Exemple de longévité, Hosni Zouaoui a goûé à tous les sacres avec le Club Athlétique Bizertin : le championnat 1983-1984, deux Coupes de Tunisie 1982 et 1987, et une Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe 1988. Pivot impitoyable au marquage, le capitaine a porté les couleurs de la sélection entre 1981 et 1988. Né le 5 mai 1959 à Menzel Bourguiba, et signataire dès 1974 d’une première licence cadets, il a disputé en 1977 son premier match seniors CAB-CSHL (3-0), et en 1992 le dernier CAB-OB (2-0).
Entraîneur depuis 1994, il a été adjoint au CAB, prenant en charge les destinées des espoirs et juniors du CAB, puis directeur technique de son club de toujours. Il a également coaché les sélections juniors du Bahrein, Al Malikia du Bahreïn… Cet ancien agent de l’usine La céramique des produits réfractaires de Bizerte est marié et père de trois enfants.
Nul n’est prophète en son pays, certes, mais on ne vous voit plus exercer votre métier d’entraîneur en Tunisie….
Ici, il n’y a plus rien. La fédération nous gave de discours creux et à l’eau de rose. Pure démagogie, en réalité. On nous a suffisamment menti ! Un bilan, cela doit être objectif et sérieux. On attend toujours. Où voient-ils le meilleur championnat du continent, les meilleurs joueurs, les meilleurs stades… ? A les entendre, on reste bouche bée, on croit rêver. Hé, réveillez-vous ! Parlons justement de nos joueurs. Au lieu de percevoir 100 mille dinars, ou même plus, le plus coté d’entre eux, je ne le paierais même pas un millier de dinars. Sinon, combien devraient percevoir les Agrebi, Tarek, Dhouib, Temime ?.. Quant aux gardiens, n’en parlons pas. Le comble, c’est que le pays d’Attouga est incapable d’enfanter un gardien disons «acceptable».
Le football d’aujourd’hui vous attire-t-il toujours ?
Comment peut-il le faire alors que la violence et les matches truqués sont légion ? En notre temps, nous pratiquions le sport pour le sport. Le joueur n’osait pas s’opposer à son dirigeant, lui dire un mot de trop. Pourtant, le foot était considéré une occupation de «zoufris», de gens incultes ou mal éduqués. Du moins, c’était l’impression générale. Aujourd’hui, le foot est politisé, joué dans les coulisses et dominé par l’extra-sportif. Des intérêts personnels sont en jeu. L’arbitre est constamment montré du doigt, à tort ou à raison. Pourtant, le sport doit rapprocher. A partir du moment où l’argent a souillé le sport, le talent et la moralité ont été sacrifiés.
Votre échec aux Jeux méditerranéens 1983 a été à l’origine du gel durant toute une année de la sélection nationale. Que s’est-il passé à Casa au juste ?
La sélection marocaine a été favorisée en disputant son dernier match après le nôtre. Or, nous étions au coude-à-coude avec elle. De plus, les conditions de séjour étaient déplorables. Nous étions hébergés avec les autres sportifs de notre délégation à la Cité universitaire de Rabat. Je me rappelle du handballeur feu Habib Yagouta. En fait, nous n’avons pas été si mauvais que cela. Notre entraîneur, le Polonais Riszard Kulesza, n’a pas non plus démérité.
Mais, en ce temps-là, la sélection manquait de motivation, nous vivions des temps d’austérité: la prime de déplacement de Bizerte à Tunis était tout juste de 5 dinars. Les clubs avaient la priorité, et on y bénéficiait de davantage d’encouragements qu’en sélection.
Remontons presque un demi-siècle en arrière. Comment êtes-vous venu au football ?
Je n’ai jamais pensé faire du sport. Je vivais à Menzel Bourguiba, et, au lycée, j’avais des amis de Bizerte qui m’ont proposé d’aller participer à un tournoi inter-quartiers dans la capitale du Nord. Notre équipe, qui portait le nom d’un café, «Le Maghreb» a remporté le tournoi. J’ai été élu meilleur joueur. Mohamed Salah Benzarti et Chedly Ouerdiane, qui supervisaient le tournoi, ont insisté afin que je signe pour le CAB. Mon frère Youssef travaillait à la Stir. J’ai fini par céder. Mon premier match, je l’ai joué contre… le SAMB, le club de ma ville natale. J’ai inscrit deux buts. Car il faut dire qu’au début, j’étais attaquant ou régisseur.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?
Non. Au début, j’ai dû jouer à leur insu. Mon père Mohamed travaillait à l’arsenal de Menzel Bourguiba. Ma mère Jamila était davantage disposée à me voir pratiquer le foot, mais elle craignait que je me blesse gravement. Nous étions huit dans la famille
Quels furent vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, Mohamed Salah Benzarti et Ali Amri. Chez les seniors, Nedoklan, Larbi et Youssef Zouaoui, Mokhtar Tlili, Taoufik Ben Othmane, Mahmoud Bacha, Baccar Ben Miled, Nedovisa, Alexandre, Kulesza…
Vous avez le plus souvent évolué au poste de milieu défensif. Quelles sont les qualités d’un bon pivot ?
Je suis plutôt du genre polyvalent. J’ai occupé pratiquement tous les postes en défense. Mais c’est surtout en tant que pivot que j’ai fait le plus gros de ma carrière. Les qualités requises pour un «porteur d’eau» sont une disponibilité constante, la relance et l’anticipation, le sens du marquage et le placement.
