Certains clubs n’ont pas caché leur euphorie d’avoir réussi à obtenir du bureau fédéral de faire marche arrière sur le nombre de joueurs étrangers. Mais est-ce de bon augure pour l’avenir ?
Durant des décennies, seule une assemblée générale souveraine qui réunissait la majorité des associations membres avait le pouvoir de législateur et de décision des amendements phares à apporter aux textes sportifs en vigueur. Du temps du regretté Mohieddine Baccar, le Conseil fédéral était un événement grandiose où les représentants des clubs avaient le temps et la liberté de discuter de tout ce qu’on inscrivait dans l’ordre du jour comme points dont bon nombre d’ailleurs, émanant de leur grand vécu d’hommes de terrain, étaient proposés par eux avant la tenue de ce Conseil. C’était tellement fructueux car c’était toujours le fruit d’une concertation à cœur ouvert, spontanée et transparente, qui ouvrait la voie à bon nombre de consensus larges et à des décisions collégiales qui servaient l’intérêt général du football tunisien. Comme cet amendement célèbre interdisant le recrutement des gardiens de but étrangers. Depuis que les clubs sont tombés dans le piège et ont commis l’irréparable de céder leur pouvoir de législateur au Bureau fédéral, rien n’est plus comme avant. Les décisions sont prises entre quatre murs, à chaud et sans mûre réflexion, taillées sur mesure d’une minorité de clubs et d’autres intervenants comme les tout puissants agents des joueurs qui tirent dans l’ombre les ficelles du marché des transferts et exercent une forte pression sur le Bureau fédéral de Wadie Jary pour qu’il rebrousse chemin quand ils découvrent avec l’expérience qu’une décision ne sert pas leurs propres intérêts financiers.
Modifications à la carte
Mercredi, la Fédération, via un simple communiqué, a apporté des modifications sur la décision du 7 juillet 2022 qui «a mis fin à l’assimilation des joueurs issus des pays de l’Unaf à des joueurs locaux et qui les a reconsidérés à partir de la saison écoulée 2022/2023 comme des joueurs de nationalité étrangère. «Chaque club n’avait le droit d’inscrire depuis cette date sur la feuille de match que 6 joueurs étrangers dont ceux issus des pays de l’Unaf et de ne faire participer que 4 en même temps tout au long de la rencontre». C’est l’Espérance qui a fait lourdement les frais de cet amendement surprise en Afrique, elle à qui il lui arrivait d’aligner 8 joueurs de nationalité étrangère sur les onze évoluant sur terrain. Ses résultats de la saison écoulée passée, assez modestes par rapport à son potentiel humain important dans le passé et à ses hauts objectifs habituels, témoignent du lourd préjudice qu’elle a subi. Ça ne pouvait pas continuer comme ça et elle a trouvé en Othmen Jenayah et en l’Etoile (un champion qui revient sur la scène africaine) un allié et un soutien de poids pour pousser le Bureau fédéral à faire marche arrière un an après l’amendement indiqué. Car la note circulaire de juillet 2022 stipulait «qu’à partir de la saison 2023/2024, le nombre de joueurs seniors étrangers à engager par les clubs de la Ligue 1 et à figurer sur la feuille de match serait limité à quatre (4)».
Une restriction qui aurait handicapé lourdement les effectifs de nos équipes qualifiées pour les compétitions africaines et arabes et qui aurait aussi enlevé un peu de charme à notre championnat qui a gagné en suspense et où certains joueurs étrangers ont donné un grand plus à leurs équipes et leur ont permis d’être plus solides et plus compétitives et de rivaliser haut la main avec les grosses écuries. Wadie Jary ne pouvait pas évidemment faire la sourde oreille à la requête des grands clubs, tout heureux de les voir lui retendre la main par besoin, et a gommé d’un trait cet engagement tenu de limiter cette saison les joueurs étrangers à recruter au nombre de quatre.
Ainsi, les clubs de la Ligue 1 sont toujours autorisés d’avoir sous contrat dans leurs effectifs de 30 joueurs seniors 6 joueurs étrangers pour la saison 2023 / 2024 avec un bonus en plus : un septième étranger s’il appartenait à la catégorie élite du club lors de la saison 2022/2023.
Une décision à double tranchant
Il fait reconnaître que le maintien de 6 étrangers n’est pas pour déplaire à des clubs qui ont puisé leur force lors de la phase du play-off, notamment de l’apport considérable de leurs joueurs étrangers. L’USMonastir n’aurait pas été cette équipe séduisante qui a bousculé la hiérarchie des grands sans Youssouf Oumaro, Ousmane Wattara, Boubacar Sarr, Mohamed Amine Bouzayène et Abdelkader Botiche. Idem pour l’OBéja qui nous a gratifié d’un beau football collectif et efficace grâce à la présence dans ses rangs de joueurs étrangers de qualité : Richard Kasagga, Lamien Ba, Babacar Sarr et Glooy Kilangalanga. Le transfert de Babacar Sarr à l’USMonastir, ajouté à celui de Oussama Bouguerra et de celui très probable de Mohamed Wael Derbali, lui a permis de renflouer sa caisse et de se donner un nouveau souffle pour la nouvelle saison et engager d’autres joueurs étrangers pour équilibrer son effectif. On peut se demander, dans le même ordre de raisonnement, dans quel état aurait été le CSS sans son milieu défensif Moussa Bella Konté, son meneur de jeu Hussein Ali et son attaquant de pointe Mohamed Kanté. Il en est de même pour l’USBG qui a trouvé en Presnel Banga un très bon demi de récupération et de relance. Toutefois, ces étrangers qui ont fait les beaux jours de leurs équipes ne sont que des joueurs de transit qui font du championnat tunisien un tremplin pour une carrière meilleure dans d’autres pays. Cette instabilité, avec des contrats de très courte durée ou rompus du fait de transfert avant qu’ils n’arrivent à terme, a des effets négatifs sur la continuité de la montée en puissance des équipes comme l’USM et l’OB qui pourront difficilement rééditer leur beau parcours de la saison écoulée. Et puis ce maintien des six joueurs étrangers, et éventuellement sept, peut aller contre les objectifs de la décision du 7 juillet 2022 qui étaient de laisser assez de place et d’opportunités pour les jeunes talents tunisiens afin d’être régulièrement titulaires et d’acquérir, avec plus de compétition et de matches dans les jambes, une grosse maturité précoce qui élargirait les effectifs de nos équipes U23 et U20 et l’antichambre de l’équipe A. C’est pourquoi un débat lors d’une assemblée générale aurait été plus bénéfique qu’une décision de Bureau fédéral prise dans la précipitation en 2022 et révisée un an après sous la pression forte et à la demande d’une minorité de clubs. Et quand on connaît la crise financière qui frappe l’ensemble de nos clubs, on ne peut que craindre un retour en masse des litiges devant la Fifa et de la sanction couperet de l’interdiction de recrutement pour des années avec tout le danger que cela représenterait sur la participation de nos clubs en compétitions nationales, arabes et africaines. N’oublions surtout pas que l’ultimatum du 30 juin, pour la levée de ses interdictions pour certains clubs, a été reporté sur garantie à coup de milliards de la FTF auprès de la CAF fin juillet. C’est bien l’euphorie du moment suite à cette marche arrière du Bureau fédéral, mais il faut penser à ce qui pourrait se passer après, quand nos clubs auront à affronter la dure réalité de ne pas pouvoir respecter leurs engagements financiers après plusieurs années de dégraissage des dépenses et de sacrifices pour éponger les litiges.