Accueil Culture 2e édition du Festival Manarat – Rencontre avec Yousry Nasrallah: «C’est à travers l’incarnation dans les corps que se fait la poésie»

2e édition du Festival Manarat – Rencontre avec Yousry Nasrallah: «C’est à travers l’incarnation dans les corps que se fait la poésie»


Le cinéaste nous a parlé de son dernier film «Le Ruisseau, le Pré vert et le Doux Visage» qui sera d’ailleurs projeté aujourd’hui jeudi 4 juillet gratuitement, à la plage de la Marsa.


Le festival Manarat dans sa deuxième édition, qui se poursuit jusqu’au 7 juillet, a concocté pour son public une rencontre avec le cinéaste égyptien Yousry Nasrallah. Différents professionnels du cinéma, journalistes, critiques et autres amateurs et cinéphiles toutes générations confondues étaient au rendez-vous, mardi dernier, au cinéma Alhambra à la Marsa.

Annoncée sous la forme d’un masterclass dans le programme du festival, la rencontre a, plutôt, pris des allures d’une conversation entre le cinéaste et Michket krifa. Cette dernière est spécialiste de la photo arabe, elle collabore avec de nombreuses institutions et organise de nombreux évènements en Afrique et au Moyen-Orient. Elle est, également, commissaire indépendante en arts visuels.

Dans cette conversation qui s’est faite en langue française, Hichem Belkhamsa s’est livré à la dure tâche de la traduction (en anglais). Et ce ne fut toujours pas évident de ne pas trahir les propos du cinéaste, la fougue, la passion qui s’y dégagent…

Né en 1952 au Caire, Yousry Nasrallah est connu pour transgresser les codes sociaux et les genres cinématographiques.

Il obtient une maîtrise à la Faculté d’économie et sciences politiques à l’Université du Caire, avant de se diriger en 1973, vers des études en cinéma à l’Institut du cinéma du Caire. Entre 1978 et 1982 il travaille en tant que critique de cinéma au quotidien libanais As-Safir (al-Safir). A partir de 1982, il est l’assistant de Youssef Chahine sur La Mémoire (1982), sur «Adieu Bonaparte» (1984), «Alexandrie, encore et toujours» (1990) et «Le Caire raconté par Youssef Chahine». Il est, par ailleurs, le coscénariste de deux de ses films.

C’est en 1987 qu’il réalise son premier long métrage de fiction «Vols d’été», présenté la même année à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. En 1993, il signe «Mercedes», son second long métrage, et en 1999, «La Ville». Il est également l’auteur d’un documentaire intitulé «À propos des garçons, des filles et du voile», pour la chaîne de télévision européenne Arte et de «La Porte du Soleil», long métrage de fiction adapté du roman éponyme de l’écrivain libanais Élias Khoury. Le film a été réalisé entre 2002 et 2004 et présenté en sélection officielle, hors compétition, au Festival de Cannes 2004. S’ensuivent après ses films «l’Aquarium» en 2007, «Femmes du Caire» et «18 jours» en 2010, «Après la bataille» en 2012 et «Le Ruisseau, le Pré, vert et le Doux Visage» en 2016.

Michket krifa ne manque pas de revenir sur le premier film du réalisateur «Vols d’été. Cette œuvre autobiographique, comme elle le note, fut subversif et avant-gardiste dans la forme, car employant la première personne du singulier dans la fiction, une approche considérée comme tabou à l’époque. «Le premier à avoir utilisé cela fut Youssef Chahine», rectifie le réalisateur et de poursuivre : «J’étais à l’époque journaliste à «As-Safir» et le film qui parlait d’un homme arabe amoureux d’une femme juive fut interdit dans les salles. J’avais demandé l’autorisation d’assister à une projection spéciale du film et par la suite j’ai demandé à interviewer pour la première fois Youssef Chahine… Ce film fut une des raisons qui m’ont donné envie de travailler avec lui».

