Ayed Koussai a nourri un intérêt grandissant pour l’art de la marionnette en rencontrant Mounir Rawehii, marionnettiste de 53 ans. Ce dernier est dévoué pour sa passion depuis 33 ans, jusqu’à en faire un métier. « Mounir » est un court métrage réalisé par Ayed Koussai. Le film est un portrait d’artiste qui met en lumière une discipline artistique peu visible. Son jeune réalisateur nous en dit plus.
« Mounir, Ghraam Mahabech Youfa » est bien le titre révélateur de votre premier court métrage. Comment est née l’idée de faire un film autour de « Mounir », ce marionnettiste à la fois méconnu, intriguant et fascinant ?
Je suis étudiant à l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information), filière communication. J’ai 21 ans et dans le cadre de nombreux stages estudiantins, nous sommes emmenés à réaliser des reportages et à filmer. Il se trouve qu’en 2022, je faisais un stage dans le festival JAMC (Les Journées des Arts de la Marionnettes de Carthage) à Tunis. Je n’avais aucune idée sur les arts de la Marionnettes. J’étais partie à la découverte. Lors de l’ouverture de l’édition, je faisais des prises et je filmais les spectacles faits par des marionnettistes. Dans cette effervescence, « Mounir », m’avait interpellé. Il était marionnettiste, et faisait plaisir aux gens présents. Il avait une fougue qui ne laisse pas indifférent et tout ce qui comptait pour lui c’était susciter de la joie chez les spectateurs. Ce jour-là, il a commencé à pleuvoir beaucoup. Tout le monde partait se mettre à l’abri, sauf « Mounir ». Cet homme a continué à manier sa marionnette, malgré les vents et la pluie. Il était trompé et recevait tout dans le visage. C’est comme si il faisait de la résistance pour pratiquer son art, jusqu’au bout et malgré tout. Ça m’avait bouleversé et je n’ai pas pu cesser de le filmer.
Vous êtes étudiant à l’Institut du journalisme. Pourquoi avoir décidé de faire un film court autour du personnage de « Mounir » et de son art, plutôt que d’en faire un reportage filmé ?
J’ai toujours fait du théâtre et ce, depuis mon plus jeune âge. J’en faisais à l’école et je vouais déjà une passion dévorante pour le 4ème art depuis mon plus jeune âge. Je voulais faire production et cinéma, avant de finalement opter pour l’IPSI et le journalisme. Un moment d’hésitation qui a finalement abouti à mes études. Je faisais des « Stand Up » notamment dans des cafés. Des essais personnels sur scène qui n’ont finalement pas abouti. Et je me suis dit, pourquoi ne pas réaliser un premier film, d’autant plus que je viens de lancer ma chaine Youtube ? J’ai toujours pensé faire un film dans lequel je jouerais, mais les choses se sont fait autrement. J’ai fouillé dans toutes les prises vidéos de « Mounir », d’où l’idée de faire un portrait autour de cet artiste. Et puis, j’ai vu grand … j’ai eu l’idée d’écrire un scénario, d’en faire une fiction, pour finalement faire un documentaire et relater la réalité. Je me suis adressé à « Mounir » directement. On a fait connaissance, au fur à mesure, tout en filmant le festival et ses nombreux spectacles. De fil en aiguilles, j’ai commencé à connaitre « Mounir ». J’ai exprimé cette idée personnelle, qui disait que « les arts de la marionnette restaient méconnues du grand public » et je lui ai exprimé ma volonté de réaliser un film dans le but de chasser cette idée fausse, et de rendre cet art plus accessible, de le mettre encore en lumière.
Pourquoi avoir fait appel à d’autres spécialistes pour parler de cet art dans le film et de ne pas juste t’adresser à « Mounir, l’artiste » pour en savoir plus sur cette spécialité artistique ?
