Accueil A la une Tribune | Musée de Carthage : La réhabilitation doit se faire dans le cadre du Plan de protection et de mise en valeur (Ppmv) du site de Carthage

Tribune | Musée de Carthage : La réhabilitation doit se faire dans le cadre du Plan de protection et de mise en valeur (Ppmv) du site de Carthage

 

Par Abdelmagid ENNABLI *

Ce n’est assurément pas la peine d’avoir lancé un concours international pour la « réhabilitation du musée de Carthage », alors que le territoire historique de son site archéologique est livré à l’abandon comme décharge sauvage et à la spéculation immobilière. Dans pareil cas, au lieu d’être la vitrine lumineuse d’un patrimoine prestigieux, le musée serait le tombeau obscur d’une civilisation annihilée car c’est le site archéologique qui nourrit et enrichit le musée par le matériel et le savoir qui en sont extraits et, sans cette ressource, le musée ne manquerait pas de péricliter.

Le musée de Carthage est éponyme de l’histoire spécifique du lieu où il se trouve : un site où est née et s’est développée une civilisation qui a régné sur la Méditerranée durablement, deux fois sept siècles.

De ce haut lieu qu’est Byrsa, le musée est l’émanation. Il en détient à la fois le privilège et l’exclusivité. Il ne saurait exister sans le territoire qu’il représente, car l’exposition des objets extraits de son sol n’est qu’une manifestation évocatrice qui renvoie à la visite du site lui-même, ses monuments, ses quartiers, ses ruines, ses chantiers de fouille, ses tranchées archéologiques et aussi ses paysages proches ou lointains. Musée et site éponymes sont solidaires et complémentaires l’un de l’autre.

Les bâtiments actuels du musée s’élèvent à l’emplacement d’un immense forum romain bordé d’une majestueuse basilique civile identifiée comme telle et dont une remarquable maquette de l’ensemble a été réalisée. En contre-bas se trouve un quartier d’habitations puniques, remarquable pour sa modernité. L’exposition de sa restitution avant le démantèlement du musée en donnait une explication démonstrative. Il en est de même des autres vestiges. Sacrifier le site archéologique sera priver le musée de ses ressources authentiques pour n’en offrir qu’une image factice.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir agi pour éviter pareille dévastation.

Dès les premières années de l’Indépendance, la Tunisie a pris conscience de la valeur de son passé et déclaré le « territoire de Carthage  zone historique non ædificandi », inscrit dans le Plan d’aménagement urbain (PAU), ceci confirmé par le décret de classement n° 85-1246 du 7 octobre 1985 qui déclare sa vocation à être le Parc archéologique national de Carthage-Sidi Bou Saïd devant faire l’objet d’un aménagement.

Dès le début des années 70, à la demande du gouvernement tunisien, l’Unesco avait lancé une vaste campagne internationale de fouilles qui a démontré la richesse archéologique du site et renouvelé et approfondi la connaissance de son histoire.

En 1990, la création du parc a été confirmée par le chef de l’État et un plan de mise en valeur a été préparé par un comité de pilotage ad hoc, dont l’élaboration a été suivie et approuvée par les plus hautes instances gouvernementales (CMR).

Le Code de protection du patrimoine culturel promulgué en 1994 devait servir de cadre pour entériner le projet par un plan de protection et de mise en valeur (Ppmv).

L’arrêté de création et de délimitation du site culturel de Carthage paru le 4 septembre 1996 devait ouvrir la voie à l’approbation du Ppmv.

Malheureusement, l’ancien président, déchu depuis, trahissant sa haute magistrature, s’est mis à spéculer pour son propre compte sur les terrains classés.

La révolution du 14 janvier 2011 a aboli l’ancien régime et grâce à une pétition internationale, les déclassements illégaux ont été annulés par décret présidentiel (n° 11-2011 du 10 mars 2011).

Dès lors, il est important qu’en application de la Loi de protection du patrimoine culturel, le plan de Protection et de mise en valeur permettant l’aménagement et la valorisation du Parc archéologique national de Carthage, déjà élaboré, soit promulgué.

Les Chefs d’État se succédant, accompagnés d’une multitude de ministres en charge des Affaires culturelles, n’ont pas rempli leur rôle envers la nation, laissant le site devenir une décharge indigne et une proie à la spéculation.

Dès leur nomination, avec vaillance, Mesdames Hayet Khetat-Guermazi, Ministre de la Culture, et Sarra Zaafrani-Zenzeri, Ministre de l’Équipement et de l’Habitat ont eu la volonté et le mérite de publier un arrêté en date du 16 mai 2022, « créant et délimitant le site culturel de Carthage », ouvrant la voie à la promulgation du Ppmv, mais cette décision finale tarde à venir.

C’est un engagement solennel de l’État tunisien à l’égard de l’Unesco et des pays qui ont participé à la sauvegarde du site.

En même temps, grâce aux crédits accordés par l’Union européenne, le concours international pour la réhabilitation du musée de Carthage arrive à échéance. Le choix du jury est à présent publié, mais l’exécution des travaux, en l’état de la situation, ne pourra se faire car le décret 85-1246 du 7 octobre 1985 spécifie à l’article 3 que « sont interdits tous travaux, aménagements et constructions de nature à modifier l’état du site classé ».

Seul le Ppmv permet d’engager ces travaux.

L’Association civile des Amis de Carthage qui milite assidument pour la préservation du site a informé et averti par lettre du 12 janvier 2021 tous les ministères, les autorités et les organismes nationaux et internationaux, en particulier la Directrice du département d’Expertise France et l’Unesco, rappelant à l’occasion du lancement du Programme de réhabilitation du musée l’obligation de la parution du Ppmv, seul document habilité à permettre les travaux.

Deux ans ont passé sans que celui-ci ne paraisse.

Et ceci est d’autant plus grave que le sommet de la colline de Byrsa où se trouvent les bâtiments du musée recèle les vestiges du forum de Carthage (et sans doute le capitole romain) qui ont été dégagés et mis en valeur, et ceux d’un quartier punique. Ils sont importants et exigent des approches qui doivent se faire dans le cadre officiel du Ppmv. En l’état actuel, toute intervention est illégale.

Toutes les autorités, les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre sont tenus de respecter ces contraintes, en particulier l’Organisme de la Communauté européenne en Tunisie « Tounes Wejhetouna » en charge de la réhabilitation du musée de Carthage.

Rappelons que le site de Carthage est inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial. L’Unesco veillera à la légalité de l’intervention.

A.E.

(*) Au nom du bureau directeur de l’Association « Les amis de Carthage », Abdelmagid Ennabli, ancien conservateur du site et du Musée de Carthage (1972-2001).

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Un commentaire

  1. Faculte des lettres, des arts et des humanites de la manouba

    7 avril 2023 à 14:24

    Bravo cher ami et collègue Abdelmagid !
    Que dire du site de Leptis saccagé, volé au su et au vu des passants indifférents ?
    Qui lutte encore pour sauvegarder le Patrimoine,en Tunisie ?

    Répondre

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