Des pénuries, il y en a eu pour plusieurs produits, dont notamment le sucre, le lait, le café, le riz, la farine, la semoule, et même les carburants, mais la crise du pain qui pointe son nez a une tout autre portée.
Il faut dire que depuis plusieurs jours, une habitude semble s’installer insidieusement avec l’absence ou presque de la baguette, alors que d’autres catégories de pain sont disponibles, en quantités limitées, toutefois, et à un prix élevé, soit, au moins, le triple.
La grogne commence à gagner la population qui n’en peut plus de payer cher un produit de base aussi indispensable que le pain. D’où les premières réactions laissant entendre des mouvements de protestation populaires.
Il semblerait que certains professionnels jouaient probablement la montre, dans la mesure où les Tunisiens sont pour une bonne partie en vacances, et qu’ils réagiraient peu ou pas jusqu’à la rentrée en septembre. D’ici là, et devant le fait accompli, ils seraient habitués et, pourquoi pas, accepteraient leur sort imposé par les «faiseurs du pain».
Mais comme le pain est une ligne rouge, la réaction a été immédiate. D’abord le Chef de l’Etat a été catégorique : «Il n’y aura qu’un seul pain pour les Tunisiens…». Ensuite, les autorités concernées ont pris le relais. Le pain, en Tunisie, comme partout dans le monde, et à travers l’histoire, est politique.
Le Président de la République a rappelé les tristes émeutes du pain de janvier 1984 qui ont fait des dizaines, voire des centaines de victimes, assurant qu’il ne permettra pas que pareil épisode se reproduise.
Un consensus dégagé
La principale pomme de discorde entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI) réside d’ailleurs dans la levée des compensations. Ce que la Présidence de la République réfute catégoriquement, pour ne pas exposer les Tunisiens à la flambée des produits alimentaires de base.
Mais la situation semble, dans l’état actuel des choses, assez floue dans la mesure où de nombreux acteurs risquent de faire pencher la balance dans un sens comme dans l’autre.
D’un côté, et suite à une réunion organisée pas plus tard qu’hier mardi après-midi avec la ministre du Commerce et du Développement des exportations, le président de l’Utica, le président de la Chambre syndicale nationale des propriétaires de boulangeries et le président de la Chambre nationale des minoteries, un consensus s’est dégagé.
Selon le ministère du Commerce, les représentants de la Chambre syndicale nationale des propriétaires de boulangeries ont exprimé leur engagement ferme à garantir l’approvisionnement du pain subventionné au quotidien et tout au long de la journée. Ils se sont engagés, également, à appuyer les efforts de l’Etat visant à garantir les quantités nécessaires de pain.
Un autre son de cloche
Le groupement professionnel des boulangeries modernes, relevant de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), fait entendre un autre son de cloche. Etant persuadé que la Tunisie connaîtra une pénurie de pain, si les autorités ne respectent pas leurs engagements, le groupement a réitéré, mercredi dernier, dans un communiqué, son appel au ministère du Commerce de «respecter ses engagements pris envers les professionnels pour empêcher la dégradation de la situation».
Optant pour l’escalade, le groupement des boulangeries modernes a annoncé, lundi 31 juillet 2023, dans un communiqué, avoir arrêté la fabrication de pain dans toutes les boulangeries affiliées, sur l’ensemble du territoire, et ce à compter d’hier, 1er août. Or, il s’agit de quelque 1.400 boulangeries disséminées à travers l’ensemble du pays. Et ce n’est pas rien !
Dans ce champ de tirs croisés, les accusations fusent de part et d’autre. En effet, ces boulangeries dites modernes sont accusées de «bénéficier de farine compensée sans y avoir droit, de l’utiliser pour en faire du pain non compensé et des pâtisseries pour les vendre cher, outre le fait de tricher dans le poids de la baguette qui ne pèserait plus que 180 g au lieu des 220 réglementaires.
Comme on le constate, la complexité du dossier, la multiplicité des intervenants, les enjeux socioéconomiques énormes, et si l’on additionne l’impact de la guerre russo-ukrainienne, nous sommes face à une bombe prête à exploser si elle n’est pas désamorcée à temps.
D’ailleurs, les observateurs sont tous d’accord d’organiser d’urgence le secteur et d’apporter les réformes profondes et nécessaires, pour apaiser le climat social, et au gouvernement de travailler dans une forme de sérénité pour plancher sur bien d’autres dossiers aussi brûlants qu’urgents.