Accueil A la une Mouvements, mobilisations, manifestations… : Le parcours d’une Tunisie qui proteste

Mouvements, mobilisations, manifestations… : Le parcours d’une Tunisie qui proteste

 

Les protestations ne sont point inconventionnelles dans l’histoire de la Tunisie. Elles se poursuivent en fonction des politiques qui y répondent en réprimant et invisibilisant les revendications portées par différents acteurs.

Dans sa dernière étude baptisée « Les protestations sous le filtre du contrôle ‘’moral’’ : Retour sur les événements de l’hiver 2021 en Tunisie », le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) a consacré un chapitre entier à l’histoire ‘’récente’’ des protestions en Tunisie.

En effet, l’idée de protestation, en étant qu’acte d’opposition voulue à des injustices, n’est pas nouvelle en Tunisie. Ces protestations étaient souvent liées à des luttes pour la dignité, les droits économiques et sociaux, l’indépendance, la libération, etc. Emeutes ou manifestations ont été des formes selon lesquelles s’invente un désir politique de ‘’lutte’’, qui a toujours trouvé comme espace de prédilection l’espace public, alors que la gouvernance se déroule dans des lieux clos.

Une opposition ferme au clientélisme de l’Etat, la corruption, l’impasse…

Sous le règne de Bourguiba, deux actes de protestations majeures peuvent être décrites : le « jeudi noir » et les « émeutes du pain ». Les premières protestations du « jeudi noir » ont eu lieu vers la fin de janvier 1978. Elles étaient dirigées par des syndicalistes de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt). Les grèves se sont transformées en émeutes et ont débouché en une cinquantaine de morts selon les discours officiels, mais plus de 500 morts, selon la Ligue tunisienne des droits de l’homme. La répression était organisée par Zine El Abidine Ben Ali qui a succédé Bourguiba et qui a été « détrôné » par la révolution de l’hiver 2010 – 2011. Ces événements étaient une opposition ferme au clientélisme de l’Etat, à la corruption, et l’impasse qui commença dès lors à s’afficher. Le 31 décembre 1983, une loi de finances présentée par le gouvernement de Mohamed Mzali a entraîné des mesures d’austérité, suite à des négociations avec le Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Selon cette loi, les prix des produits céréaliers devraient augmenter drastiquement. C’est ainsi qu’ont débuté les émeutes les plus importantes depuis l’indépendance. Baptisés « émeutes du pain », ces mouvements étaient caractérisés par une extrême répression policière par le régime. La colère des Tunisiens face aux mesures prises, à l’enrichissement de certains contre l’appauvrissement d’autres, le chômage, etc. Une montée a été observée au cours de ces émeutes qui ont commencé dans la région de Gafsa pour s’étendre aux autres villes et gagner la capitale, et laisser une centaine de morts.

Un caractère violent et chaotique…

Prétextant son caractère « violent » et « chaotique », les médias nationaux et internationaux ont été au service de la répression, en désignant les émeutes et les émeutiers par des appellations en lien avec leur prétendu
« incivilité». Ainsi, « chaos »,
« troubles », « bandits », « vandalisme », «inexplicables »,
« émoi », « ivres de vengeance », « pègre»,
« frustrés », « envieux », « provoquées par des intégristes », sont des mots qui ont été utilisés.

Ce genre d’événements n’est pas unique dans l’histoire du pays, même si les formes diffèrent. Rompant avec le mythe de la « tunisianité » et l’exception, des mouvements de protestations ont continué à exister, face à la répression. Certains ont pu se rendre visibles et d’autres se sont dissipés, sans laisser de traces, étouffés par le poids d’une répression qui perfectionne de plus en plus la violence.

Parmi les mobilisations pré-révolutionnaires, la révolte du bassin minier en 2008 est signifiante. Les émeutes ont commencé, suite aux résultats d’un concours de recrutement à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Les habitants, qui ont remarqué avoir été écartés des promesses du développement, ont entamé une protestation qui a duré plusieurs mois. Les arrestations, la condamnation à de lourdes peines des manifestants, les morts, et la désignation des boucs émissaires qui a pu suivre ces mouvements ont contribué à faire « boucler » l’affaire de Gafsa.

