Qui dit Ali Kaâbi dit tout de go le premier buteur de la Tunisie en phase finale de coupe du monde, la précieuse égalisation contre le Mexique avant que nos Aigles s’imposent (3-1). Né le 15 novembre 1953 à Tunis, l’ex-latéral gauche du Club Olympique des Transports a signé en 1965 sa première licence (COT minimes). Son premier match séniors, il allait le livrer en 1972 (défaite 1-0 contre l’EST en quart de finale de la coupe de Tunisie), alors que sa dernière sortie remonte à 1986 (défaite 3-2 contre le SSS). Entre-temps, il a renforcé le club saoudien Al Hilal durant la saison 1978-1979. Entre décembre 1973 et 1983, Kaâbi a livré 85 matches en sélection nationale, inscrivant 8 buts. A son palmarès, la Coupe de Tunisie juniors 1971, le championnat saoudien 1979, une présence en phase finale de la coupe du monde Argentine-1978, une médaille de bronze aux Jeux méditerranéens 1975 à Alger, et deux phases finales de coupe d’Afrique des nations 1978 et 1982.
Kaâbi a, par ailleurs, entraîné le COT, l’EOGK, le SAMB et l’ESBK, avant d’assurer les fonctions de conseiller technique à la FTF. Il a enfin présidé aux destinées du club de ses premières amours, le COT.
Ali Kaâbi, tout jeune, fréquentiez-vous souvent les stades ?
Mon père travaillait au service des sports de la municipalité de Tunis. Je vais vous faire une confidence. La première licence que j’ai signée dans ma vie, ce n’était pas dans le football, mais plutôt en natation. J’ai signé en 1964 avec la section natation de l’Espérance Sportive de Tunis du fait que mon père travaillait à la piscine municipale du Belvédère. J’ai nagé dans le bassin avec les Salwa Obba, Ons et Anis Bahri…
Je pratiquais la brasse.
Si Cherif était notre entraîneur à l’EST. A la fin de l’été 1964, Rachid Turki m’a piloté vers le football et le COT. Notre maison était située juste devant le stade.
Votre famille était-elle nombreuse?
Nous étions 4 garçons et 2 filles : Hamadi, Lotfi, ancien joueur, puis directeur sportif du COT, Kamel et moi-même, Meherzia et Faouzia, décédée dans les émeutes du pain en 1984.
Et votre petite famille aujourd’hui ?
Je me suis marié à Radhia Banawas, agent à la retraite de la Cfpt. Nous avons eu deux filles : Olfa, épouse Mehdi Mrad, champion de Rallye, elle est esthéticienne et vivait au Canada; et Faouzia, agent à la Sfbt. Le foyer familial est mon refuge. Je ne suis pas du genre qui fréquente beaucoup les autres. A part un cercle d’amis, les Cherif Riahi, Lotfi Hbal, Ali Mejri, Abdessattar Marrakchi, El Mkass, Hamed Ayari…, je n’ai pas beaucoup de fréquentations.
Le sport vous a-t-il laissé le temps de pousser vos études très loin ?
Non, pas vraiment. J’ai fréquenté le lycée Sadiki jusqu’à la 5e année secondaire avant d’intégrer la BDET en 1973 grâce à notre président, Ferid Meherzi qui était chef de cabinet de Habib Bourguiba Junior. Nous avons eu des dirigeants et présidents qui ont marqué d’une pierre blanche l’histoire du COT : le père spirituel comme on dit Sadok Ben Jemaâ, Abdelkader Ben Cheikh, Abbès Ben Hmidane, Khalifa Karoui, Mustapha Lakhoua, Bouzayaène Yahiaoui, Taoufik Anène, Belhassen Fekih…
Le 2 juin 1978 à Rosario, en Argentine, vous entrez de plain-pied dans la légende en signant le premier but de la Tunisie en phase finale de coupe du monde. Le Mexicain Ayala ouvre le score à la 45e, vous égalisez à la 55e. Ce doit être une grande source de fierté ?
Et comment ! La Tunisie a montré la voie devant tout un continent en remportant la première victoire de l’Afrique au Mondial. Depuis, le nombre des places réservées au continent noir est allé en augmentant. Nous avons aussi tenu en échec l’Allemagne qui était alors champion en titre. Je ne peux pas décrire la joie que j’ai ressentie sur le coup. Mais le mérite de ce but historique revient à tout le groupe, au sélectionneur, au COT, à tout le microcosme du foot national… Mohieddine Habita dit souvent : «Kaâbi ne doit rien à personne». En effet, j’étais le seul membre de l’équipe nationale venant de la deuxième division. La compétition de L2 était arrêtée pour un seul joueur convoqué en sélection: Ali Kaâbi. Pour avoir une place au soleil, il me fallait produire davantage d’efforts que tous les autres.
