Accueil Magazine La Presse Moncef Ben Soltane, ancien volleyeur de l’AS Marsa: «C’était la conquête de l’Ouest !»

Moncef Ben Soltane, ancien volleyeur de l’AS Marsa: «C’était la conquête de l’Ouest !»

L’histoire du volley tunisien retient le nom de Moncef Ben Soltane comme l’un des meilleurs joueurs  de tous les temps. Il forma avec Raja Hayder et Naceur Bounatouf le trio magique du grand Avenir de la Marsa d’antan.

Né le 18 mars 1948 à Tunis, il signe en 1961 sa première licence avec l’équipe minimes marsoise. Entre 1964 et 1972, il appartient au team seniors de l’Avenir, avant d’effectuer entre 1973 et 1983 un petit saut du côté du voisin goulettois-kramiste: d’abord en tant qu’entraîneur- joueur (deux saisons), puis comme entraîneur.  Ben Soltane a remporté 4 championnats et 6 coupes de Tunisie avec l’ASM, et 1 championnat avec l’EOGK. Son odyssée en équipe nationale dure toute une décennie (1964-1974), avec à la clé trois championnats d’Afrique des nations (1964, 1967 et 1971) et plusieurs championnats maghrébins remportés, en plus de la participation aux Jeux olympiques Munich-1972, aux Jeux méditerranéens 1967 et 1971 (4e place à Izmir) et à nombre de championnats et coupes du monde.

Entraîneur, notre invité a, tour à tour, veillé aux destinées de l’EOGK (1972-1985, et 2007-2009), Attadhamen du Koweit (1984-1990, 1994-1999 et 2002-2007) et la Saydia Sport (2000-2002 et 2009-2014).

Prothésiste dentaire formé en Belgique, il est marié et père de deux enfants.

Enfant de Bab Souika, et promis par conséquent à pratiquer le foot à l’EST, comment êtes-vous venu au volley-ball et à l’ASMarsa? 

J’étudiais au lycée de Carthage où mes copains pratiquaient le volley. Un jour, ils soufflèrent à notre professeur qu’il y a un bon gabarit qu’il peut piloter vers l’Avenir de la Marsa. Les frères Nafaâ ont fait le reste en me convainquant de signer pour le club du Safsaf où j’ai trouvé une famille qui m’a très vite adopté. A commencer par les frères Bey, Rachid, mon idole, et son frère Habib qui était l’entraîneur de l’équipe. D’ailleurs, je leur dois beaucoup.

Cette fabuleuse génération marsoise a outrageusement dominé la scène nationale, ne laissant aux autres que des miettes…

Durant trois ans de suite, l’Avenir a remporté le doublé cadets, puis trois fois le doublé juniors. Arrivée chez les seniors, cette génération dorée a, coup sur coup, empoché 4 championnats et 6 coupes.

De qui se composait-elle ? 

De Raja Hayder, Naceur Bounatouf, Rachid Bey, Hamadi Tej, notre premier passeur, Moncef Attia, Chedly Fazaâ, Ridha Nafaâ. Viendront après Behi Ouayel, Mourad Nafaâ, le frère de Ridha… Notre entraîneur Habib Bey nous a pris dans la catégorie cadets, nous accompagnant jusqu’au dernier souffle de notre épopée.

Votre famille vous a-t-elle encouragé à pratiquer le sport ?

Mon père Amor étant décédé en 1956, c’est ma mère Zbeida qui nous a élevés. Elle m’a encouragé à percer dans le volley pour la simple raison qu’elle estimait que c’était une occupation saine et bénéfique pour la santé, en tout cas bien meilleure que les mauvaises fréquentations.

Quelle était votre idole ?

Le «Sang et Or» Hassine Belkhodja et le Marsois Rachid Bey. En les voyant jouer, je me demandais si un jour je pourrais les égaler.

En 1972, entraîneur, vous quittez l’Avenir pour aller entraîner l’Etoile Olympique de Goulette-Kram. Pourquoi ?

