Mouîne Chaâbani aura cédé à la pression et au harcèlement du public espérantiste. Il s’en va parce qu’il ne peut plus, tout simplement, exercer son métier avec le minimum de tranquillité et de dignité. Pour un club aussi populaire et exigeant, Chaâbani, qui a eu un très bon palmarès en 2018-2019, n’a pas été ménagé par une bonne partie de ce public qui a agi bien sûr via les réseaux sociaux pour intimider l’entraîneur et attaquer aussi le président du club, qui a fini, lui aussi, par accepter le fait accompli et la loi du public. Alors qui juge qui dans notre football? Quels sont les critères qui font qu’un entraîneur soit bon ou mauvais? Comment des jeunes et des adolescents, qui n’ont jamais fréquenté des stades ou joué au football, ont la compétence d’évaluer un entraîneur et d’user de tous les coups (même bas) pour voir leurs caprices «exécutés»? Depuis son retour, Chaâbani n’était pas acclamé par le public de l’EST. Pour un club en pleine transition après avoir dominé le championnat, reconstruire une équipe de qualité n’est pas une affaire simple. Ce n’est pas en un mois qu’on peut harmoniser une équipe où 10 nouveaux joueurs débarquent. Mais bon, les clubs qui jouent pour le titre en Tunisie, c’est une affaire de subjectivité et de raisonnement spécial qui n’obéit à aucune logique. Et finalement que veulent les supporters de l’EST ? Que leur équipe gagne tous les matches et remporte tous les titres ? Cela n’existe pas dans un championnat crédible. Mouîne Châabani, un entraîneur qui a aussi des limites et des ratages (comme tout entraîneur au monde), mérite-t-il d’être lynché et harcelé de cette manière ? C’est le public qui a fini par obtenir gain de cause. Et nous avons déjà écrit que le bal a commencé après le limogeage de Ratko au CAB (sur demande bien sûr du public). Et c’est Ben Yahia (qui au fait ne s’entend plus avec ses joueurs), Chiheb Ellili (un entraîneur qui a gagné deux matches sur quatre!) et Châabani qui ont suivi. Si Mouîne Châabani a cédé, Saïd Saïbi, lui, s’en est sorti indemne après la qualification du CA en Coupe de la CAF. Sauf que Saïbi sait très bien qu’il tient pour le moment par «sursis». Au moindre faux pas, il va être remercié, parce que le public du CA veut Faouzi Benzarti (qui attend impatiemment !). On en est juste à la 6e journée d’une premiere phase, et avant même le coup d’envoi des groupes en compétition africaine, et voilà que les entraîneurs s’en vont l’un après l’autre. A chacun ses raisons et son contexte, mais pour tous, c’est le verdict du public qui les a frappés et évincés. On gère nos clubs suivant le gré et l’humeur d’un public en grande partie non connaisseur et qui évalue son équipe en la comparant au passé et aux grands joueurs d’antan (lecture abusive et nostalgique), ou à travers le «virtuel» et le football imaginaire. Dans les deux cas, deux lectures déplacées et qui, hélas, trouvent du chemin parce qu’en face, les dirigeants ne protègent plus leurs entraîneurs et leurs choix. Frileux, calculateurs, ils s’alignent sur ce que demande le public quels que soient ses désirs. Un chantage qui dure et dure, et un football qui perd toute notion de respect et d’égard. Quand le public décide et impose ses choix, tout est alors permis.