Ironie du sort, quatre jours plus tard à Rosario, vous vivez l’enfer, ou presque…
J’ai commis l’erreur impardonnable qui a permis à l’attaquant Lato d’inscrire le but de la victoire polonaise (1-0). Je revois Lato dans mon dos qui exploite mon ballon mal dégagé dans une zone «très chaude» des 16,50 m.
J’aurais dû dégager de l’intérieur, j’ai mal calculé la trajectoire du ballon, alors, je me déchire, comme on dit. J’assume une grande responsabilité sur ce but dans un match à forts enjeux. Limam et tous mes coéquipiers ont cherché à me remonter le moral. J’étais sorti seul de l’hôtel où nous résidions pour marcher un peu. Je ruminais toujours ma bourde. En revenant, j’ai trouvé Chetali qui m’a dit : «Si j’ai à choisir mon arrière gauche, ce sera toujours toi!». Le message était clair, rassurant.
Pourtant, ce ne sont pas les latéraux gauches qui manquaient au football tunisien ?
En mon temps, il y avait les Nouri Hafsi, Mohamed Naouali Gouchi, Mohamed Ali Moussa, Amri Malki…Tous d’excellents joueurs, mais sans son manque de sérieux, c’est à coup sûr Gouchi qui se serait largement imposé.
C’est la classe. En fait, j’ai manqué un seul match avec Chetali. Au départ, j’étais la doublure de Amri Malki. Mais une fois celui-ci aligné à l’axe défensif, je n’avais plus quitté le flanc gauche de l’équipe de Tunisie.
Vous avez rejoint la sélection par le truchement de la fameuse sélection-1971…
Oui, mais j’avais fait auparavant les sélections des jeunes. Notre sélectionneur chez les Cadets s’appelle Mustapha Jouili, le père de l’entraîneur Samir.
Avec les juniors du COT, j’ai remporté la coupe de Tunisie 1971. Nous avons joué en lever de rideau de la fameuse finale de coupe seniors CSS-EST (1-0). Notre équipe comptait les Mohieddine, Azak, Guettar, Ferchichi, Essid… Hmid Dhib était notre entraîneur. En fait, pour revenir à votre question, en rentrant d’Allemagne, Ameur Hizem a été chargé de ce projet inédit. On lui confia le soin de qualifier la Tunisie en coupe du monde, un seul pays représentant l’ensemble du Continent. Je débarquais avec les Taoufik Hadigi, Nejib Limam, Khaled Gasmi, Noureddine Ben Arfa, Mohieddine Habita, Naceur Kerrit…On en retrouvera trois ou quatre lors de l’aventure argentine. Mon premier match en sélection, je l’ai disputé le 23 décembre 1973 au Congo Brazzaville (victoire 1-0, but de Mohieddine) lors de la tournée africaine qui nous a également menés en Guinée (0-0) et au Mali (défaite 1-0). Nous avons dîné avec le président Habib Bourguiba qui se trouvait au Congo.
Il y avait avec lui ses ministres qui ont suivi la rencontre : Chedly Ayari, Mohamed Masmoudi, Hassène Belkhodja….
Bien d’autres clubs tunisiens ont sans doute cherché à vous arracher au COT en ce temps-là ?
Oui, mais celui qui courut le plus derrière moi a été le Stade Tunisien. Vous savez, je suis Stadiste. Le club du Bardo grouillait de joueurs de mon quartier, Mellassine. J’ai arrêté à 33 ans après 15 ans de carrière au plus haut niveau.
Des offres de l’étranger ?
Les offres professionnelles ne manquèrent pas. Hamadi Laâjimi, qui vit en Angleterre, m’a amené en 1980 là-bas au club de West Ham qui venait de remporter la Coupe de la Reine. Le célèbre milieu de terrain international Trevor Brooking évoluait avec ce club. Je devais porter les couleurs des Hammers, mais j’ai privilégié mes affaires qui m’attendaient à Tunis.
Je venais de rentrer d’Arabie Saoudite, et mis sur pied certaines affaires. Je ne voulais pas les perdre. Par ailleurs, notre sélectionneur Ameur Hizem a reçu une offre pour moi venant de TSV 1860 Munich, le deuxième club de la capitale de la Bavière.
Après le Mondial argentin, le club français de Lorient s’intéressa aussi à moi. C’est la vie. Il était quelque part écrit que je n’irai nulle part sur le Vieux continent.
Quels sont les plus grands joueurs que vous avez côtoyés au COT ?
Il y a, bien entendu, le Pelé arabe, Mohieddine Habita, qui n’a pas connu la carrière internationale qu’il méritait.
C’est un monstre de technique, de finesse, de vélocité et d’intelligence, un soliste hors-pair. Mais il y eut avant lui un autre joueur surnommé lui aussi Pelé : Ali Sassi. Abdessalam Chaâtani était un buteur-né. Je citerais aussi Ali Guizani et Abdelmajid Jelassi, un infatigable récupérateur et un immense stratège.
Quels sont à votre avis les plus grands joueurs tunisiens ?
