La crise du secteur laitier alimente de plus en plus les débats. La pénurie de ce produit inquiète davantage les Tunisiens à l’approche du mois de Ramadan où sa consommation augmente et où la pénurie atteindra un million de litres par jour. La réforme de ce secteur est devenue une urgence.
Les éleveurs, agriculteurs et industriels proposent plusieurs solutions pour sauver la filière dont en particulier la solution à long terme qui consiste en la subvention de la filière de l’aliment pour le bétail, qui a augmenté de 25% en seulement deux ans. Ils estiment en effet qu’il faut subventionner la filière de l’aliment au bétail, comme le fourrage et les légumineuses. Pour eux, ce qui ne leur permet pas de développer cette filière, c’est la monoculture des céréales, car c’est un secteur qui est subventionné, notamment le blé dur. Ils s’indignent contre l’importation du concentré pour nourrir leurs bêtes alors que les prix flambent.
Ils indiquent, en outre, que l’augmentation du coût de production et celui de la vente doivent se compléter au même rythme, ce qui n’est pas le cas en Tunisie, et ils déclarent qu’ils ne peuvent plus continuer à vendre en dessous du coût de production.
La situation est alarmante aujourd’hui quand on voit que le problème ne réside pas en réalité dans le stock stratégique de lait dont dispose la Tunisie, mais plutôt dans la production.
De l’avis des professionnels, la solution n’est autre que la réévaluation du prix de vente du lait au producteur. Les éleveurs vendent à perte et ça fait plus de deux ans que ce prix n’a pas été revu à la hausse.
Un autre problème non moins important refait surface depuis quelque temps, il s’agit d’un phénomène qui a pu nuire fortement à l’industrie laitière, à savoir la contrebande. Il semble, aux dires des éleveurs, que les opérateurs du marché parallèle dictent leurs lois et imposent des prix élevés aux éleveurs qui n’ont le choix que d’obtempérer car le marché légal est parfois dépourvu de quantités suffisantes en fourrages et foin. L’éleveur est donc obligé de recourir au marché parallèle pour poursuivre son activité. D’où la nécessité d’assainir le circuit de distribution de ce produit en s’attaquant aux spéculateurs.
L’autre solution proposée par les professionnels concerne le ciblage de la subvention au consommateur, «en vendant le paquet de lait à sa juste valeur à ceux qui en ont les moyens et à le subventionner pour ceux qui sont dans le besoin».
Annulation des taxes sur les importations de lait en poudre en 2023
En Tunisie, les importations de lait en poudre et de beurre seront exonérées de taxes en 2023. C’est ce que prévoit la nouvelle loi de finances pour ladite année fiscale.
Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une stratégie visant à soutenir l’approvisionnement du marché laitier local en vue de prévenir une pénurie de l’offre. Elle intervient surtout dans un contexte où la filière est en proie à une crise sans précédent.
Selon les données de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap), les quantités de lait collectées quotidiennement atteignent près de 1,4 million de litres, alors que la moyenne de consommation quotidienne s’élève à 1,8 million de litres. L’Union indique en outre que le stock de réserve stratégique se situe actuellement à un niveau de 5 millions de litres contre un stock de 40 millions de litres à la même période un an plus tôt.
«Si la nouvelle décision de l’exécutif devrait permettre de stimuler les importations pour rendre la denrée disponible, elle ne devrait pas pour autant résoudre le problème soulevé par les producteurs qui réclament une augmentation des prix de vente du lait pour continuer à produire».
En Tunisie, le coût de production du litre de lait s’élève à plus de 1,65 dinar (0,53 $), alors que le prix alloué au producteur n’est que de 1,14 dinar (0,36 $), selon l’Utap.
Dans le même contexte, l’Utap et l’Utica ont lancé un cri d’alarme depuis plus d’une année appelant le gouvernement à mettre fin à cette crise qui menace l’ensemble de la filière lait et de «réfléchir à une solution urgente et des mesures salutaires dans le cadre d’un dialogue responsable».
Faut-il savoir que des pertes ont été cumulées par les éleveurs, les centres de collecte ainsi que les industries de transformation du lait et des produits dérivés. «Des pertes qui induisent par ricochet à une croissance de l’endettement et une mise en péril de l’activité en question».
Les deux organisations ont évoqué également la problématique accablant la filière lait en Tunisie, à savoir la dépréciation du dinar face aux devises étrangères indispensables au paiement des intrants nécessaires ayant fortement impacté ces coûts.
Concernant toujours la révision des prix, une étude a été menée faisant ressortir que ladite révision ne devrait pas être moins de 200 millimes par litre, pour l’éleveur, 55 millimes pour le collecteur et 100 millimes pour l’industriel.
Epuisement du stock stratégique de lait
Les données publiées récemment par l’Observatoire national de l’agriculture reflètent le déclin des systèmes de viande blanche et de lait, deux mois avant le mois de Ramadan, qui connaît généralement une croissance de la demande pour ces produits de consommation.
La baisse de la performance du système laitier en 2022 est manifestée par une diminution des quantités collectées à raison de (5%), soit 746 millions de litres, et des quantités enregistrées dans les centres de collecte de lait, de 8% à 597 millions de litres. En conséquence, la Tunisie a connu une baisse de son stock stratégique de lait de 32,1 millions de litres en 2021 à 7,2 millions de litres en 2022, ce qui a affecté le système de distribution et la disponibilité de ce produit de base pour les consommateurs.
Dans une récente déclaration sur les ondes d’une radio privée, le président du syndicat indépendant des agriculteurs Midani Dhaoui, a averti que le stock stratégique de lait a été épuisé, de sorte que la crise du lait va s’aggraver, notamment après la majoration des prix des fourrages et des aliments pour bétail.
Dhaoui s’est dit contre l’importation de lait en poudre prévue dans le cadre de la loi de finances 2023, car elle va nuire à la filière. Paradoxalement, il a indiqué que la Tunisie enregistre un surplus dans la production laitière annuelle, ce qui permet de le transformer sur place en poudre, d’autant qu’il existe une usine spécialisée dans cette transformation.