Une libération de la peur

D’autres protestations parcellaires et éparpillées ont eu lieu. Cependant, la mutation de ces mouvances en une révolution généralisée a dû attendre l’arrivée de la révolution de l’hiver 2010 – 2011. En effet, la chute du régime de Ben Ali a eu lieu, suite à la vague de protestations, où les quartiers « s’enflammaient ». La situation révolutionnaire étalée du 17 décembre au 14 janvier était caractérisée par deux mouvements : les manifestations dans les avenues principales pendant le jour et les émeutes dans les quartiers populaires pendant la nuit. Quoique les acteurs fussent différents, il était question d’une libération de la peur qui s’est faite en investissant la ville. L’histoire des protestations ne s’est néanmoins pas arrêtée là. Des mouvements de protestations divers ont continué de rythmer le lien politique en Tunisie.

Décrites comme étant des « explosions sociales », les protestations reviennent de manière cyclique en signant tantôt une frustration par rapport à des désillusions, tantôt une colère populaire, et tantôt obéissant à un rapport périlleux avec le pouvoir, qui se fait hériter d’une génération à l’autre. La répression et les actions publiques ont continué à peupler le quotidien tunisien et certains mouvements se sont caractérisés à la fois par la violence, l’incompréhension, et la répression de cette violence.

Des heurts violents avec la police

Face à cette répression, les mouvements ne peuvent que se répéter indéfiniment. D’autres mouvements protestataires ont eu lieu par la suite, malgré la pandémie du Covid-19 et les discours populistes qui ont pu anesthésier et empêcher relativement la colère.

Des protestations en lien avec des questions d’accès à l’eau, la pénurie des denrées alimentaires, l’inflation, les protestations du mouvement du Kamour, les grèves des corps professionnels, ont été documentées. Les populations déshéritées ont continué de réclamer leurs droits et à dénoncer les injustices. La cartographie de la contestation sociale demeure vive et mutante. Les clivages continuent de les guetter du dedans et du dehors.

Par ailleurs, une autre vague de revendications politico-sociales, qui a débuté durant la deuxième partie du mois de janvier 2021, était marquée par des formes divergentes. Il s’agissait d’un côté d’une série d’émeutes nocturnes et d’un autre de manifestations diurnes dites pacifiques. Ces événements ont coïncidé avec le dixième anniversaire de la Révolution, dans un contexte marqué par une mauvaise gestion de la crise pandémique, un marasme économique ayant touché une grande partie de la population, ainsi que des crises de gouvernance.

Février 2021 s’annonce aussi chaud

La vague des protestations ne s’est pas atténuée au cours du mois de février. En effet, 1.235 protestations ont été signalées, comparé à 705 en 2020 et 1.235 en 2022. Les acteurs qui ont participé à ces protestations étaient inaccoutumés. Le mouvement de la « mauvaise génération » et les militants pour la légalisation du cannabis et contre la loi 52 ont posé de nouvelles questions relatives à la « morale » et en lien avec leur mode de revendication « non normatif ». Il s’ensuivit donc un traitement répressif.

Les acteurs politiques en question ont été maltraités par la police, arrêtés, harcelés, dénigrés publiquement sur les pages du syndicat policier, et stigmatisés par le public. Alors que les militants habituels étaient peu présents, plusieurs organisations de la société civile et partis politiques ont montré leur accord au mouvement populaire. Ils ont également appelé leurs partisans et adhérents à participer aux manifestations de jour. Perçues comme étant une faiblesse organisationnelle et un signe de violence « illégitime » plutôt que l’expression d’une revendication légitime, les émeutes qui ont eu lieu durant cette partie de l’hiver 2021 étaient marquées par l’exclusion, qui était le motif et la réaction. Filtrées « moralement » par les politiciens et les commentateurs, leur avènement était « nocturne » et mis à l’écart. Pour conclure, l’étude indique que les protestations ne sont point inconventionnelles dans l’histoire de la Tunisie. Elles se poursuivent en fonction des politiques qui y répondent en réprimant et invisibilisant les revendications portées par différents acteurs.

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