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Point de vue | L’Etat et son territoire

 

Par Ilyes BELLAGHA

Ce qui est primordial avec la politique dans son sens le plus global, c’est qu’elle repose sur l’aménagement du territoire. En effet, les finances, le transport, la santé, l’éducation, l’habitat, etc. sont au cœur de l’aménagement du territoire.

Notre «territoire», notre «espace», ou plutôt notre «terrain», voire notre «étendue», est parfois inclusif: c’est là où nous apprécions ceux qui viennent, qu’on accueille par hospitalité ou par intérêt comme les touristes et les investisseurs étrangers, etc., et parfois exclusif comme la dernière chasse aux sorcières contre les Africains subsahariens. De toutes les façons nous ne pouvons qu’être d’accord avec ce que disait Ardashir Vakil: “La générosité a souvent des épines. L’hospitalité a ses limites.”

Pour ce qui est du territoire, il ne faut jamais oublier que l’Homme est parmi les grands prédateurs et en éthologie, le territoire est l’aire sociographique qu’un animal d’une espèce particulière défend systématiquement contre les individus de sa propre espèce, ou d’une autre, qui cherchent à l’empiéter. D’ailleurs, les animaux qui agissent de cette façon, caractéristique des grands prédateurs, sont ainsi qualifiés de territoriaux.

Le territoire en question peut appartenir à un seul animal, pour les espèces solitaires comme le chat, ou à un groupe, pour les espèces communautaires comme le loup ou l’Homo sapiens. Nous gardons nécessairement des gènes de ces Homo sapiens où la citation simple de Bernard Werber prend tout son sens: “C’est à force de chasser pour obtenir de la nourriture que l’homme a éprouvé l’envie d’étendre son territoire tant et si bien qu’il a fini par fabriquer et envoyer des fusées au-delà de la planète.” De toutes manières, le territoire comme notion dépasse les autres synonymes par l’appartenance en assemblant  un groupe et un espace en un binôme. Du coup, contrairement à la notion simple d’un terrain, le territoire a une géographie et une histoire.

A titre d’exemple, nous utilisons encore des routes tracées par les Romains.

Le territoire est au moins cette tranche de terrain qui est défendue car c’est là où nous voyons notre avenir, exerçons notre profession et où nous gardons notre indépendance et notre souveraineté. Mais surtout là où nous exerçons nos échanges, aussi bien économiques que sociaux.

Pour cela, l’Etat, quelle que soit sa disposition, a deux corps qu’il utilise et qui ne se distinguent l’un de l’autre que difficilement. Le premier est purement technico-administratif, il est géré par ce qu’on appelle le Grand corps de l’Etat, l’administration, qui regroupe les hauts fonctionnaires comme les ingénieurs et les architectes de la fonction publique, tous les directeurs, etc., qui, normalement, ne changent pas avec une quelconque alternance politique. Ils entretiennent l’Etat et constituent la partie la plus importante de l’administration : ils sont ceux qui gèrent.

Ce corps est neutre, non impliqué dans la politique politicienne (ils sont comme on dit chez nous : un clou planté dans un mur). La deuxième brigade, qui ressemble étroitement à la lumière, est celle des grands commis de l’Etat, les «hauts fonctionnaires de l’Etat, personnes occupant un poste important dans l’administration, la vie politique du pays», ce sont les gouverneurs, certains directeurs, les maires des grandes villes, etc.

Ces derniers sont comme les premiers : ils diffèrent par le fait d’avoir la tâche de préparer les textes législatifs et les soumettre à leurs supérieurs hiérarchiques. Ceux-là ne font, la plupart du temps, que suivre les recommandations de leurs administrés car ils ne maîtrisent pas nécessairement les détails de leur département. Les deux groupes n’ont pas de définitions précises et le passage ou le glissement entre les deux corps se fait au gré de celui qui gouverne. Pour nous, on dira simplement que l’Etat dispose d’une administration qui gère et d’une autre qui légifère, mais, dans tous les cas, c’est celle qui légifère qui reste responsable de l’aménagement du territoire. Cela dit, dans notre contexte, qu’elle soit centralisée ou décentralisée, la politique de l’aménagement du territoire reste une affaire purement administrative.

Je ne me lasserai jamais de la citation de Victor Hugo qui dit: «L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence». A quelle page en sommes-nous aujourd’hui ? A celle où il n’y a ni développement ni force ! A celle où des habitants, une horde de vandales, parlent pour ne rien dire sauf respect du mythe des trois mille ans d’histoire qu’on nous a tellement rabâché.

Nous faisons sienne, des pages écrites par des civilisations toutes des preuves que nous ne sommes pas dans leur continuité.

Ne pas accepter ce constat, c’est se condamner et surtout condamner les générations futures à faire de notre société, une société liquide, état plus grave que celui de la déculturation. Une telle société perd son propre corps d’être, pour ne devenir qu’une substance qui épouse la forme de ce qui la contient, les attributs d’une  soi-disant  pseudo modernité.

Le premier fautif, c’est cette administration sclérosée par une majorité de ceux qui n’attendent que leur retraite suite à une longue carrière qu’ils considèrent comme ingrate (et ils ont raison) et un bon nombre qui restent et qui ne dissocient pas leur ambition politicienne de leur devoir administratif.

Le deuxième fautif est cette population qui n’arrive pas à accéder à son statut de citoyen et croit encore que l’Etat providence existe, alors que celui-ci n’est plus depuis plus d’une trentaine d’années. Ceci, malheureusement, nourrit notre désespoir d’avoir une démocratie qui ne peut voir le jour avec une administration qui ne veut rien lâcher et un peuple qui se plaît dans sa condition de sujet.     

Tout cela est heureusement évitable, en suivant l’éclosion de certains mouvements guidés par des jeunes qui, en s’agrégeant, pourront, du moins on l’espère, redresser le cap du navire Tunisie qui a l’air d’errer aussi entre des vraies et des fausses sollicitations.

En effet, une révolution, quels que soient les détails de son histoire, ne peut prétendre à dire «j’ai réussi» que si elle s’accompagne de deux actes : le premier est un mouvement culturel et le second est de passer le relais à la nouvelle génération. Il ne faut jamais oublier qu’à l’aube de notre indépendance, la classe politique de l’époque avait l’âge de ceux qu’on considère immatures et jeunes.

I.B.

(Président de l’association Architectes citoyens)   

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