L’idée de base s’était éclaircie autour de « Mounir » et de ses marionnettes pour évoquer davantage les dessous de cet art. Je me suis focalisé sur le savoir de « Mounir » et de sa compétence dans ce domaine. « Mounir » est autodidacte et a appris tout seul à manier cet art de la marionnette. Il n’est pas passé par « Le Centre des Arts de la Marionnette de Tunis » et n’a pas fait de formation autour de cette discipline. Il pratique depuis déjà 33 ans. A un moment, je tenais à élargir mes horizons dans le film autour du sujet. J’ai donc cherché d’autres noms connus de la scène des Arts de la Marionnette en Tunisie pour enrichir le contenu, d’où ma prise de contact avec M.Lassaad Mahouechi et Bachir Jaled, deux pionniers. Ils en ont fait des études, des formations et sont spécialistes. « Mounir » s’est heurté à des difficultés de taille pour accéder à ce savoir, qu’il a finalement affiné tout seul.
Quels sont les dessous de tournage de ce premier court métrage documentaire ?
Le tournage m’a pris une semaine. Du matin au soir, je tournais et faisait des prises. Un mois pour le montage et énormément de contenu. Pour entrer en contact avec M. Lassaad Mahouechi, j’ai galéré. L’administration tunisienne est dure à contourner. J’ai dû faire une demande et avoir une autorisation de la part de l’administration de mon institut pour filmer et m’entretenir avec lui. Ça m’a pris 4 mois, pour une entrevue ordinaire de 30 minutes seulement.
Quelle idée aviez-vous sur les Arts de la marionnette avant le film et après sa réalisation ?
Je pensais que cette pratique artistique n’existait que pour les enfants. Mais non ! Cet art sur scène traite de sujets et de thématiques lourdes et a son industrie textile et scénique de taille. Dans le cadre de spectacles, les arts de la marionnette peuvent faire travailler un menuisier, un couturier, un portraitiste, un scénariste. Pas moins de 7 métiers ! Toute une dynamique économique se créer autour des marionnettes. L’Etat devrait soutenir cet art utile et encourager les gens à venir le découvrir. Les médias, ou la télé nationale devrait mettre davantage cet art en lumière. Mon film défend deux causes majeures : Ne plus voir cet art comme étant seulement pour enfants et chasse cette idée reçue qui dit que la marionnette est juste un objet qu’on fait bouger. C’est faux ! Il faut respecter le marionnettiste et l’équipe qui travaille autour de cet art et qui est derrière la scène. Ne pas oublier ses concepteurs. La configuration des spectacles des marionnettes a fait en sorte d’éclipser les marionnettistes et de mettre en avant davantage leurs marionnettes, puisque c’est ces derniers qu’on voit tout le temps sur scène. Il n’y’a pas de marionnette sans le savoir de son marionnettiste.
Croyez-vous à la pérennité de l’art de la Marionnette ?
Je vois l’abandon de cet art qu’en Tunisie. Ailleurs, l’art de la marionnette est une discipline très développée et enseignée dans les plus grandes universités. Elle est en phase avec l’époque et la technologie. Des spectacles se font en 3D et plus encore, dans des festivals de marionnettistes très prisés. En Tunisie, l’art de la Marionnette stagne ! Pourtant, pleins d’artistes qui vivent de cet art se battent encore pour leur savoir. Pleins de marionnettistes m’avouent qu’ils se nourrissent des émotions suscités chez le public, chez les personnes qui regardent. C’est grâce à cet impact provoqué qu’ils font de la résistance. Les marionnettistes sont des artistes généreux, aimants, adorateurs de la vie, joviaux. C’est aussi un art qui peut épouser le numérique. Le digital ou le numérique sont désormais un support. Il ne faut pas être ingrat envers l’art de la marionnette. Il ne faut pas lui tourner le dos. Venez faire la connaissance de notre marionnettiste « Mounir », 53 ans. Dans ce film et pendant 25 min, il nous entraine dans son univers si distingué. L’avant-première de mon film court documentaire a eu lieu à Dar Bach Hamba, le mardi 24 janvier 2023. En attendant d’autres dates qui seront communiquées. J’invite tout le monde à la découverte. Ne vous découragez pas. Je tiens à dire à tous que si vous avez une idée, voyez grand et persévérer pour la réaliser. Pour finir, Je remercie Hamza Bouchnak qui m’a prêté généreusement la musique du film. M.Lassaad Mahouechi pour son intervention. Toutes celles et ceux qui sont intervenues dans le film et qui ont cru en ce projet.