Ce qui rend la crise d’éducation si aigüe chez nous, c’est le caractère politique de ce pays qui, lui-même, se bat pour égaliser ou effacer autant que possible la différence entre doué et non doué, entre professeurs et élèves. Ce qui rend la même crise si aigüe, c’est tout un système qui empêche le professeur de conserver l’habitude d’apprendre pour qu’il ne transmette pas un savoir mort. Un système qui produit des élèves en fin de cycle primaire, mais qui ne savent pas lire. Mais la réponse à la question de savoir pourquoi le petit Salah ne sait pas lire ou encore à la question plus large de savoir pourquoi le niveau scolaire de l’école tunisienne reste tellement en dessous du niveau moyen actuel des pays avancés en matière d’éducation annonce la faillite des méthodes éducatives suivies sous nos cieux. Pourtant, tous les Tunisiens, gouvernants et gouvernés, sont convaincus que « l’on façonne les plantes par la culture et les hommes par l’éducation ». Cela fait plus de trois siècles que Jean-Jacques Rousseau l’a si bien expliqué dans son traité de pédagogie. Fin visionnaire, l’ancien Président Habib Bourguiba a de tout temps misé sur le savoir pour bâtir l’avenir d’une nation. Deux décades ou presque après le départ de ce grand homme d’Etat, on ne fait qu’avancer à reculons. L’école tunisienne n’éduque aujourd’hui que médiocrement et ne forme que passablement. D’ailleurs, de 2013 à 2016, la Tunisie a toujours été en queue de peloton s’agissant du classement Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, initié par la Cedeao). Afin d’échapper aux feux des projecteurs et aux critiques des mécontents, on a opté pour le boycott du Pisa. A-t-on bien fait d’agir de la sorte ? La réponse est à quêter dans les fulgurances larguées par les dirigeants qui se sont succédé à la tête du ministère de tutelle. Dans les fins fonds du pays, inutile de trop détailler. Le tableau est on ne peut plus sombre. Dans les villes, les parents qui recourent à l’enseignement extrascolaire sont peu satisfaits, du fait de la modestie des acquis de leurs enfants. Pis encore, seulement 2,9 % des élèves issus de familles pauvres obtiennent certains acquis cognitifs et l’abandon scolaire atteint plus de 100 mille élèves en moyenne chaque année, selon le Bureau d’études économiques de l’Afrique du Nord (Tunis).
Carences multiples et diverses
Si l’école publique se porte mal aujourd’hui, c’est que les carences sont multiples. L’on entend par carences bourrage de crânes, méthodes désuètes, inégalité d’accès à un enseignement de qualité, surcharge des classes (plus de 40 élèves par classe), infrastructure délabrée, absence de stratégie nationale, improvisation au niveau de l’autorité de tutelle et marginalisation du corps enseignant.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise quant à l’essence de l’éducation ? Une chose est sûre : notre système éducatif détruit les conditions nécessaires au développement de l’enfant en l’exposant à tous les dangers. Pourtant, c’est à l’école que l’enfant fait sa première entrée dans le monde. Si bien qu’experts et sociologues s’accordent à dire que « toute vie et non seulement la vie végétative émerge de l’obscurité et si forte que soit sa tendance à se mettre en lumière, elle a néanmoins besoin de la sécurité de l’obscurité pour parvenir à maturité ». Autrement dit, les bouleversements majeurs secouant notre monde sont une réelle menace pour l’enfant et il incombe à l’école et aux parents de réajuster la ceinture.
Rituel de questionnement
Les programmes de l’enseignement primaire en Tunisie sont-ils adaptés aux besoins entièrement nouveaux du monde actuel ? L’enseignant, modestement rémunéré et souvent sous-estimé, est-il en mesure de conserver l’habitude d’apprendre pour qu’il ne transmette pas un savoir mort ? Une persévérance sans réflexion dans le sens de la crise ne fait-elle pas accroître l’aliénation de la société de masse que nous sommes ?
Morale de l’histoire : «On ne peut éduquer sans en même temps enseigner. L’éducation sans enseignement est vide et dégénère facilement en une rhétorique émotionnelle et morale. Mais on peut très facilement enseigner sans éduquer et on peut continuer à apprendre jusqu’à la fin de ses jours sans jamais s’éduquer pour autant », de l’avis de la philosophe et journaliste allemande Hannah Arendt.
Tous ces points sont à prendre en considération par le Conseil supérieur de l’éducation qui sera prochainement présidé par le chef de l’Etat. Car il est temps de réformer de fond en comble le système éducatif tunisien pour ne pas régner, demain, sur un champ de ruines.