Malgré un premier feu vert en octobre dernier, les négociations sont à l’arrêt à cause du refus du président tunisien d’appliquer les mesures demandées par l’institution financière.
La dernière fois qu’il a évoqué le FMI, le président Kaïs Saïed a eu des mots cinglants. Après avoir évoqué une « malédiction antique » pesant sur l’institution, il a appelé dans un discours à Rome le 23 juillet, lors du sommet international sur les migrations, à « créer une nouvelle institution financière mondiale » pour « établir un nouvel ordre humain où l’espoir remplace le désespoir ». Malgré un premier feu vert de l’institution de Bretton Woods en octobre dernier, les négociations avec la Tunisie pour un nouveau crédit du FMI de 1,9 milliard de dollars piétinent depuis fin 2022. Un accord apporterait une bouffée d’oxygène à un pays, dont les difficultés croissantes inquiètent l’europe et les Etats-Unis, et déclencherait d’autres financements étrangers.
Endettée à hauteur de 80 % du PIB, la Tunisie a un besoin criant d’argent pour régler les salaires des fonctionnaires (680.000 dans l’administration centrale) et ses dépenses courantes.
Une dernière échéance, fin août !
Mais le président Kaïs Saïed s’oppose aux « diktats » du FMI que sont, à ses yeux, deux mesures prévues pour obtenir le crédit : une levée graduelle des subventions étatiques aux produits de base, surtout sur les carburants, et la restructuration d’une centaine d’entreprises publiques criblées de dettes.
« Les négociations sont complètement à l’arrêt, c’est la Tunisie qui bloque », confirme l’économiste Ezzedine Saïdane, soulignant que Saïed « a vu dans ces réformes des choses qui le pénaliseraient politiquement ».
« L’accord est bloqué à cause de Kaïs Saïed, qui rejette des réformes proposées par son gouvernement [au FMI], en particulier pour les subventions », explique à l’AFP Aram Belhadj, enseignant chercheur à l’Université de Carthage. Avec une économie marquée par de faibles salaires, le pays a instauré dans les années 1970 une caisse de compensation à travers laquelle l’Etat achète des produits de première nécessité pour les réinjecter à bas prix sur le marché.
Pour Belhadj, « si d’ici fin août il n’y a pas de clarification de la position de la Tunisie, l’accord avec le FMI sera enterré une fois pour toutes ».
Le directeur du département régional du FMI, Jihad Azour, a indiqué à la mi-avril n’avoir reçu « aucune demande de la Tunisie pour la révision de son programme ». Début juin, le chef de l’État a de nouveau exclu de toucher aux subventions, annonçant à la place des taxes « pour prendre l’excédent d’argent aux riches et le donner aux pauvres ». Il ne faut pas oublier que le déficit public (8 % du PIB) provenait en totalité, en 2022, des « compensations » étatiques, et aux deux tiers des subventions énergétiques après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, qui a fait flamber les cours du pétrole.
Pénuries pour rembourser les dettes ?
Si la Tunisie décide de se passer du FMI, peut-elle tenir ou fera-t-elle défaut en cessant de rembourser ses dettes ? Pour 2023, le pays peut faire face à des échéances estimées à 21 milliards de dinars dont 12 en devises (environ 4 milliards d’euros), grâce au tourisme, aux envois de la diaspora, aux exportations de phosphates et à la baisse du coût de l’énergie, selon les économistes.
Pour l’économiste Ezzedine Saïdane, l’Etat tunisien « semble avoir fait le choix de privilégier le remboursement de sa dette. Mais aux dépens de l’approvisionnement en produits de base». Ces derniers mois ont déjà été marqués par des pénuries sporadiques de farine, de riz, de sucre ou d’essence, se traduisant par des rayons vides ou de longues queues devant certains magasins. Saïdane déconseille une hausse des taxes, alors que le pays, « avec la pression fiscale la plus élevée d’Afrique », est déjà « à la limite ».
Par ailleurs, l’Etat ne peut pratiquement financer aucun nouvel investissement, ce qui condamne la Tunisie à stagner, avec une croissance faible (environ 2 %) et un chômage supérieur à 15 %. Pour financer ses dépenses, il sollicite aussi de plus en plus les banques locales, minant leur réputation à l’international : quatre d’entre elles ont vu leur note dégradée en début d’année par l’agence Moody’s.
(Avec presse internationale)