Vous avez longtemps porté le brassard de capitaine. Etait-ce une faveur ?
Non, plutôt une responsabilité qu’il faut savoir mériter. Cela exige autorité, personnalité, et une grande capacité de servir de courroie de transmission entre l’entraîneur et les joueurs…
Quel est votre meilleur but ?
Celui de l’accession face à la JSK (1-0) en 1999. Sur corner, j’ai repris des 18 m d’un «ciseau».
Votre meilleur souvenir ?
Tous les titres empochés, que ce soit en championnat, en coupe de Tunisie ou en Coupe d’Afrique. Il y a eu aussi le fait de représenter la Tunisie au Tournoi de Pékin, en Chine en 1984. Le CAB, qui venait de remporter le championnat, a pris la place de l’équipe nationale dont les activités furent gelées suite aux Jeux méditerranéens de Casa. Nous avons perdu contre la sélection chinoise 2-1, livrant là-bas cinq rencontres.
Et le plus mauvais souvenir ?
Notre relégation en D2 après avoir perdu les barrages devant le CSHL. Il y a aussi la défaite dans la dernière journée contre le CA (2-1) dans un match qui valait le titre 1991-92. L’arbitre Neji Jouini nous a lésés, la pression était trop forte pour lui. Lotfi Mhaissi l’insultait sans qu’il réagisse. Il y eut une expulsion injuste. Le coup franc qui a amené le but de la victoire clubiste devait être sifflé en notre faveur, et non contre nous.
A votre avis, quels sont les meilleurs milieux défensifs tunisiens ?
Nejib Ghommidh, Mohamed Ben Mahmoud, Jamel Garna, Abderrazak Chahat, Mourad Gharbi…
Quel est le meilleur joueur de l’histoire du CAB ?
J’en citerais plusieurs: Driss Haddad, Abdeljelil Mahouachi, Larbi Baratli, Hamda Ben Doulet, Khaled Gasmi, Ghazi Limam, Mourad Gharbi…
Et le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Le Clubiste Tahar Chaïbi.
Quels sont les joueurs les plus proches de vous ?
Dans chaque génération, il y en a eu un ou deux : Larbi Baratli, Othmane Mellouli, Hamda Ben Doulet, Mourad Gharbi, Mondher Almia, Ahmed Bourchada…
Y a-t-il un phénomène Zouaoui à Bizerte ?
Si l’on veut parler de la réussite des frères Youssef et Larbi Zouaoui, eh bien, il est admis que la réussite crée des ennemis. Et c’est le cas des frères Zouaoui puisqu’il s’agit de deux grands techniciens qui ont fait carrière au plus haut niveau.
Que vous a apporté le sport ?
Un bien inestimable, à savoir la sympathie des gens. Là où je vais, je suis accueilli à bras ouverts. Ce n’est qu’en devenant entraîneur que j’ai été gâté, matériellement parlant, par le sport. La plus grosse prime, je l’ai perçue en 1991-1992. Nous avons perdu sur le fil le titre de champion arraché par le Club Africain. La prime était de 110 dinars pour une victoire à l’extérieur, et 70 D à domicile. En tout et pour tout, nous avons eu droit à 1.800 dinars.
Est-il facile d’allier sport et études ?
Cela était possible en notre temps quand nous nous entraînions tout juste quatre fois par semaine. Il n’y avait pas deux à trois séances par jour comme présentement. D’ailleurs, il y eut énormément de footballeurs qui ont mené avec succès des études universitaires. Maintenant, il faut faire un choix: c’est soit les études, soit le foot de haut niveau.
Que représente pour vous la famille ?
C’est quelque chose de sacré, toute mon existence. Je me suis marié en 1986 avec Samia. Nous avons trois enfants: Afef, Mohamed Hassène et Wael. En fait, le foot exige des sacrifices infinis: entraînements, stages, blessures….J’ai arrêté de jouer à 36 ans, avant de suivre une carrière d’entraîneur professionnel. C’est mon épouse qui s’est vraiment occupée de mes enfants. Je la remercie du fond du cœur. J’étais tout le temps pris par le football, privé des plaisirs auxquels s’adonne chaque jeune: veillées, cafés, rencontres entre amis, plage… C’est dire les sacrifices que doit consentir un joueur de haut niveau.
Comment passez-vous votre temps libre ?
Je ne vais presque jamais au café. J’aime faire de la marche. Eté comme hiver, je vais à la plage. Je regarde le foot européen à la télé, notamment les championnats d’Espagne et d’Angleterre. Je n’ai pas de club préféré. J’écoute la musique d’Oum Kalthoum, d’Abdelwahab et d’Abdelhalim.
Quelle place occupe le CAB dans votre existence ?
C’est ma vie, ma grande passion et ma grande famille. Le Stade Africain de Menzel Bourguiba est mon deuxième club même si je n’y ai jamais évolué. C’est en fait le club de ma ville natale.
Enfin, si vous n’étiez pas dans le foot, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ?
Je n’ai jamais envisagé de faire autre chose que le foot, c’est mon destin. Toutefois, je fais tout afin que mes enfants soient instruits et fassent autre chose que le foot qui est vraiment la galère. Sur une cinquantaine de joueurs Ecoles, il y aura peut-être un ou deux qui vont arriver jusqu’aux seniors. Les parents interviennent aujourd’hui pour forcer la main à l’entraîneur afin qu’il fasse jouer leurs enfants, quitte à en payer le prix. La corruption est la gangrène du sport. Et le mérite, pardi !