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TRIBUNES: La normalisation avec Israël et les dérapages politico-intellectuels (Suite et fin)

tribune la presse

Par Moncef BEN SLIMANE | Professeur universitaire


La normalisation par l’OLP et l’admission à l’ONU 

Posons-nous maintenant la question : que pensent d’Israël et de la normalisation les principaux concernés, c’est-à-dire les Palestiniens ? A ce sujet et durant des décennies sous les slogans de la «cause arabe», «la cause sacrée» et «la mère de toutes les causes» les Palestiniens ont vu leur sort à la merci des gesticulations et des aléas la situation intérieure des régimes égyptien, jordanien, syrien et irakien. Il a fallu attendre mai 1964 pour qu’enfin une organisation palestinienne autonome voie le jour avec à sa tête Yasser Arafat.

La cause palestinienne cherchait à prendre en main sa propre destinée mais elle se trouve, d’une part, en présence d’un Etat colonialiste, sioniste et criminel, et les tentatives d’inféodation et même de liquidation menées» par «les frères arabes», d’autre part.

Le peuple palestinien poursuit son chemin de croix face aux complots de toutes sortes ourdis par ses ennemis et par ses faux amis.

La reconnaissance- normalisation de l’OLP avec l’Etat d’Israël fut un processus complexe qui s’est déroulé sur plusieurs années. L’OLP ne reconnaissait pas au départ Israël et considérait l’ensemble du territoire palestinien comme partie intégrante de la Palestine historique. Le tournant est intervenu en 1988, lorsque le Conseil national palestinien réuni à Alger a adopté une résolution reconnaissant l’État d’Israël.

La résolution stipulait que l’OLP reconnaissait le droit d’Israël d’exister et appelait à la création d’un État palestinien indépendant dans les territoires occupés depuis la guerre de 1967. L’étape qui a suivi cette «normalisation» OLP/Israël fut l’obtention le 29 novembre 2012, par la Palestine du statut d’État observateur auprès des Nations unies .

Cela est survenu après une décision de l’Assemblée générale de l’ONU qui a voté en faveur de la résolution accordant à la Palestine ce statut. L’obtention de ce statut a permis à la Palestine de devenir un État observateur à part entière des Nations unies, avec le droit de participer à l’Assemblée générale et le droit de rejoindre les différents organes faisant partie des Nations unies. Cependant, la situation actuelle de la question palestinienne n’incite pas à l’optimisme. La «communauté internationale» garante des Accords de Paix d’Oslo de 1993 ne met aucun frein à un régime israélien qui occupe des territoires, maltraite, assassine, bombarde et piétine impunément les résolutions de l’ONU depuis plus de 50 ans.

La normalisation et les dérapages universitaires

Revenons maintenant au point de départ : c’est-à-dire à l’affaire Kazdaghli qui concerne la recherche universitaire en rapport avec l’Etat d’Israël. Les représentants des conseils scientifiques et de l’Université de La Manouba recommandent à tout universitaire de boycotter ou/et de quitter les réunions, séminaires ou conférences auxquels participent des universitaires israéliens dans le cadre de la lutte contre la «normalisation» avec l’Etat sioniste. Etonnant de la part des membres d’une communauté dont le credo est la connaissance scientifique et l’analyse objective.

Quand les universitaires se laissent aller à l’émotion et aux états d’âme à la place de la réflexion, ils dérogent à leurs fonction et rôle. Nul ne peut ignorer que le conflit israélo-palestinien est l’un des problèmes géopolitiques les plus complexes et passionnels de l’histoire contemporaine qui exige de ce fait la rupture avec les discours doctrinaires et la propagande souvent à l’origine de tous les dérapages. Aux zélateurs de l’anti-normalisation, il faut rappeler que les Etats amis de la cause palestinienne se sont battus pour que la Palestine ait un siège à l’ONU. Ils n’ont pas appelé à quitter l’organisation internationale tant qu’Israël y est représenté.

