumière sur ces situations précaires, qui projette des alternatives palliatives afin de réintégrer l’espace et la population au sein des dynamiques de la ville.

Des interventions qui intègrent la population (habitant et usager) comme un acteur à part entière dans l’emploi de stratégies pour lutter au droit à la ville et à ses équipements, en participant aux propositions d’aménagement afin d’assurer une cohésion sociale et un urbanisme inclusif. Aménager sans fractures ni blessures, un enjeu primordial pour les collectivités de demain.

Des espaces de construction anarchiques

Les zones périphériques et frontalières subissent les frais d’un contrôle fragile du pouvoir public depuis la Révolution de 2011. Ce manque de considérations a engendré l’augmentation des zones dites de quartiers informels, des espaces de constructions anarchiques, instables et inégales pour les populations. Des zones où des milliers de Tunisiens ont élu domicile, face à des marchés fonciers hors de prix dans les agglomérations. Cette situation met en avant de nombreux enjeux menaçants tels que les impacts écologiques, sanitaires ou encore éducatifs. En effet, l’approche ethnographique de plusieurs quartiers du Grand-Tunis nous l’accorde; il résulte bien plus d’un problème d’égalités des chances vis-à-vis des politiques publiques plutôt que d’une histoire de revenus et d’économie.

Les chercheuses Najem Dhaher et Rym Haloues Ghorbel ont notamment abordé les cas du bassin de Raoued ou du quartier Smayette, qui fait face à une véritable rupture médicale. La zone souffre d’une très mauvaise accessibilité aux transports en commun,  et dresse une carte sanitaire quasi-déserte pour ses habitants, formant un déséquilibre de ce système vital dans la société. Certains doivent parcourir entre 1 et 2 kilomètres par jour pour accéder aux équipements nécessaires, comme les dispensaires, les administrations ou encore les écoles.

On remarque aussi une vulnérabilité environnementale, où de fortes densités démographiques se retrouvent sur des terrains à vocation naturelle, inadaptés à la construction et sujets à des problèmes d’évacuation lors d’intempéries. Un problème de pollution majeure des sites se constate face à un ramassage des déchets anecdotique. On assiste alors à la mise en place de décharges en plein cœur des quartiers, qui mène jusqu’à des encombrements de cours d’eau. Le manque d’espaces verts et de parcs urbains aggrave les conditions de vie, ainsi que les fortes nuisances qu’apportent les usines voisines, les grands axes routiers et l’aéroport, néfastes pour la tranquillité des habitants.

Des infrastructures en mauvais état

C’est ce stress urbain, comme qualifié par Mme Amel Hammami Montassar, lors de la conférence, qui entretient la division sociale. Elle a notamment abordé la situation de Carthage et de son espace urbain hiérarchisé. La route 23 qui traverse la ville a provoqué une coupure à la fois spatiale et sociale, bien visible, qui engendre avec elle une forte ségrégation. D’un côté, la zone riche, propre et bien desservie par les transports car non loin du palais présidentiel. De l’autre, un quartier délaissé, avec des infrastructures mauvais état et sans aucun projet de réhabilitation. Une situation qui met en danger le patrimoine riche du site, face à des zones riveraines dont l’attitude est devenue défavorable.

Car, face à ce sentiment d’abandon et d’oubli, on constate auprès de la population une forme de renfermement, qui produit un effet sur les interactions au sein même des communautés. Cette vulnérabilité pousse certains à l’illégalité, quand la rupture avec le monde extérieur se fait sentir. Dans le quartier de Bhar Lazrek à la périphérie de la Marsa, on enregistre un taux de déscolarisation mêlé à une hausse du trafic de drogue. La raison, une bipolarité de la commune. La Marsa enregistre des chiffres prometteurs quant à l’avenir de son attractivité touristique dans le centre-ville et ses plages, face à une banlieue surchargée de 50 mille habitants, où 25 mille seulement sont déclarés. Un espace très mal desservi en transports qui défavorise les conditions d’embauche et de scolarisation des jeunes. Une contrainte conditionnée par ce lieu de vie qui tend à se reproduire dans ce climat d’inégalité des chances, résultat de la malédiction des dynamiques urbaines.

Cette absence d’infrastructures vitales au sein d’une société résulte d’une mauvaise gouvernance dans laquelle la protection, le confort et le plaisir de ces citoyens sont censés en être les piliers fondamentaux. Les espaces d’une même agglomération doivent pouvoir se développer équitablement, de même pour la conscience de leurs habitants. En ce sens, le futur de ces zones conflictuelles résulte de la réussite tributaire de tous les acteurs de cette marginalité. Une décentralisation des pouvoirs auprès des collectivités territoriales est vitale afin d’assurer l’inclusion des périphéries et effacer ce sentiment illégitime d’impuissance. Le droit à la dignité du peuple doit désormais être une priorité pour l’État s’il souhaite éradiquer cette disparité. Des campagnes de sensibilisation à l’environnement, par l’instauration du tri des déchets notamment, permettra cette synergie entre la population et les autorités. Une potentielle volonté d’aménagement équitable qui favorisera le sentiment d’appartenance et de valeur à la société, dans le respect des lieux et du vivre-ensemble sans aucune distinction de hiérarchisation.

Inès ZARROUK

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