• Plainte déposée en raison des conditions inhumaines et dégradantes des migrants tunisiens en Italie en instance de rapatriement.
• Réunis en sommet européen à Bruxelles en février dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement optent pour le renforcement de la lutte contre l’immigration illégale. «Ériger des murs pour stopper le flux migratoire, une idée qui fait son bout de chemin avec la montée de l’extrême droite en Europe».
Si, du côté des autorités officielles tunisiennes et des associations, le silence est toujours de mise concernant le mauvais traitement des migrants tunisiens dans les centres d’accueil en Italie, il n’en est pas de même du côté d’une partie de la société civile italienne qui tente de faire bénéficier ces migrants d’une assistance juridique à même de protéger leurs droits fondamentaux.
Et c’est suite à un reportage diffusé le 20.01.2023 dans le cadre d’une émission de télévision que le scandale du mauvais traitement de nos migrants a éclaté, poussant l’Association des droits de l’homme pour la promotion et la défense des droits fondamentaux de l’homme — ADU — (une association d’avocats et de juristes qui promeut les droits de l’homme et les libertés fondamentales réglementés au niveau européen et mondial) à réagir et à adresser le 31 janvier 2023 une plainte au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Justice, pour dénoncer les conditions de détention des immigrés au centre de détention Palazzo San Gervasio en vue de leur rapatriement. Cette affaire n’est que la partie visible de l’iceberg.
Des lits et des tables en béton et des sédatifs !
Dans la plainte envoyée par la présidente de l’association ADU, Angela Maria Bitonti, il a été mentionné que d’après le reportage et les images diffusées, on voit clairement «des caillebotis, semblables à des cages, dans lesquelles seraient retenus les immigrés en attente de rapatriement même pour une très longue période (jusqu’à 180 jours). Ils sont enfermés dans des chambres dotées de lits et de tables en béton avec accès à des salles de bains sans porte». Les images qui suscitent plus l’indignation se rapportent à l’administration obligatoire de sédatifs, tels le Rivotril, Tavor et Talofen, à nos migrants en instance de rapatriement.
La présidente de l’association ADU ajoute dans sa plainte que «des associations et des militants ont déjà dénoncé à plusieurs reprises, dans des articles de presse et des reportages, les conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles seraient détenus les migrants en attente de rapatriement, ainsi que la pratique relative à l’administration de psychotropes et de tranquillisants à l’intérieur des CPR «utiles» pour calmer les esprits exaspérés des migrants, majoritairement des jeunes et qui se retrouvent dans de nombreux cas dans des conditions de rétention administrative sans avoir commis le moindre crime, mais simplement parce qu’ils n’ont pas de titre de séjour valable».
«Il est clair qu’en l’espèce il y aurait violation des droits fondamentaux et de la dignité humaine, et notamment, le droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants conformément à l’article 3 de la Cour européenne des droits de l’homme» souligne Angela Maria Bitonti qui a demandé aux autorités concernées de procéder aux vérifications nécessaires et d’exécuter les procédures exigées par la loi.
Priorité au rapatriement
Selon elle, «Des détails troublants et un traitement inhumain destiné aux migrants détenus au Centre de rapatriement du Palazzo San Gervasio en Italie que les ONG de défense des droits humains basées en Europe passent mystérieusement sous silence. Solidarité oblige».
Cependant, la question mérite qu’on s’y attarde puisqu’il s’agit de traitements inhumains à l’égard de migrants en situation de vulnérabilité du fait qu’ils se trouvent en dehors de leurs pays et ne relèvent pas des catégories bénéficiant d’une protection juridique. Toutefois, ils ont besoin d’interventions spécifiques pour la protection de leurs droits, comme le prévoit le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (Hcdh) dans un document publié en 2017 autour des principes et lignes directrices concernant la protection des droits humains des migrants en situation de vulnérabilité.
Le Hcdh est bien clair dans ce registre, «ces principes et lignes directrices sont axés sur la situation des droits humains des migrants qui ne remplissent pas nécessairement les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié, mais qui se trouvent dans une situation vulnérable et ont donc besoin de la protection du cadre international des droits de l’homme».
Si les instruments internationaux de protection existent en matière de protection des droits des migrants, c’est la mise en œuvre de ces instruments qui fait toujours défaut. Et c’est malheureusement le cas de le dire pour les migrants tunisiens en situation de vulnérabilité dans les centres de rapatriement en Italie. Du côté de la rive nord de la Méditerranée, la priorité est au rapatriement.
En effet, réunis en sommet européen à Bruxelles le 9 février, les chefs d’Etat et de gouvernement ont validé des conclusions pour renforcer la lutte contre la migration illégale. «La question du financement par l’Union européenne de murs à ses frontières extérieures est revenue sur la table des débats», rapportent des médias occidentaux. «Protection des frontières, le cas échéant avec des murs, augmentation des retours, solidarité entre Etats membres», selon le journal Le Soir. «Les échanges entre les Vingt-Sept ont été extrêmement vifs, alors que l’Europe a dénombré quelque 330.000 entrées irrégulières en 2022, en progression de plus de 60 % par rapport à 2021», selon le journal Le Monde.
Quid des immigrés subsahariens en Tunisie ?
Il va sans dire que c’est la question de souveraineté qui façonne la manière d’agir en matière de lutte contre l’immigration clandestine, qu’il s’agisse de l’Italie ou de la Tunisie ou d’autres pays qui font face à ce fléau qui n’est pas sans risques surtout sur le plan sécuritaire.
Si les mesures prises de l’autre côté de la rive nord de la Méditerranée dans le cadre de la lutte contre l’arrivée massive d’immigrés clandestins laissent indifférents certaines ONG, en Tunisie, l’appel du Président Kaïs Saïed, en faveur de la prise de mesures urgentes contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans notre pays a provoqué une avalanche de réactions de la part notamment de représentants de la société civile et des parties syndicales dont l’Ugtt qui a dénoncé «une campagne raciste contre les Subsahariens», ce qui a nécessité la publication d’un communiqué de la part du ministère de l’Intérieur dans lequel il apporte son démenti aux informations relayées sur les réseaux sociaux relatives à la campagne d’arrestations d’immigrants clandestins».
Pour marquer leur refus aux mesures de rapatriement urgentes, les représentants de la société civile ont par ailleurs organisé samedi 25 février une manifestation de soutien aux immigrés subsahariens à Tunis.
Selon des sources judiciaires, plusieurs immigrés clandestins de l’Afrique subsaharienne ont été arrêtés ces derniers jours, en particulier à Kasserine où 97 personnes avaient été écrouées.