A cause d’un différend avec le directeur technique Habib Bey sur le respect de l’horaire des entraînements et la discipline. Notre sélectionneur Broz n’a eu de cesse d’insister sur le respect d’une discipline stricte et rigoureuse, et je voulais installer ce modèle-là à l’Avenir. J’étais parti avec Hamadi Tej à l’EOGK où j’ai trouvé les Lamouchi, Ben Slimène, Ben Sedrine, Ben Othmane, le Français Paul Arnaud… Nous avons terminé la première saison à la 3e place, alors que le club était habitué à lutter contre la relégation. L’année suivante, nous avons enlevé le championnat. L’EOGK a également disputé trois finales de coupe. J’y suis resté une bonne dizaine d’années en tant que joueur-entraîneur avant de partir exercer dans le Golfe.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Notre première finale de la coupe de Tunisie remportée en 1967 devant l’Espérance de Tunis (3-1). Ce jour-là, on s’était dit: «Nous y voilà !», tout simplement parce que nous avons été formés dans ce but-là: arriver à battre un jour l’EST qui représentait un ogre quasiment invincible. C’était une fixation encore plus importante pour nous que la réussite dans les études quoique nous étions très amis dans la vie avec les joueurs «sang et or». Face à l’EST, notre entraîneur Habib Bey nous a une première fois demandé, par exemple, de marquer 10 points par set, puis, dans le match suivant contre le même adversaire, de remporter un set, et par la suite deux, et ainsi de suite…: une sorte de politique des étapes appliquée au sport.

Cela s’était fait progressivement. Puis vint le jour où notre objectif a été tout simplement la victoire. C’était un peu la conquête de l’Ouest, si vous voulez ! Nous avons fini par prendre l’ascendant sur cette armada. Ce jour-là, j’ai disputé deux finales de coupe de suite: celle juniors, remportée à l’annexe du Palais de la Foire face à la Saydia (3-2), puis celle seniors face à l’Espérance ST.

Et le plus mauvais ?

Ma grave blessure à la cheville à l’entraînement, deux jours avant un match devant l’EST. Nous avons été balayés par notre grand rival (3-0) en à peine une vingtaine de minutes. Le journaliste Ali Safi a, le lendemain, titré: « Le match le plus court de l’histoire du volley tunisien!». Il faut dire que j’étais le pilier de l’équipe marsoise, et ma blessure a dû chambarder tous les plans de l’entraîneur.

Vous rappelez-vous du match le plus curieux de votre carrière ?

Aux Jeux olympiques 1972 à Munich, contre la Corée qui n’était pas encore le monstre sacré du volley mondial que l’on connaît aujourd’hui. Les Asiatiques étaient tellement rapides et imprévisibles qu’on ne voyait pas le ballon revenir. Nous étions habitués à un jeu plus académique où le ballon «prenait le temps dans l’air», comme on dit. Résultat: une défaite 15-1, 15-3 et 15-1. Une véritable correction !

Pourtant, la Tunisie avait réussi une année plus tôt, aux Jeux méditerranéens d’Izmir, en Turquie, à terminer quatrième….

Oui, mais cette année-là, nous avons bêtement laissé filer la médaille de bronze. Nous étions tout près de conclure victorieusement notre match face à la Grèce quand une dispute éclata entre deux parmi mes coéquipiers.

L’un d’eux insulta même la mère de l’autre qui venait alors de décéder. Cette querelle a été mise à profit par les Grecs qui n’en crurent pas leurs yeux pour revenir dans le match. Je me rappelle d’une autre remontada à nos dépens: celle de l’Egypte en finale de la coupe d’Afrique des nations 1971, justement en Egypte.

Nous menions 2 sets à 0 lorsqu’il y a eu une coupure de courant qui a duré 1h45.

Cela nous a d’une certaine manière «refroidis». Résultat: l’Egypte a pu revenir à 2 sets partout. Finalement, la Tunisie s’était imposée au 5e set sous les applaudissement du public local, très fair-play et fin connaisseur.

Le match s’est joué au stade de football du Ezzamalek, dans un coin de la touche. Sur les gradins, il y avait le grand public propre à un match de football.

De quel ordre étaient vos primes ?

Nous n’en recevions aucune, à l’époque. Par exemple, pour notre victoire aux championnats maghrébins des clubs champions avec l’AS Marsa face au CS Casa du grand Abderrazak Allem (3-1 en finale à El Menzah), nous avons eu droit à un dîner et un ticket de cinéma.

A votre avis, quels sont les meilleurs volleyeurs de tous les temps

Rachid Bey et Raja Haydar (ASM), Hassine Belkhodja et Youssef Besbès (EST), Samir Lamouchi (EOGK)…

Et les meilleurs entraîneurs ?

Le Tchèque Josef Broz qui nous a tout appris en sélection nationale, en 1968 et 1969, y compris comment se comporter en dehors des parquets. Il créa une formidable osmose entre joueurs venant de plusieurs clubs. C’est ainsi que les Espérantistes Raouf Bahri, Fethi Caied Essebsi… allaient devenir nos meilleurs copains.

