Le système éducatif tunisien est à bout de souffle, en perte de vitesse programmée et accélérée, si bien que l’élève a du mal
à apprendre, sans comprendre et surtout sans s’épanouir. Le remède est pire que le mal. A quand la vraie réforme ?
La décadence du système éducatif tunisien n’est plus un secret. Et le branle-bas de sa réforme s’est accentué ces dernières années, à tel point que l’école publique ne fait plus rêver. S’ensuivirent des maux de toutes sortes : décrochage scolaire, école buissonnière et désintérêt de la jeunesse tunisienne pour la chose scolaire. D’autant plus que cette jeunesse ne croit plus en cette institution pourtant noble et valeureuse et qui a produit les grands hommes d’aujourd’hui.
Quand la délinquance prend le dessus
Les temps ont changé, l’aspect pécuniaire de l’enseignement scolaire l’emporte, si bien que le privé, jadis voué aux cancres, est redevenu l’apanage de nombreux parents qui veulent donner un avenir à leur progéniture en manque de soutien pédagogique et de moyens matériels conséquents. A part le décrochage scolaire dont on a tant évoqué les conséquences néfastes sur l’enfance et la jeunesse si désorientée, il y a le phénomène de l’enseignement à double vitesse, basé principalement sur l’investissement matériel et financier pour faire la différence.
A ce sujet, des retraités de l’enseignement public tunisien constatent, malgré tout, l’effritement de la société tunisienne en différentes classes, avec un système éducatif déclassé et contre-productif, accompagné d’une fracture sociale qui s’aggrave au fil des ans. Force est de constater que la misère sociale et la délinquance prennent le dessus. Leurs témoignages sur les réseaux sociaux prêtent à la consternation : « En général, on observe un enseignement à deux vitesses, soit un pour les riches, et l’autre pour les pauvres. L’école étatique de qualité c’est selon les quartiers, et même dans le privé, selon ton budget ». Un autre surenchérit : « Il y a d’autres divisions sous lesquelles se décline l’éducation en Tunisie, en l’occurrence l’établissement «commun», « pilote » et autre fournissant un diplôme étranger, où la scolarité est payante.. ». Ce dont on a toujours parlé, suite à une décennie de mauvais choix et de net recul de la qualité de l’enseignement scolaire, marqué par des événements et des dérapages de toutes sortes allant des grèves des instituteurs à répétition, des cours particuliers qui ont supplanté l’école en temps et en argent.
De quelle façon le risque de fracture sociale causé par l’enseignement scolaire, à double vitesse, se manifeste-t-il et comment lèse-t-il l’enfant dans son apprentissage ? Comment améliorer le cadre de vie général de tous les enfants tunisiens pour qu’il n’y ait pas des fissures dans l’harmonie de la société en gestation. Jusqu’à quand nos enfants vont-ils continuer à rêver de l’eldorado européen, tout en se demandant sur la relève de demain?
Enjeux 2030
Un ensemble d’enjeux qui vont déterminer l’avenir de la nation tunisienne dans sa jeune composante. Selon M. Moez Chérif, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant (Atdde), « l’école républicaine en Tunisie est soumise à 4 objectifs du développement durable (ODD) pour une éducation de qualité et mise à jour » pour ne pas être continuellement dépassé par les standards internationaux des pays développés. En corollaire, la flexibilité de l’emploi et la mobilité des jeunes postulants entre les villes et régions tunisiennes est un phénomène que l’Etat doit contrôler et réguler en permanence, comme il le fait actuellement. Sinon, on ne mettrait pas en valeur le système éducatif et de formation nationaux. « Le deuxième engagement de l’Etat se traduit par la nécessité de poursuivre les objectifs africains à l’orée de 2030. Par ailleurs, l’adhésion de la Tunisie au GPE, Global Partnership Education, qui est un organisme international, et ce, depuis avril 2022, va lui permettre de bénéficier d’un soutien financier pour la réforme du système éducatif, à travers une analyse sectorielle. L’Etat doit intervenir pour obtenir des résultats et des améliorations tangibles, mais pas seulement le ministère de l’Education. Toute la dynamique économique en dépend, car le premier employeur demeure le secteur privé », poursuit-il. Améliorer la qualité de l’enseignement public qui doit être adapté aux évolutions technologiques très rapides et assurer la relance de la formation professionnelle et de la formation des formateurs sont autant de mesures indispensables. En outre, l’analyse sectorielle du système éducatif a montré un manque d’équité et une inégalité des chances à cause de pressions faites sur l’élève pour rejoindre les grandes villes, marquant des différences au niveau de l’enseignement public. Des quartiers défavorisés et populaires dans certaines régions du pays, où l’on trouve plus de nouvelles recrues ou des remplaçants qui traduisent une défaillance chronique des enseignants.
Cumul de handicaps et d’obstacles
Il y a un cumul de handicaps pour les enfants vivant dans des quartiers et régions défavorisés avec peu d’institutions et absence d’infrastructures des jeunes. Le seul examen du Bac révèle une inégalité des chances criante. Et M. Chérif de brosser un tableau accablant : « Sur 100 inscrits au primaire, 50 arrivent jusqu’au bac, et dont 50% seulement vont réussir. Soit 25% de chances de réussite pour un Tunisien pour obtenir un précieux diplôme, depuis le primaire ». Et d’enchaîner qu’il y a un autre handicap dont il faut tenir compte: « Plus de 30% des enfants scolarisés ne comprennent pas ce qu’ils lisent et 60 % ont un problème avec le calcul ». Les difficultés d’apprentissage et les mécanismes de rattrapage à la fin de chaque trimestre font que les élèves ont recours à des cours supplémentaires dispensés. Aux yeux des parents, ceci est perçu comme un mal nécessaire. Ainsi, le président de l’Atdde vient de décortiquer cette montagne d’obstacles qui a frappé de plein fouet l’opération d’apprentissage: «Avec un enseignant qui alterne un jour sur deux, les élèves les plus vulnérables ont subi les conséquences, de surcroît, avec les dernières rétentions de notes. Le conseil de classe opte généralement pour le passage de classe, ce qui fait qu’on avait plus de redoublements au bout de 3 années, avec des lacunes que l’élève traîne». D’une manière générale, le problème de gouvernance a créé une inadaptation, un système qui s’est détruit, impactant négativement le mécanisme de recrutements, la qualité des enseignants et la formation des formateurs. Les pressions des partenaires sociaux ont causé une diminution sur le temps de travail et les notes pédagogiques des élèves. Plus de 80% des enseignants ont atteint plus de 80% de leur mission pédagogique en classe, ce qui a causé une mauvaise décision stratégique de séparer l’enseignement professionnel et pédagogique.Du reste, M. Chérif relativise beaucoup l’impact négatif du secteur éducatif privé qui connaît, certes, une croissance exponentielle, mais peu significative, puisqu’il n’englobe que 3 % de l’ensemble des écoles de la République. «L’enseignement unique pour une population très diversifiée dont le contenu n’a pas été révisé depuis 20 ans a fait que le système éducatif demeure sclérosé», conclut-il sur une note décevante, insistant sur le besoin pressant des centres professionnels, afin de revoir tout le système dans le cadre des objectifs du plan sectoriel 2025 et 2030.