Son frère Mekki a été champion de Tunisie 1968 avec le grand SRS de Chakroun, Madhi, Romdhane, Nafzaoui et consorts. Habib Jerbi a porté les couleurs de l’autre équipe phare de la capitale du Sud, le Club Sportif Sfaxien, pour lequel il s’est engagé en 1959 au sein de la formation minimes. Né le 5 février 1947 à Sfax, l’invité de ce dimanche a livré en 1964 son premier match seniors (ST-CSS 0-3 au stade Chedly Zouiten). Quant à sa dernière sortie, ce fut CSS-COT (2-1) en 1984-85. H. Jerbi compte à son palmarès 2 championnats de Tunisie 1969 et 1971, 1 coupe de Tunisie 1971, et une coupe de Tunisie cadet, junior et espoirs. Avec l’équipe nationale, il fut aligné dans six matches amicaux.
Comme entraîneur, il exerça à la tête des jeunes du CSS, de l’AS Djerba, du Stade Gabésien, d’El Makarem de Mahdia et d’Ennakhil, en Arabie Saoudite. Il a également été directeur technique SRS, et responsable des équipes Ecoles du CSS.
Ce professeur d’Education physique et sportive, parti à la retraite en 2007, est marié et père de trois enfants.
Quand avez-vous rejoint l’équipe-fanion ?
Mon premier match, je l’ai disputé en 1964 face au Stade Tunisien. Nous avons gagné (3-0) grâce à un doublé d’Ali Graja et un but de Mongi Dalhoum. En présentant la formation du CSS, Tahar Mbarek, qui commentait le match à la radio, m’a surnommé affectueusement «Al Andalib Al Asmar» (le rossignol brun, un surnom donné au grand chanteur égyptien Abdelhalim Hafedh). Pourtant, ce jour-là, j’étais parti le matin au Bardo disputer le match juniors contre le ST quand un de nos dirigeants m’interpella devant les vestiaires: «Faites-vite, Habib, l’entraîneur Kristic vous attend au stade Zouiten. Il a décidé de vous titulariser avec l’équipe seniors». Je ne vous décris pas ma joie en apprenant cette promotion.
Quels furent vos entraîneurs ?
Sadok Msakni, Toto Ben Slama, Ahmed Ouannès et Kristic chez les jeunes. Branislav, Kristic, Popadic, Rado, Georgevic et Ammar Nahali chez les seniors.
Et le meilleur d’entre eux ?
Kristic, sans conteste. C’est le père spirituel du CSS. Il nous a tout appris, y compris comment se tenir à table, comment manger…C’est l’égal de Fabio ou Nagy au CA.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport ?
Mon père Néji, ouvrier le soir dans une huilerie, et ma mère Maherzia ont encouragé plutôt mon frère aîné Mekki. Moi, un peu moins.
Quel a été votre meilleur match ?
La finale de la coupe 1971 contre l’EST et le quart de finale de la même année à Bizerte contre le CAB furent mes meilleurs matches. Je n’oublierais pas non plus la finale maghrébine 1970 contre les Algériens du CR Belcourt.
Et votre meilleur souvenir ?
La coupe de Tunisie 1971 devant l’Espérance Sportive de Tunis (1-0), avec le but de la victoire signé des 35 m par Abdelwahab Trabelsi dès la 3e minute. Puis, l’indomptable résistance dont nous avons fait preuve.
Et le plus mauvais ?
Notre élimination en quart de finale de la coupe de Tunisie 1968 devant le COT de Mohieddine à Sfax même.
Quel est donc le secret de cette réussite ?
Un prof de sport ne fume jamais, ne boit jamais. Mon cas. J’étais très sérieux point de vue hygiène de vie. Donc, j’étais très régulier, toujours prêt à donner le meilleur de moi-même.
Tout compte fait, que vous a donné le football ?
Matériellement, presque rien. La plus grosse prime perçue, après la victoire en finale de coupe de Tunisie 1971, était de l’ordre de 80 dinars. Par contre, nous avons gagné l’amour des gens. Y a t-il un bien plus précieux ?
Est-ce là la seule différence que vous retenez entre le football d’hier et d’aujourd’hui ?
Non, tout a changé. L’argent a tout froissé. Les gens allaient dans un stade comme pour un concert d’Oum Kalthoum: veste et cravate de rigueur. A présent, la violence est reine. Volet spectacle, on ne voit plus rien.
Votre génération a donné au CSS ses premiers trophées. Un motif de fierté, n’est-ce pas ?
Et comment ? Nos deux participations aux coupes maghrébines n’étaient pas mal non plus. Malgré la défaite en finale de la coupe maghrébine des clubs champions 1970, contre Belcourt à la loterie des penalties (Sassi et Dalhoum ont raté leurs tirs), notre président, Abdelmajid Chaker, qui était ambassadeur à Alger, nous a gratifiés d’une prime de… 20 dinars.
