S’il est un enseignement majeur, entre autres, à retenir de la réélection d’Erdogan, c’est que la politique ne se fait pas par émotion, par préjugé ou par fantasme. Elle est plus complexe et astucieuse que les clichés que l’on entend ici et là sur les élections turques dont les résultats ont infirmé une grande partie des prévisions occidentales qui ont condamné le Président turc dès le premier tour.
Au contraire, et en dépit de la terrible spirale inflationniste dont il est la cause principale en insistant sur des taux d’intérêt baissés périodiquement, des effets catastrophiques du séisme, des menaces terroristes, il en est sorti indemne encore une fois, marquant le centenaire de la République turque. Ce sera un dernier mandat fatidique où il va mettre le paquet davantage sur l’investissement public en infrastructures et en constructions, ainsi que sur l’ouverture sur d’autres puissances telles que la Russie, l’Inde, la Chine. Pour quelqu’un qui s’est mis sur le dos des ex-alliés, le fameux Gülen (son ex-mentor), l’Union européenne, les USA, une grande partie des Kurdes, gagner les élections est un exploit. C’est une leçon politique pour ceux qui ressassent toujours les mêmes discours en parlant du cas turc et d’Erdogan, qui a pu, pendant des années, jouer, avec subtilité et tact, le rôle d’intermédiaire privilégié et conventionnel entre les Etats-Unis et la Russie, en pressant parfois et en cédant d’autres fois selon les intérêts turcs. Sa politique a viré à 180 degrés avant ces élections en soutenant moins les forces et les représentants du printemps arabe au profit d’un rapprochement avec le régime égyptien, émirati et saoudien qui ont couru vite pour prendre cette main tendue. Ces élections en Turquie ont montré combien c’est important pour un politique d’avoir du charisme, de la crédibilité avec des projets déjà réalisés pour les zones sinistrées au dernier séisme.
Grande puissance géopolitique dirigée par un cassant Erdogan ( voire dictateur), la Turquie va aborder un virage fatidique dans son histoire. L’un des chantiers sur lesquels il travaillera, c’est comment récupérer Istanbul et Ankara où il a été battu sur le fil. Et l’un des chantiers à venir, c’est des réformes politiques et économiques que l’Occident, qui a désespéré de le battre, attend pour se situer dans cet échiquier infranational en sables mouvants. Est-ce qu’Erdogan va changer de politique et se faire plus souple envers l’opposition et les Kurdes par exemple ? On s’en doute, car déjà, cette opposition s’effrite sur le coup de son échec et son incompétence. Les industries militaires, l’exploration de gaz, les projets technologiques font de la Turquie un joueur clé dans les années à venir, avec des chances de grandir davantage après 2023.