Accueil Economie Amine Ben Abderrahman, C.E.O de Konnect à La Presse: «Les Fintech ne sont pas une menace pour les banques»

Amine Ben Abderrahman, C.E.O de Konnect à La Presse: «Les Fintech ne sont pas une menace pour les banques»

Rompu à la finance, Amine Ben Abderrahman est un startuppeur aguerri. Pour lui, les solutions technologiques proposées par les « Fintech » peuvent jouer un rôle important dans le développement de l’inclusion financière en Tunisie, et ce, à condition que les banques s’ouvrent davantage à ces start-up, dont le cœur de métier n’est que le service financier. Rencontré en marge  de la  3e édition des journées d’études de l’Atcf, qui se sont tenues récemment sur le thème de l’inclusion financière, le CEO de la start-up Konnect, Amine Ben Abderrahman, fait la lumière sur les causes de la réticence des banques à l’égard des Fintech qui sont souvent perçues comme une menace pour ces institutions financières. Entretien.


Dans votre présentation, vous avez évoqué un gap qui existe entre l’offre bancaire et ce que la technologie propose. Qu’entendez-vous par là ? 

Longtemps, je n’ai pas compris comment avec  22 banques, le taux de bancarisation en Tunisie ne dépasse pas les 35%. Ceci s’explique par la lourdeur et le manque d’agilité des banques, dont l’intérêt n’est pas porté sur le client, mais plutôt sur leurs business qui leur permettent de réaliser des bénéfices confortables sans trop d’efforts.

En effet, elles ne sont pas dans une sorte de compétition positive qui va les pousser à dénicher de nouveaux clients, notamment les non bancarisés et les populations marginalisées. D’ailleurs on ne peut pas parler de marginalisation alors que le taux des non bancarisés se situe à 65%. En réalité, de vraies inégalités découlent de cette situation, étant donné que le bancarisé dispose d’un historique digital. Lorsqu’il fait une demande de prêt, la banque procède à une évaluation de risque qui se base essentiellement sur  l’étude de ses revenus et dépenses et qui aboutit finalement à une prise de décision quant à l’octroi du prêt, dont le taux se situe  aux alentours de 11%.

Tandis que les non-bancarisés qui sont dans l’informel, qui utilisent principalement le cash et ne disposent pas de faire-valoir digital sur l’historique des transactions qu’ils effectuent, n’ont d’autre choix que de s’orienter vers le microcrédit dont le taux se situe à 32%.  Donc, derrière la question de l’inclusion financière  se cachent des problèmes de justice sociale, puisqu’en même temps, il y a  des couches sociales qui peuvent progresser dans leurs vies, en investissant, créant des projets et qui finissent par créer un cercle vertueux, alors que d’autres n’ont pas le luxe du choix outre le microcrédit qui est coûteux et peut être difficile d’accès.

Contrairement aux idées répandues, vous ne considérez pas que l’inclusion financière est, avant tout, un défi technologique ? 

En ce qui concerne l’inclusion financière, le problème n’a jamais été d’ordre technologique. C’est au niveau de la résistance au changement que le bât blesse. C’est-à-dire le fait d’accepter de faire des concessions quant à la position dominante dont jouissent les banques. Il faut dire que certaines  banques veulent innover et travailler sur des solutions novatrices, mais elles devraient relever le défi de la conduite du changement : comment faire accepter ce changement, quels sont les risques encourus, comment obtenir  l’aval de la Banque centrale quant à la mise en place de nouvelles solutions technologiques… Voilà le type d’enjeux auxquels ces  banques qui souhaitent se lancer sur la voie de l’innovation sont confrontées.

Après, il y a les banques qui n’affichent aucun intérêt pour ces innovations, étant donné qu’elles sont dans une situation confortable et donc n’ont pas besoin de mettre en place des solutions innovantes et ne ressentent aucun danger qui pourrait les pousser à développer de nouveaux axes dans leurs activités. 

Votre Fintech « Konnect » propose des solutions innovantes en matière d’inclusion financière. Pouvez-vous la présenter ? 

Pour faire simple, « Konnect » fonctionne comme Paypal. On répond au besoin très simple de tout prestataire de service qui veut être payé à distance, que ce soit via son site web, son mail ou en recevant  un virement de l’étranger… Nous lui offrons une solution adaptée et très facile d’utilisation parce que je suis convaincu que les canaux d’échanges d’argent et de transactions financières doivent être aussi simples que les applications Whatsapp et Messenger. En quelques clics, l’utilisateur génère un lien qui sera partagé sur les réseaux sociaux et qui lui permet de recevoir son argent.