Qu’est-ce qui faisait la force du CSS où vous avez évolué ?
Disons plutôt le charme. Car nous aimions pratiquer un foot «propre» et spectaculaire. Les crochets de Sassi trouvaient souvent Dalhoum à la conclusion.
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Comment analysez-vous le phénomène de la relation passionnelle entre le public de Sfax et son idole Hamadi Agrebi ?
Le public de Sfax aime le beau jeu, cela personne ne peut l’ignorer. Agrebi est l’incarnation même du football spectaculaire, léché, romantique. Alors que Hamadi était encore minime, notre entraîneur, le Yougoslave Milan Kristic, restait interdit devant tant de virtuosité. A nos dirigeants, il répétait sans cesse: «Dites-moi vraiment: que puis-je apprendre à un tel phénomène ? Il réussit des choses étonnantes pour son âge».
Des anecdotes se rapportant au maestro Hamadi Agrebi ?
Une fois, dans un derby face au SRS, nous avons bénéficié d’un corner. J’avais l’habitude de monter sur les corners. Le ballon est tombé devant moi, à la limite des 16,50 m, et j’étais prêt à le reprendre de la tête quand, à mon grand étonnement et à celui du public présent, Agrebi m’a vite «arraché» le cuir et effectué un retourné acrobatique, pleine lucarne dans les filets. Quelque chose d’insensé. Une autre fois, il a réussi un but contre l’EST sur un coup franc des 30 mètres. Un but régulier que l’arbitre Touati refusa pour je ne sais quelle raison. D’ailleurs, lorsque j’étais allé lui demander pourquoi il l’avait invalidé, il m’expulsa. Cela se passait comme cela. Quelques années plus tard, j’étais en Arabie Saoudite où j’entraînais Annakhil lorsque j’ai reçu un courrier où figurait la copie d’un journal. L’arbitre Touati reconnaissait dans cette interview qu’il n’aurait jamais dû annuler le but d’Agrebi, et que cette décision lui était restée sur la conscience.
Nourrissez-vous des regrets pour n’avoir pas fait une grande carrière en sélection ?
Non. Des regrets, je n’en vois pas l’utilité. J’ai été convoqué plusieurs fois en sélection par Rado. J’ai disputé des matches amicaux, mais jamais un match officiel. C’est bien comme cela, non ?
A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps?
Tahar Chaïbi était phénoménal. Mais il y avait aussi Diwa, Braiek, Jenayah, Moncef Cherif, Tlemçani, Adhouma, Habacha…
Et du CSS ?
Si Moncef El Gaied. Il a été chef de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur. C’est le patron, et tout le monde le respectait.
Parlez-nous de votre famille.
Je me suis marié en août 1972. J’ai deux garçons et une fille: Anis, qui a été entraîneur adjoint au CSS, Soumaya, Prof de français, et Slim, Prof d’Education physique. J’ai de nombreux petits-enfants qui remplissent ma vie.
Comment passez-vous votre temps libre ?
J’aime jardiner, puis faire mon footing près du stade Mhiri. Deux fois par semaine, je rencontre les Anciens du CSS. A la télé, je regarde les matches de mon club préféré, le Real, alors que mon épouse encourage le Barça.
Votre devise dans la vie ?
La probité, la sincérité et la générosité.
Racontez-nous une anecdote que vous n’oublierez jamais ?
Nous avons été reçus au Palais de Carthage par le président Bourguiba une seule fois. En effet, il a tenu à honorer le CSS lorsqu’il a appris que nous avons battu le club de deuxième division française, Grenoble (5-0). Pourtant, il s’agissait d’un simple match amical disputé là-bas. Les journaux français avaient titré: «Les Tunisiens donnent la leçon à Grenoble».
Cette nuit-là, après le match, j’ai été avec quatre autre sjoueurs à faire la fête hors de l’hôtel où nous résidions. En rentrant, nous avons trouvé les portes de l’hôtel fermées. Malgré nos supplications, le gardien de nuit refusa catégoriquement de nous ouvrir.
«Ce sont les ordres de votre entraîneur, Rado», nous expliquait-il. Finalement, après une longue attente, nous avons pu rentrer dans nos chambres. Mais à notre grande surprise, sous la porte, nous avons trouvé un petit bout de papier sur lequel Rado avait griffonné: «Où êtes-vous ?». Il ajouta même l’heure où ce petit mot avait été rédigé. Cet entraîneur était vraiment très sévère. C’est comme s’il avait écrit: «Voyez-vous, on ne me la fait pas !».
Enfin, si vous n’étiez pas dans le football, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ?
Non, vraiment, je ne me vois pas ailleurs que dans le foot. La preuve, ma carrière professionnelle de Prof de sport.