Il y en a eu un nombre ahurissant. Notre foot n’était guère avare en footballeurs de qualité. Les anciens nous parlent de Noureddine Diwa que je n’ai pas vu jouer.
Mais il y a Sadok Sassi Attouga, Tarek Dhiab, Hamadi Agrebi, Mohieddine Habita, Tahar Chaïbi, Abdelmajid Ben Mrad, Temime Lahzami, Mohieddine Sghaier, Ahmed Mghirbi et, bien sûr, celui qui allait devenir le maître d’œuvre de l’épopée argentine, Abdelmajid Chetali. Je l’ai vu lors de la finale de la CAN-1965 au Zouiten contre le Ghana.
Le meilleur entraîneur que vous avez connu ?
Incontestablement, Abdelmajid Chetali, un précurseur et un innovateur. Ameur Hizem aussi qui a installé les bases de l’équipe 1978. Je citerais encore Rachid Turki, Mustapha Jouili, Ahmed Belfoul, Amor Dhib, Ali Chabbouh, Hmid Dhib, Ammar Nahali…
Votre reconversion d’entraîneur a été plutôt accidentée. Depuis belle lurette, vous n’exercez plus ce métier. Pourquoi ?
Je suis détenteur du 3e degré que j’ai obtenu à Macolin, en Suisse. Michel Decastel était mon camarade de promotion.
Au centre italien de Coverciano, j’ai effectué un stage en compagnie de Habib Mejri. J’ai fait accéder un tas de clubs en division supérieure : COT, EOGK, ESBK…Seulement, mes fonctions de président du COT et mon amour pour mon club m’ont, à un certain moment, fait perdre ma vocation d’entraîneur. Je ne pense pas revenir un jour sur le terrain pour entraîner, je me contente de mon statut actuel de conseiller technique au sein de la direction technique de la FTF.
Et les fonctions de consultant TV ?
J’ai exercé à Al Watanya avec les Hajjem, Mejri, Hasnaoui… et à Al Arabia, avec Maher Abderrahmane. J’ai également officié à Dimanche-Sport. Al Watanya est notre maison à nous tous. Je n’y ai pas été payé, mais l’expérience est enrichissante. J’espère reprendre un jour du service. Cela me permet de la sorte de demeurer au cœur de l’actualité du football. Je veux servir le sport, je suis ambitieux. Mais de là à courir derrière les gens, je ne suis pas vraiment le genre.
Vous avez exercé les responsabilités de président du COT, une lourde responsabilité, non ?
Ah oui, surtout par ces temps de précarité budgétaire. Depuis la Révolution, il n’y a plus eu de subvention de la Société nationale des transports qui nous avait toujours soutenus. La place naturelle du COT, c’est la L1.
Le club a grand besoin des subventions de la société de transport, d’union sacrée, d’un complexe sportif moderne. Bref, une batterie de mesures salvatrices doivent être concrétisées. Il est vrai que les intérêts personnels étriqués ont fait le plus grand mal au club.
Alors que vous présidiez le COT, on a évoqué une lutte entre Kaâbi et Mohieddine…
Jamais de la vie. Au contraire, tous deux, à un certain moment, nous avons sauvé notre club de la relégation. Malheureusement, les gens veulent diviser le club. J’ai présidé le club durant deux mandats. Sa situation fait mal au coeur. En fait, le COT joue un rôle social et éducatif de tout premier plan. Pour parvenir à drainer un budget, le COT doit former et vendre des joueurs. C’est son destin.
Son destin, c’étaient les titres, jadis…
Oui, nous avons remporté la coupe de Tunisie 1987-88. Nous aurions pu ajouter le championnat cette saison-là. Malheureusement, l’arbitre Habib Mimouni en a décidé autrement. C’était une génération formidable.
Votre meilleur souvenir ?
L’aventure du Mondial 1978. Le printemps du foot national.
Et le plus mauvais ?
L’erreur qui a amené le but de la Pologne. Pourtant, j’ai produit ce jour-là un grand rendement.
Etes-vous optimiste pour l’avenir de la Tunisie ?
En tout cas, nous sommes beaucoup mieux que les autres pays du Printemps arabe. La stabilité va revenir. J’espère que tout le monde acceptera avec fair-play le verdict des urnes, et que, comme dans le sport, le vaincu félicitera le vainqueur. Nous devons éduquer les générations futures sur les valeurs et la culture démocratiques. L’environnement doit être prioritaire: la Tunisie est verte, et elle est réputée pour sa propreté. L’équilibre entre les régions et la réforme de l’enseignement doivent rester prioritaires. Enfin, il faut rétablir la qualité de notre enseignement reconnue partout.
Enfin, quelle est votre devise dans la vie ?
Méfiez-vous de ceux auxquels vous rendez service. J’ai connu beaucoup de déceptions du genre, mais dans mon for intérieur, il n’y a pas de place pour la haine. Je sais me contenter de ce que Dieu m’a donné. En fait, le plus grand bien que j’ai gagné, c’est l’amour et le respect des gens.