Quelle différence y a t-il entre le volley d’hier et d’aujourd’hui ?

Je ne suis pas particulièrement nostalgique. Pourtant, je dois admettre que tout a changé. C’était un tout autre modèle dans l’approche du sport. Jadis, c’était constamment la fête, un miracle permanent. Notre sport était très populaire.

Au stade Zéphyr de la Marsa, on voyait des spectateurs accrochés aux arbres parce que tous les sièges étaient occupés. On savait donner du plaisir.

Aujourd’hui, il n’y a plus aucune action réfléchie ou spectaculaire, les échanges très brefs. Je me rappelle d’un quart de finale de la coupe de Tunisie ASM-EOGK conclu au 5e set par (16-14). Feu Nejib Khattab a alors écrit dans son journal: «Dame coupe poursuivra-t-elle sa randonnée entre La Goulette et La Marsa ?».

Je me rappelle aussi d’un match où l’Egypte menait (14-2) contre le Maroc et n’était plus qu’à un petit point de la victoire. Eh bien, ce point manquant, les Pharaons allaient trimer avant de l’arracher face au brio du Maroc de Abderrazak Allem qui revinrent à (13-14).

Comment analysez-vous le déclin du volley national ?

Depuis une bonne trentaine d’années, des gens n’ayant aucun lien avec le volley se trouvent à la fédération. Aucun critère objectif ne préside au choix du cadre technique national; aucune commission technique n’est mise sur pied, sauf en 1983-85 par Feu Zizi Belkhodja. Les dates des conseils nationaux ou fédéraux prêtent à équivoque, puisqu’ils se tiennent systématiquement l’été, soit au moment où les clubs renouvellent leurs bureaux directeurs.

Les anciens joueurs sont marginalisés. Bref, le volley est malade de ses dirigeants et de leurs pratiques laxistes. Sans rigueur ni discipline, on ne peut aller nulle part !

A votre avis, le sport tunisien doit-il intégrer le professionnalisme?

Il l’a déjà fait pour le football, et cela a donné un régime professionnel hybride, bâtard et boîteux. Il me semble prématuré d’instaurer un régime professionnel. Sinon, les autorités seraient bien inspirées d’instituer un plafond des salaires.

Que vous a donné le sport ?

Il m’a instruit et tout appris: à bien me comporter dans la société, à bien me tenir à table…. Il m’a également permis de connaître des gens devenus des frères pour moi. Grâce au volley-ball, j’ai fait le tour du monde.

Le seul grand pays que je n’ai pas visité est le Japon. Il faut dire qu’en sélection, Mustapha Mazigh, responsable à l’Espérance, ne faisait jamais de ségrégation entre les joueurs venant de l’EST et ceux de l’ASM.

Parlez-nous de votre famille ?

J’ai épousé, en 1973, Naziha, ancienne traductrice à l’ambassade américaine. Nous avons deux enfants: Selima, chirurgienne dentiste, et Malik qui gère une société d’import-export.

Comment passez-vous votre temps libre ?

J’aime écouter les grandes voix classiques: Fayrouz, Oum Kalthoum, Abdelwahab, Ismahane… J’aime aussi m’adonner aux plaisirs de la pêche, et regarder à la télé les films policiers, de guerre, d’action, d’espionnage, western.. Je ne suis pas trop porté sur les fameux plateaux politiques. Je ne supporte pas leur cacophonie et le manège des disputes en direct.

Etes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?

Malgré toutes les épreuves, la Tunisie saura trouver le salut. Je ne peux qu’être optimiste, comptant sur la maturité et l’esprit de modération du Tunisien.

Si vous n’étiez pas dans le sport, dans quel autre domaine auriez-vous aimé exercer ?

Tout jeune, mon frère m’avait transmis le virus du Septième Art. Cet univers me subjugue. J’ai d’ailleurs failli faire des études de metteur en scène.

Enfin, dans votre for intérieur, vous considérez-vous un homme comblé ?

Oh oui ! Dieu merci, j’ai atteint tous mes objectifs dans la vie. J’ai beaucoup de connaissances à La Marsa, à La Goulette et à Sidi Bou Said notamment.

Je me suis marié avec une femme intellectuelle, j’ai un garçon et une fille. Et le plus important, je suis bien portant. La santé, c’est la chose la plus importante dans la vie.

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