Bien sûr, ce que nous proposons est conforme aux réglementations en vigueur, notamment en relation avec  la lutte contre le blanchiment d’argent. Pour s’assurer de cette conformité,  nous travaillons sur des process dits KYC (Know Your Customer) ou KYB (Know Your Business), qui nous permettent de vérifier, non seulement la nature des flux, mais aussi l’identité de nos clients conformément aux exigences légales et aux réglementations en vigueur.  Aujourd’hui, Konnect compte plus de 1.300 marchands et le nombre va crescendo. Près de 2.100 transactions ont été effectuées depuis le lancement de la start-up, il y a de cela un an et demi. Parmi nos clients, je cite, les plateformes de ticketing et toutes les sociétés qui commercialisent des produits digitaux qui sont férues de solutions de paiement  en ligne.

Quelle est la singularité de « Konnect » par rapport aux solutions de paiement mobile qui existent déjà sur le marché ? 

Notre particularité réside dans notre approche « User centric » qui est, d’ailleurs, l’ADN de l’entreprise. Chaque démarche que nous entreprenons est réalisée à travers le prisme de notre client. C’est pourquoi nous tenons à connaître ses besoins, ses attentes par rapport à cette nouvelle solution, l’expérience idéale à laquelle il aspire pouvant l’inciter à adhérer à une solution qui lui est inconnue. Notre point de départ c’est l’empathie avec le client.  Donc notre approche ne consiste pas à lui imposer une solution, mais plutôt à comprendre ses attentes pour pouvoir lui offrir un produit qui convient à ses besoins. C’est ce qui nous a permis de concevoir une solution taillée sur mesure ; facile, rapide et qui offre, en même temps, les garanties nécessaires.

D’après vous, pourquoi le mobile paiement n’est pas assez développé en Tunisie, malgré la multitude des solutions de paiement mobile qui sont actuellement disponibles sur le marché ? 

Le mobile paiement n’a pas conquis les utilisateurs parce que les solutions proposées n’ont pas été conçues à partir des besoins et des attentes des clients. L’approche des banques est différente et repose sur la quête de nouveauté : une fois la solution conçue, on procède à son lancement et on évalue après son efficacité. Le mindset qu’il faut adopter est complètement différent. Grâce à la première approche (partir des besoins de l’utilisateur), le concepteur sera plus agile, à l’écoute du besoin des clients  et du marché. C’est ce qui le pousse à  travailler continuellement sur l’amélioration de son produit alors que l’objectif derrière le lancement de la plupart des solutions disponibles sur le marché n’est autre que la communication sur les velléités des banques de contribuer à la promotion de l’inclusion financière. Peut-être que je suis un peu acerbe dans mes propos vis-à -vis des banques. Mais il faut comprendre la raison : Cela fait trois ans que nous déployons des efforts énormes pour décrocher des partenariats avec ces institutions. Je ne vais pas dire que toutes les banques ne sont pas ouvertes aux partenariats avec les Fintech. Certaines banques veulent vraiment travailler avec des start-up sur des solutions innovantes. Je citerai la BTE, à titre d’exemple, avec qui nous avons récemment signé un contrat de partenariat pour être Facilitateur de Paiement sur leur réseau. Mais souvent, les procédures sont lourdes et complexes. Cela s’explique aussi par le fait que les banques prennent en considération la réticence du  régulateur  qui pratique les deux poids, deux mesures.

Il est vrai qu’une Sand Box pour les Fintech a été mise en place mais réellement, il n’y a qu’une seule Fintech qui a démarré ses activités après un long parcours qui a duré  deux ans depuis le dépôt de sa demande. Ce qui dénote la lourdeur et la complexité des procédures. En tant que Fintech, nous aurions dû être installés dans l’immeuble dédié à la SandBox et le fait de faire partie de la SandBox devrait être un gage de confiance pour les start-up auprès des banques. Même la SandBox Express n’est pas ouverte aux Fintech d’une manière directe.

Elle est dédiée aux banques qui veulent  offrir des produits un peu plus innovants. Or, comme je l’ai expliqué, les banques ont beaucoup de mal à collaborer avec les Fintech. Peut-être, elles se sentent menacées, mais il faut changer cette mentalité. Nous ne sommes pas une menace pour elles parce que nous travaillons sur un segment sur lequel elles ne sont pas présentes.

C’est le Last Mile qui n’est pas, d’ailleurs, une problématique technologique. Les banques peuvent sortir toutes les solutions de mobile paiement, tant que ces dernières n’émanent pas du besoin de l’utilisateur, ça ne va pas marcher. Elles doivent comprendre que ces solutions relèvent de la spécialité des Fintech. Après tout, la valeur ajoutée de la banque ne réside pas dans les transferts financiers, mais plutôt dans l’évaluation du risque et les crédits. Je pense que les Fintech et les banques doivent travailler ensemble main dans la main.

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