Accueil Société Présence des requins sur nos côtes: Vérité et contre-vérité !

Présence des requins sur nos côtes: Vérité et contre-vérité !

Sur les réseaux sociaux, les intox et les infos liées au danger que pourraient, cet été, présenter les requins sur nos côtes ont fait tache d’huile, sans cesser de multiplier les débats et les interrogations sur la véracité des faits. Et même les déclarations et les contre-déclarations des uns et des autres n’arrivent pas à dissiper l’équivoque et rétablir la réalité.


Récemment, une vague de panique s’est emparée des réseaux sociaux en Tunisie, portant principalement sur la présence de requins qui « commencent à se rapprocher des côtes». Non sans menacer dangereusement notre tourisme et avoir de sérieuses répercussions sur celui-ci, vu que certains touristes locaux et internationaux hésitent à aller se baigner sur les plages tunisiennes. Durant les derniers jours, les spéculations et les rumeurs ont massivement envahi les réseaux sociaux créant une ambiance d’inquiétude et d’affolement qui s’est installée au sein de notre société. Tout ce bruit réel et virtuel autour des requins est-il une réalité ou juste un mythe nourri de fausses rumeurs? Une question qui devient plus pressante, alors que la saison estivale a déjà démarré.

L’incident en Egypte alimente les doutes

L’attaque d’un requin au large de Hurghada, sur les côtes de la mer Rouge en Egypte, contre un résident russe qui a entraîné son décès, a nourri encore plus les doutes et accentué l’hystérie. Les requins ne sont pas rares en mer Rouge, cependant ils s’en prennent très rarement aux nageurs si ces derniers ne dépassent pas les limites autorisées. D’ailleurs, le ministère de l’Environnement égyptien a indiqué que le requin en question a été capturé et que son examen aurait révélé «un comportement anormal », mais cela n’a pas atténué la multitude de rumeurs ayant circulé sur les réseaux sociaux. Une vidéo qui montre l’incident, où ce touriste russe semble se débattre pour échapper au requin, a été diffusée et largement partagée. Cet incident a d’abord freiné le tourisme à Hurghada, qui représente une importante destination touristique égyptienne. Néanmoins, ses effets sont beaucoup plus graves puisque le tourisme dans toute la zone méditerranéenne est la prochaine victime et commence déjà à en subir les conséquences. Mais ces doutes sont-ils fondés ?

Une biodiversité considérable

Les côtes tunisiennes en Méditerranée centrale se caractérisent par la présence d’une grande diversité de requins. La région est connue pour être un habitat important pour ce groupe et un lieu de reproduction pour de nombreuses espèces telles que le requin gris. Selon un article publié dans “Sharks past, present and future” publié en 2023 par Mohamed Nejmeddine Bradai, Samira Najjar et Bechir Saidi, «la région du golfe de Gabès est connue pour être la zone la plus importante pour les requins en Tunisie, contribuant à plus de 60% au débarquement des élasmobranches». Les élasmobranches sont une sous-classe qui regroupe les requins et les raies. En effet, le golfe de Gabès représente une zone importante pour les élasmobranches qui utilisent les eaux côtières de la zone comme nurserie. Toujours selon la même source, la liste des espèces d’élasmobranches présentes dans les eaux tunisiennes montre la présence de 63 espèces dans la zone, dont 37 requins appartenant à 17 familles.

Bande côtière et tourisme national à risque

Depuis quelques jours, une vidéo virale, montrant un jeune homme qui a failli être la proie d’un requin, a fait le tour de la Toile. Les internautes tunisiens ont été choqués par la prétendue attaque qui se serait déroulée, cette fois-ci, à Mahdia. Selon l’avis de Arjoun Saïed, capitaine, un vieux loup de mer, plus de 35 ans d’expérience dans le domaine de la pêche, les côtes tunisiennes, et plus particulièrement la côte de Mahdia, sont gravement menacées. Il nous indique qu’un nombre considérable de requins de grande taille, dont des espèces qui étaient auparavant étrangères à nos côtes, se rapprochent constamment des zones de baignade. «Tout a commencé lors de la création des premières cages flottantes à Mahdia au début des années 2000. A l’époque, ces cages, appartenant à la famille Trabelsi, n’étaient pas conformes aux normes», a-t-il précisé. En effet, certaines conditions concernant la profondeur et l’éloignement de la côte n’ont pas été respectées. Pire encore, des bateaux japonais venaient récupérer les poissons, précisément du thon, depuis les cages flottantes et se débarrassaient des déchets dans nos eaux, lesquels étaient composés d’intestins et de têtes coupées.

