Cette exposition inédite repose sur la promotion des expériences plastiques modernes et contemporaines les plus notoires du lettrisme en Tunisie et sur la valorisation des productions artistiques les plus emblématiques sur lesquelles elles ont débouché, comme on peut le lire dans le texte de présentation de l’exposition.
Le Musée national d’arts moderne et contemporain abrite, depuis le 20 juillet, l’exposition «Lettrisme artistique en Tunisie: éclosion et évolution» qui revient sur l’émergence de ce courant artistique sous nos cieux et les différents aspects et autres approches qui le représentent de la période allant de 1970 à 2020.
A travers près de 88 œuvres issues du fonds national des arts plastiques et signées par une soixantaine d’artistes, l’exposition revient sur les expériences plastiques modernes et contemporaines qui ont marqué l’apparition et l’évolution de ce courant en Tunisie.
Commençons d’abord par revenir sur l’appellation de ce mouvement artistique dit «Lettrisme» dont on attribue les débuts en Europe à Isidore Isou Goldstein, d’origine roumaine, qui est arrivé en France en 1945. Philosophe de formation, Isou désirait une société paradisiaque aux antipodes de la société du moment, une société de loisirs créatifs, où le travail est aboli.
Le lettrisme est, à ses débuts, un mouvement poétique d’avant-garde qui célèbre la lettre en tant que telle, non plus comme un vecteur de sens mais comme une entité à part entière. Les mots n’ont plus d’importance, seule importe la lettre. Le lettrisme concerne alors essentiellement la poésie et la musique et fait naître des poèmes chantés construits à travers une correspondance de sons.
L’objectif principal à l’origine de la création du mouvement de lettrisme est le bouleversement intégral des arts et de la société. Cette conception globale se traduit par une volonté de repenser les supports, c’est-à-dire les moyens de la création en employant la lettre comme matériau sonore et plastique.
Le mouvement prend de l’ampleur et devient pluridisciplinaire. Les lettristes expérimentent et appliquent les concepts d’Isou à tous les domaines artistiques (poésie, peinture, roman, cinéma, photographie, sculpture, architecture…) mais aussi ceux de la pensée. Le mouvement s’empara systématiquement de tous les domaines du Savoir et de la Connaissance, dont les sciences sociales (économie, droit, psychologie…) ou encore des sciences naturelles (chimie, médecine…). Cela se traduit par exemple par un cinéma sans images, des poésies réduites aux lettres, la peinture confondue aux écritures, des romans déconstruits et remplacés par des collages formels, anagrammes, alphabets hiéroglyphes, pictogrammes ou encore des mots croisés.
C’est dans ce bouillonnement lettrisme, qu’est né le lettrisme dans les arts plastiques en partant de l’aspect éminemment visuel de la lettre. Les adeptes du mouvement ont caractérisé cette nouvelle forme de peindre d’« hypergraphique », pour signifier l’importance de travailler la lettre comme matière, en représentant lettres et signes pour eux-mêmes et non pour leur signification. Ainsi, des artistes tels que François Poyet, Françoise Canal, Jean-Paul Curtay, Antoine Grimaud et Janie Van den Driessche, appliqueront cela à la peinture, la sculpture et autres installations.
Le mouvement évoluera pour atteindre d’autres terres et intéressera d’autres artistes dans le monde. En Occident, le lettrisme influencera différentes générations d’artistes et l’émergence d’autres mouvements et pensées et artistiques comme Fluxus (Ben), le Nouveau réalisme (Mimmo Rotella) ou encore l’Internationale situationniste.
Il atteindra aussi des artistes arabes et l’emploi de la lettre chez ces derniers, héritiers de l’art de la calligraphie, s’intensifiera pour prendre différents sens et différentes formes. L’on peut citer dans ce sens les Irakiens Jamil Hammudiet, Madiha Umar ou encore le Libanais Wajih Nahli.
Naîtra alors un mouvement arabe baptisé hurûfiyya (traduit par le terme « lettrisme ») différent de celui d’Isidore Isou durant les années 1970.
Selon des historiens de l’art arabe qui ont consacré leurs études au lettrisme, ce courant s’est installé simultanément dans différents pays arabes, pratiqués surtout par des artistes influencés par des séjours ou des formations en Occident.
Durant la période des indépendances, l’emploi de la lettre arabe comme matériau plastique a permis de donner plus de légitimité à l’abstraction, considérée alors dans le monde arabe comme un courant occidental.
Avec ce lettrisme arabe, les artistes arabes pouvaient prétendre à un art abstrait avec une identité arabe bien soulignée.
Petit à petit, émergera une tendance lettriste affranchie de cette quête identitaire. L’emploi de la lettre ne se limitera plus à la calligraphie ou à une volonté de réappropriation du patrimoine arabo-islamique. Il sera ainsi question, progressivement, d’«écriture» en tant qu’élément pictural à part entière et d’ensemble de signes graphiques qui viennent redéfinir le statut de l’œuvre d’art.
En Tunisie, cela a permis d’accéder à de nouveaux univers esthétiques et à différentes représentations de l’art calligraphique, mais, également, à un métissage des styles artistiques. L’exposition « Le lettrisme artistique en Tunisie : éclosion et évolution » présente un aperçu sur les artistes qui ont le plus marqué ce mouvement. Plusieurs d’entre eux ont fait du signe calligraphique le sujet majeur de leurs productions artistiques.
Cette exposition inédite repose sur la promotion des expériences plastiques modernes et contemporaines les plus notoires du lettrisme en Tunisie et sur la valorisation des productions artistiques les plus emblématiques sur lesquelles elles ont débouché, comme on peut le lire dans le texte présentateur de l’exposition.
Les œuvres articulées autour des axes principaux : approches des avant-gardes, expressions artistiques inspirées de la lettre arabe et expressions contemporaines du lettrisme où quand la lettre devient un sujet pictural, sont signées, entre autres, par Safia Farhat, Nja Mahdaoui, Fabio Roccheggiani, Nejib Belkhodja, Hedi Turki, Rachid Koraïchi, Ahmed Cherkaoui, Mohamed Ben Mefteh, Abldelmejid El Bekri, Lamine Sassi, Imed Jemaïel, Ali Zenaïdi, Naceur Ben Cheikh et Hassen Soufy.
Une occasion pour les visiteurs de découvrir ce mouvement de l’art moderne et contemporain tunisien et une belle opportunité pour les étudiants en arts d’accéder, in situ, à des supports visuels et didactiques.