Le sort et le destin du peuple palestinien sont malheureusement l’objet d’instrumentalisations largement usitées par les politiciens et les journalistes. Par conséquent, c’est en déconstruisant «la normalisation fourre-tout» et en la contextualisant, qu’on peut voir un peu plus clair et que l’on peut faire avancer la cause palestinienne loin des gesticulations dépourvues de toute efficacité. L’arme de tout universitaire face aux faits sociaux et politiques est «la distance critique», seul moyen pour rompre avec le sens commun, et les idées toutes faites. Ceci nous amène à avancer les considérations suivantes : Primo : parmi nos citoyens, la conviction la plus partagée est qu’Israël est habité par des juifs indifféremment sionistes et qui ne peuvent être de ce fait que nos ennemis. Ce genre de discours est de nature à déformer à dessein la réalité. En Israël, il y a certainement une majorité de sionistes mais il y a également des juifs qui militent pour la paix et le droit du peuple palestinien à un Etat indépendant sur sa terre. Ces israéliens sont les soutiens et les amis des Palestiniens. Doit-on les combattre, les boycotter et refuser toute proximité avec eux ?

La Palestine, terre sainte des 3 religions monothéistes

Secundo : sur le plan académique, Israël engage des moyens financiers et humains faramineux pour que l’idéologie sioniste se pare d’un accoutrement scientifique, en particulier, en histoire et en archéologie. Les universitaires sont appelés par la droite israélienne, Netanyahu en tête, à multiplier recherches, publications et à diffuser l’idéologie et les commandements de Sion à toutes sortes de publics. L’objectif est que la recherche scientifique légitime la propagande politique qui prétend que tout le territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée appartient aux Juifs, que Jérusalem est «la capitale unie et éternelle» du «peuple juif» et que la Cisjordanie est la «Judée et Samarie». Les politiciens israéliens utilisent la recherche pour affirmer qu’il n’y a pas d’occupation dans la mesure où les Juifs ne font tout simplement que recouvrer et reprendre possession de la terre de leurs ancêtres. Face à ce type de discours et de production scientifique, des universitaires tunisiens appellent au boycott de ses auteurs et de ses destinataires.

Nous sommes là en pleine confusion car fuir la confrontation à coups de déclarations enflammées c’est paradoxalement reconnaître qu’on n’a pas réussi sur le plan du savoir, à réfuter les idées sionistes, le seul domaine qui soit à la portée des universitaires. A l’argumentaire pseudo-scientifique, il faut opposer un autre argumentaire susceptible de démontrer à toute occasion que l’Etat d’Israël manipule l’Histoire. Les preuves scientifiques disent que les Juifs ont vécu en Palestine il y a environ deux mille ans. Avant eux, la Palestine était peuplée par les Cananéens. La chrétienté est née en Palestine. Plus tard, dans les années 630, les Musulmans l’ont conquise et l’ont habitée depuis sans discontinuer.

Et si on appelle La Palestine historique la Terre sainte, c’est parce qu’elle est sainte pour les trois religions monothéistes. L’Etat d’Israël refuse un tel fait en menant une politique génocidaire du peuple palestinien au vu et au su du monde entier et surtout du «monde civilisé».

Faire face à la fois au sionisme et au racisme

Tertio : La question palestinienne est si enchevêtrée politiquement et culturellement que la prudence est de mise pour qu’on ne glisse pas vers des discours et des positions inadmissibles surtout quand ils sont le fait d’universitaires. Le raisonnement qui établit un amalgame entre Israélien, Juif et sioniste est dangereux. Il construit une identification automatique et intrinsèque entre une nationalité, une religion et un mode de penser ou d’agir. Cette posture intellectuelle a des connotations racistes et antisémites évidentes. Tous les Juifs ne sont pas sionistes, ni les Musulmans islamistes, ni les Américains des suprématistes. Quand la nuance est gommée, c’est la cécité intellectuelle qui prend les devants et les libertés académiques se trouvent remplacées par la rhétorique politique. En définitive, la première «normalisation» fut l’œuvre de Bourguiba dans son discours d’Ariha du 3 mars 1965.

A l’époque, il fut vilipendé par toute la «nation arabe» unie comme un seul homme. Il a fallu plus de 20 ans aux Palestiniens pour reconnaître que le partage onusien de 1948 défendu par Bourguiba était la bonne solution. La leçon à tirer de tous les discours polémiques, de toutes les déclarations belliqueuses à propos de «la normalisation» avec Israël, c’est que les Don Quichotte qui s’érigent en défenseurs de la cause palestinienne sont souvent dans l’illusion.

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