Saïed raconte qu’en 2014-2015, environ 1.500 kg de déchets ont été jetés à la mer tandis que le gouvernement faisait l’oreille sourde. Ces déchets ont été emportés par la marée vers le rivage. La première conséquence fut l’odeur nauséabonde qui a perturbé les habitants de la zone. Mais ce qui est plus alarmant, c’est le fait que ces déchets ont attiré des requins de tout type, y compris le requin blanc qui figure parmi les espèces les plus dangereuses. Plusieurs organisations ont déclaré l’état d’urgence à Mahdia, où des réunions ont eu lieu, afin d’avertir que la bande côtière était à risque et que le tourisme serait gravement impacté. La situation était d’une telle gravité que même la FAO a été interpellée par ces organisations.

Mais, hélas, malgré les plaintes répétées des habitants et les tentatives des organisations nationales de régler la situation, ce fléau se poursuit jusqu’à présent à cause notamment du manque de surveillance et de sanctions.

Pas de requins sur nos côtes

Toutefois, l’avis de Arjoun Saïed n’est pas partagé par tout le monde. Selon Marouène Bdioui, maître assistant de l’enseignement supérieur agricole à l’Institut national des sciences et technologies de la mer (Instm), il n’y a pas de requins sur les côtes tunisiennes. «Ce sont seulement des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux, suite à la fabrication de vidéos. D’ailleurs, suite à une recherche inversée d’images réalisée avec le logiciel InVid Verify, il s’est avéré que la vidéo virale qui a effrayé les internautes n’a pas été prise à Mahdia. La vidéo en question est bien réelle, cependant elle a été filmée à Orange Beach, en Alabama, aux États-Unis, en août 2022. Celle-ci a été diffusée pour semer le doute et créer de l’ambiguïté », a-t-il encore surenchéri. Bdioui rappelle surtout qu’il n’y a jamais eu d’incidents sur nos côtes. Et d’ajouter que seule une ou deux espèces de requins de grande taille sont présentes en Méditerranée. Ces espèces sont plus ou moins dangereuses pour l’homme, mais ne se rapprochent généralement pas des côtes car leur source d’alimentation se trouve dans des profondeurs abyssales. De même, une grande partie des requins présents en Méditerranée sont édentés. En outre, 50% des requins concernés n’atteignent pas un mètre de longueur à l’âge adulte, ce qui fait qu’ils sont majoritairement inoffensifs.

L’avis de Saïed et celui de Bdioui sont contradictoires. La divergence d’opinions nous incite à rester quand même vigilants et à prendre les précautions nécessaires. Néanmoins, ce qui semble probablement vrai, c’est qu’il n’y a jamais eu d’attaque de requins sur les côtes tunisiennes.

Le prédateur est-il devenu la proie ?

Selon un rapport publié par le Fonds mondial pour la nature (WWF) en 2019, la Tunisie a été classée deuxième plus gros pêcheur de requins de la Méditerranée après la Libye. L’Homme ne serait-il pas donc celui qui représente une menace pour la survie et la préservation de cette espèce? Ces requins, dont certaines espèces sont en voie d’extinction, sont soumis à une pression grandiose due aux activités anthropiques. En effet, la surpêche croissante engendre un déclin de plusieurs populations de poissons et de mammifères marins. Selon Marouène Bdioui, l’Etat tunisien prend les mesures nécessaires, afin de protéger les élasmobranches et d’assurer la préservation de la biodiversité. Nos eaux regorgent de trésors et sont abondantes en espèces que nous devons sauvegarder à tout prix.

Sandra OUNAÏS

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