Toujours à propos de son expérience avec Chahine, Yousry Nasrallah revient sur le tournage de «Adieu Bonaparte» qui pour lui a permis la création d’une famille de cinéastes qui y faisaient leurs apprentissages. Il cite, entre autres, Radhouan Al kachef qui est devenu un des plus importants réalisateurs de sa génération, Mariane Alkhouri (productrice), Nahed Nasrallah (costumière) et Asma El Bakri. «Après mon expérience à Beyrouth, mon expérience estudiantine et mes expériences techniques, je me suis dis que j’avais envie de raconter une histoire avec ces gens-là à travers mon premier film «Vols d’été».» affirme-t-il. Plus qu’un métier, le cinéma est une façon de vivre, réplique michket krifa en le paraphrasant pour souligner cette histoire de famille et de fidélité : «Ce métier est tellement compliqué. Pour moi il s’agit de rêver un scénario et de réaliser un rêve et pour cela l’on doit s’entourer d’amis», répond-il en souriant.

Une histoire de corps

krifa souligne le côté transgressif de ses œuvres et son intérêt pour la petite histoire que pour la grande histoire. Serait-ce une manière pour lui d’aborder le commun ou de s’en détacher? demande-t-elle. «Dans «vols d’été», par exemple, qui d’ailleurs n’est pas autobiographique mais contient plutôt des éléments autobiographiques, je parle de la famille qui est une chose très violente et qui suscite beaucoup de peur. Moi j’essaye, dans mes films, de dompter ces peur», répond-il et d’ajouter: «Je ne prévois rien à l’avance pour mes œuvres, j’observe les choses ici et maintenant. Les gens refusent de voir le présent, ils vivent ou dans le passé ou dans le futur. Mes films s’inscrivent justement dans le présent. C’est le cas, entre autres, de «Mercedes» et de «Aquarium». Ce dernier film était dans le contexte de la peur du contact direct entre les gens et de l’isolement social à l’époque de Moubarak. Les gens parlaient clandestinement et étaient inhibés».

A la question de Krifa sur l’isolement et la solitude comme grandes thématiques abordées dans son œuvre, le cinéaste précise que ce n’est pas le fait d’aborder de grands sujets qui le motive. Pour lui, il s’agit plus d’histoires d’amour et de désir. «Dans «La ville» et «Mercedes» également, il y a une physicalité et un érotisme qui m’intéressent. La présence du corps, le corps chair, le corps sécrétions, le corps dans toutes ses manifestations et dans tous ses états est importante pour moi. Un corps longtemps et toujours occulté dans nos écrans. Ce qui m’intéresse le plus c’est ce que fait le corps par rapport aux grands sujets, aux grandes idées» précise-t-il et de poursuivre que pour lui il ne s’agit pas de filmer des idées mais plutôt leurs incarnations physiques et palpables et que c’est à travers l’incarnation dans les corps que se fait la poésie comme c’est le cas dans le cinéma de Tarkovski.

Yousry Nasrallah nous a, aussi, parlé de son dernier film «Le Ruisseau, le Pré, vert et le Doux Visage» qui sera d’ailleurs projeté, le jeudi 4 juillet gratuitement, à la plage de la Marsa. A la philosophie épicurienne et hédoniste comme le suggère michket krifa, le film a été tourné, tout de suite, après son documentaire «À propos des garçons, des filles et du voile». «J’avais été avec le protagoniste du documentaire dans son village ou j’ai rencontré ses cousins qui cuisinent pour les grandes fêtes et célébrations du village. Ce qu’il font est semblable à ce que fait le cinéma c’est-à-dire offrir un plaisir général», raconte-t-il en poursuivant: «Je voulais raconter des histoires simples comme manger, faire l’amour et vivre. Je dis toujours que c’est mon film le plus politique alors qu’il n’y a pas de politique…Ne luttons nous pas pour des choses qui font notre plaisir?»

Pour ce qui est de ses inspirations, le cinéaste dit se nourrir de tout, cela peut être la musique populaire égyptienne, l’œuvre de Francis Bacon ou encore du Douanier Rousseau. Fan de séries TV, il souligne son admiration pour Twin Peaks de David Lynch qui, selon lui, constitue un incroyable champs d’expérimentation. En cinéma ses films importants sont, entre autres, ceux de Buster Keaton, de Rainer Werner Fassbinder, Roberto Rossellini et Hitchcock.

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