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Tribune | Cri d’alarme d’un agriculteur tunisien

Par Youssef Farhat

Pour cause de sécheresse, la situation de la paysannerie cette année, est particulièrement délicate et mérite que l’on s’y attarde.Avant cela il est bon, pour mieux comprendre les enjeux actuels et leur urgence, de faire une sorte d’état des lieux concernant les hommes et les femmes qui font notre agriculture en examinant la situation de leurs terres et de leurs bêtes.

En Tunisie nous disposons d’environ 550 000 exploitations agricoles, dont 500 000 sont classées parmi les petites exploitations, à savoir s’étendant sur moins de 10ha de superficie, (plus de 60% de ces terres mesurent moins de 5ha).
Une exploitation implique un exploitant au minimum, c’est-à-dire un propriétaire ou un locataire. La moyenne d’âge des exploitants est assez élevée, plus que 50 ans, et leur niveau scolaire très bas. La rentabilité réelle des exploitations est relativement faible. L’emploi est principalement familial et majoritairement féminin
Les estimations officielles vont de 1,5 à 2 millions de personnes directement concernées et qui vivent du travail agricole. Moins de 10% sont déclarés.

Des agriculteurs et leurs bêtes en souffrance

Nous avons en Tunisie, près de 5 millions de tête d’ovins (moutons), dont 1 million de mâles (moutons) et 4 millions de femelles (brebis), plus de 1 million de caprins (chèvres, entre mâles et femelles), et un demi-million d’ovins (vaches et veaux).
La production céréalière est désastreuse cette année. Résultat : la production fourragère (orge, foin et paille) le sera aussi et ses prix vont flamber.
Actuellement la botte de foin (« gort ») coûte plus de 20 DT, la botte de paille (« t’ben ») plus de 12 DT. Il est raisonnable de s’attendre à un doublement du prix des fourrages par rapport à ceux de l’année passée.
Pour mesurer la cherté de ces produits actuellement : la botte de foin est au prix d’une journée de travail agricole. Des personnes engagées dans un des métiers les plus durs, se poserons la question cet été après un jour de boulot par 40 degrés, de consacrer leurs ressources financières à nourrir leurs petits ou leur bétail !

Les pluies de mai ne changeront pas la donne

Le manque de pluie (moitié moins que les moyennes annuelles) affecte également lourdement la disponibilité des pâturages naturels, ce qui accentue les difficultés de la paysannerie.
Les récentes pluies de fin avril et du mois de mai, tout en étant miraculeuses, profiterons surtout à l’arboriculture et au remplissage partiel des barrages, mais ne changerons pas la donne hélas, ni pour l’élevage, ni pour les cultures maraîchères irriguées d’été, à savoir tomates, poivrons, melons, pastèques. Puisque que les périmètres irrigués par barrage n’offriront pas assez ou très peu d’eau pour étancher la soif de la terre.
Cela aura des répercussions graves sur l’emploi dans la mesure ou les milliers d’hectares qui ne seront pas plantés sont autant de journées de travail en moins, et de revenus pour tous ceux et celles, qui vivent de l’agriculture.

Aid El Kebir : sacrifions les mâles et les femelles les plus âgées des cheptels !

La population la plus fragile financièrement, sera confrontée pour les quatre mois qui viennent à une importante perte de revenus, qu’elle soit active dans le domaine des grandes cultures, des cultures maraîchères, de l’élevage …Elle affrontera en même temps un renchérissement sévère de ses dépenses.Cette population compte un contingent d’environ 2 millions de personnes !
Naturellement, en période de disette pour l’élevage, c’est à dire lorsque pâturage et fourrage manquent, la régulation se fait en vendant les mâles non reproducteurs (environ 1 million de têtes) et si la disette est très sévère, on y rajoute les femelles les plus âgées ayant un potentiel reproducteur le plus faible.L’objectif est de rationner le peu d’alimentation au profit des femelles reproductrices et de sauver le capital cheptel, en vue de meilleures années, et de mobiliser au possible les revenus de cette vente pour l’acquisition de fourrage, toujours en faveur des femelles reproductrices.
La logique serait donc, pour cette année difficile, d’encourager l’abattage de ces deux catégories d’ovins pour l’Aid el Kebir que les Tunisiens célèbrent dans quelques semaines. L’objectif étant de procurer des revenus appréciables aux éleveurs tout en diminuant la taille des troupeaux.
Pour encourager les petits paysans, l’État pourrait également acheterà bon prix des moutons vifs, en contrepartie de fourrage a prix aidé, fourrage importé au besoin.Car il est envisageable aussi de procéder à l’abattage puis à la congélation de carcasses de moutons dans le but d’en réguler- les prix les prix des bêtes vives pour les éleveurs tout comme celui de la viande pour les consommateurs- et ce le temps de passer ce trimestre difficile.
Les autorités ont tout intérêt à aider la petite paysannerie, fort nombreuse, à passer ce cap difficile et à mettre en place des politiques publiques a même de sauvegarder le capital humain, animal et foncier agricole, sinon à le promouvoir.
Que l’État envisage par ailleurs, des mécanismes visant à éviter la cessation de payement, prévisible, de milliers de petits paysans, et d’anticiper d’autres mesures pour le refinancement d’un nouveau cycle de production l’année prochaine, sans les handicaper par des intérêts insoutenables, ne serait ni du luxe, ni de la précipitation.

 

*Les chiffres sont issus des études de l’Observatoire National de l’Agriculture Intranet (ONAGRI). Pour faciliter leur lecture, les chiffres ont été arrondis au maximum à 10%.

 

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