Alors que s’achèvent les célébrations du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la Fondation Rosa Luxembourg a invité deux féministes algériennes de la génération des pionnières pour débattre des droits des femmes dans leur pays. Il s’agit de Wassyla Tamzali et Fatma Oussedik. Un face-à-face dynamique, intelligent et passionnant.
Autour d’un débat intitulé «Algériennes, de la Révolution nationale à la Révolution féministe», Wassyla Tamzali, 80 ans, écrivaine, juriste et ancienne directrice des droits des femmes à l’Unesco, à Paris, et Fatma Oussedik ont évoqué des expériences, des réflexions et des actions inspirées d’un long parcours de militantisme personnel et collectif.
Une discussion à la Cité de la Culture, modérée par Narjess Torchani, program manager à Rosa Luxembourg, et suivie par un public dominé par des personnalités féministes tunisiennes. Toutes se connaissent bien pour avoir longtemps travaillé ensemble au sein du collectif de plaidoyer, «Maghreb Egalité 95».
«Nous pensions être socialistes»
Cet entre-deux où, souvent, la vision et les points de vue se rejoignent et se complètent, a été marqué par un va et vient entre le passé et le présent. Le féminisme des années 80 et 90 face à celui du hirak (2019-2021). Et même bien avant lorsqu’en 1947 naissaient, se rappelle Fatma Oussedik, la première association de femmes algériennes et dans son sillage des revendications hautement féministes articulées à un patriotisme. Mais l’indépendance a oublié les femmes. Pour résumer une situation d’injustice et d’ingratitude, la sociologue a cité Romain Gary : « Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme la haine de l’autre», ajoute la sociologue.
Pour l’ancienne directrice des droits des femmes à l’Unesco et qui fut également avocate à la Cour d’Alger de 1966 à 1977, dans la situation actuelle, la seule pensée politique, qui vaille et fasse sens dans les sociétés maghrébines, se concentre dans le féminisme.
«Lorsque nous avons commencé notre vie politique après l’indépendance, nous pensions être socialistes. La question du marxisme a complètement disparu aujourd’hui. On arrive à un niveau tel de décadence et de nihilisme politiques qu’on ne parle que de qui va remplacer qui. Or, personne ne sait que propose la personne qui cherche à remplacer telle autre», témoigne Wassyla Tamzali. La militante est convaincue que la construction de l’avenir politique des trois pays du Maghreb passe par la question des femmes et leur participation dans la vie publique : «C’est ce qui me permet de me lever tous les matins et de continuer à me dire féministe», avoue-t-elle.
«Défendre nos points de vue»
Dans la perspective du mouvement féministe algérien, le hirak, protestation populaire et pacifique contre le pourrissement de la vie politique, qui s’est étendu entre 2019 et 2021 en Algérie, représente un moment important. «Magique ! ». « Lumineux !», lanceront, à tour de rôle, les deux intervenantes. De ces mobilisations sociales, Fatma Oussedik, qui était sur le terrain de la révolte ayant conduit entre autres à la démission du président Bouteflika, retient tout d’abord la mise en place du Carré féministe, dont elle était l’une des initiatrices. Un Carré, qui avait pour objectif de «défendre notre point de vue. Nos revendications particulières. Afin de ne pas se faire prendre de nouveau. Ne pas servir encore une fois de force d’appoint !», pointe-t-elle.
Menacées au départ de violences, elles ont su trouver leur place au sein des marches hebdomadiers du vendredi où leurs banderoles scandant des slogans tels : «Nous sommes l’Histoire à venir», «Nos droits, c’est tout le temps et partout», ou encore : «La démocratie se fera avec les femmes ou ne se fera pas !» ont fini par être hissées par de jeunes hommes. Justement c’est la figure de la jeunesse qui retient l’attention de la sociologue.
«La jeunesse a incarné pour nous la merveilleuse surprise du hirak. Nous ne lui faisions pas confiance pourtant, déçues par la baisse du niveau de l’enseignement. Mais cette figure du hirak s’est révélée d’un courage inouï, prenant des risques, résistant jusqu’au bout et payant dur son engagement», fait remarquer Fatma Oussedik.
Wassyla Tamzali est du même avis, en évoquant les nouvelles féministes algériennes : «Elles sont plus libres que nous. Il y a chez elles une colère, qui vient notamment des conditions socioéconomiques difficiles et du chômage qui marquent leur existence. Nous, nous étions prises dans les réseaux traditionnels de la famille, nous n’avons pas renversé la table, ni teint nos cheveux en rouge. Elles se sont également affranchies des carcans politiques, qui ont imprégné le début du féminisme algérien développé dans le giron de partis politiques de gauche».