On commémore, chaque année, nos zones humides, sans qu’on pense, un jour, à leur bonne gestion et aux conditions nécessaires à la protection de leur environnement. Sauf de simples actions de sensibilisation limitées dans le temps qui nous rappellent, tout juste, leur état des lieux qui laisse encore à désirer. Et rien n’est fait jusque-là !
Zones humides, ce patrimoine naturel à l’écosystème exceptionnel, on en compte, au total, plus de 200 couvrant 8% de la superficie du pays, et dont une quarantaine sont déjà classées sites Ramsar de par leur grande importance internationale. S’appellent ainsi les vastes étendues d’eau, temporaires ou permanentes, douces ou saumâtres et les plaines inondables aux alentours. Voilà, en fait, de quoi se composent nos sebkhats et lagunes, les chotts, les îles, les oueds, les golfes, les tourbières et bien d’autres plans d’eau, où nichent notamment des milliers d’oiseaux migrateurs et poussent des végétations naturelles et aquatiques. A cela s’ajoutent les barrages, les salines et les lacs collinaires, considérés comme des zones humides artificielles.
Une idée figée
Parlons-en ainsi, experts internationaux et associations spécialisées sont, tous, unanimes sur la valeur écologique et économique de ces zones et leur rôle capital dans la conservation de la faune et de la flore, mais aussi la génération des revenus pour des populations entières. Celles dont la vie dépend, étroitement, de ces milieux aquatiques hypersensibles à toute activité humaine abusive, subissant toutes les formes de pression tant anthropiques que naturelles et d’exploitation à n’en plus finir. Ils sont devenus un patrimoine en péril. Après la révolution, plusieurs crimes écologiques ont été, alors, pointés du doigt. Et pourtant, on ne les dote pas encore d’une stratégie nationale de gestion. L’idée en est restée, jusque-là, figée et non élaborée, sauf que des concertations multipartites déjà engagées, il y a peu de temps, avaient, alors, débouché sur des outputs pas encore adoptés. Et il fallait passer encore du temps pour revenir à la question.
C’est qu’un 3e atelier de réflexion a eu lieu récemment à Tunis, au cours duquel le WWF, la direction générale des forêts (DGF) et des associations concernées ont tenu à relancer le débat focalisé sur l’intérêt de gratifier nos zones humides d’une stratégie de conservation et de gestion. Ce dont un draft fut alors présenté, en version actualisée, avec les recommandations des précédents ateliers. Mais, rien n’est encore finalisé. L’on doit s’attendre à ce que le projet prenne corps. Cette stratégie, comme l’avait prévu Hela Guidara, sous-directrice de la chasse et des parcs nationaux à la DGF, une des parties intervenantes, aurait dû être fin prête en 2019, soit quatre ans après son lancement. Et voilà encore quatre ans déjà, on ne voit rien venir. Elle demeure, encore, à ses premiers balbutiements. Et le WWF-Tunisie, son chef d’orchestre, semble-t-il, n’a pas communiqué sur un tel retard fort remarqué. Ni même le ministère de l’Agriculture, représenté par son DGF, n’a eu des précisions à donner. Jamais une idée ou stratégie n’a fait du chemin dans ce pays. Ironie du sort !
Nos zones humides réduites de moitié !
Entre-temps, nos zones humides, une manne naturelle à bien des égards, sont, de plus en plus, vouées à l’abandon. Pourtant, l’Etat n’a pas manqué de ratifier autant des conventions liées à la question, dont particulièrement celle sur la diversité biologique et la fameuse convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale, à laquelle notre pays est adhérent depuis 1980. 43 ans plus tard, on n’arrive même pas à mieux cerner l’étendue de nos zones ni leur dédier une stratégie de bonne gestion. D’autant plus qu’on ne sait rien de leurs vertus éco-systémiques, leurs habitats et leur potentiel socioéconomique, étant donné que ces zones humides sont toujours reconnues être une véritable source de vie et de revenus pour la population autochtone. Voire un gage de durabilité et de développement des régions entières. Ghar El Melh et le parc Ichkeul à Bizerte, Korba à Nabeul, Chott Jerid, Sebkhat Séjoumi à Tunis, Oasis de Nefzaoua, Golfe de Gabès, pour ne citer que ceux-là sont un exemple type.
Pourtant inscrites sur la liste de Ramsar, ces zones ont failli à leur mission et perdu, toute proportion gardée, leur vocation stratégique. Leur dégradation n’est plus à démontrer. « A l’échelle nationale, quelques zones humides sont considérées comme des réserves naturelles ou des parcs nationaux. Cependant, ce statut ne protège pas réellement les sites concernés, comme on l’a vu dans le cas de la tourbière de Dar Fatma à Jendouba », estime Mohsen Kalboussi, universitaire, biologiste de formation et acteur actif dans les milieux associatif. Dans une interview accordée à la TAP, Faouzi Maâmouri, expert international en gestion et conservation de la nature et ancien directeur et fondateur du WWF Bureau Afrique du Nord (Tunis), a dû enfoncer le clou : « Plus de 50% des zones humides naturelles en Tunisie ont subi une perte totale ou des modifications profondes. Pis encore, la majorité des zones humides d’eau douce situées autour de la Medjerda, ont disparu durant les 50 dernières années ». Et bientôt, le 2 février prochain, l’on fêtera, comme chaque année, à l’instar des 171 pays signataires de ladite Convention de Ramsar, la Journée mondiale des zones humides. Une journée qui s’est vue, souvent, réduite à sa plus simple vocation cérémoniale. Sans suite !
Objectifs sous réserve !
Alors, qu’ont-ils fait le WWF ou la DGF pour la sauvegarde de nos zones humides ? Ils sont en train d’en discuter et tracer les contours d’une stratégie nationale de conservation qui tarde à venir. A priori, l’objectif était, selon des sources autorisées, « d’assurer une gestion rationnelle et durable de nos zones, ce qui permettra ainsi de contribuer à l’adaptation au changement climatique, à l’atténuation de ses effets et à la protection des ressources hydriques du pays ». Idem, d’après le WWF, cette stratégie, une fois réalisée, serait de nature à mettre à jour l’inventaire de ces zones, leur cartographie, à même d’assurer leur promotion et améliorer leur notoriété à une large échelle. Ce qui pourrait nous renseigner sur les indicateurs clés liés aux ODD (Objectifs du développement durable). Ceci étant, à moins que la stratégie, déjà en gestation, fasse défaut. Et que tout cela ne soit des paroles en l’air, tout bonnement ! Du reste, c’est une stratégie sous réserve.