Par Amel Bouslama
L’exposition de Hichem Ben Ammar est le fruit d’un double processus méditatif mené autant en écriture qu’en peinture, le réalisateur de documentaires, qu’est Hichem Ben Ammar, ne fait pas de distinctions entre les voies artistiques qu’il emprunte. Comme en documentaire, ses haïkus captent des images sur le vif, tandis que ses peintures frétillantes traduisent des émotions sauvages. Cette volonté de décloisonnement apparaît de manière évidente, à l’occasion de la tenue de sa première exposition individuelle et la sortie de son quatrième recueil de poésie intitulé : HAÏKU, Bribes et Débris de la Mémoire (paru en 2023, chez Contraste éditions, Tunis). Le texte, qui se présente sous la forme d’un chapelet de plus de six cent quatre-vingt petits poèmes en trois vers, tisse un lien organique avec les peintures.
D’un côté il y a le texte qui se construit en respectant les règles du haïku et de l’autre, il y a le dessin au pinceau qui s’accomplit point par point. Il est étonnant de voir combien cette correspondance, entre la poésie et la peinture du réalisateur de documentaires, prolonge son expression sur différents supports ! On pourrait assimiler les touches fragmentées du pinceau au minimalisme des haïkus, qui ne dépassent pas les dix-sept syllabes. Il s’agit d’un travail de construction de nature très proche, où la touche et le mot découlent d’un même cheminement pour aboutir à un même objectif, à savoir la mise en lumière d’une conscience en quête de plénitude.Le furtif, le spontané, le gestuel, le brut, l’éphémère, principes appartenant originellement à la vision du monde de la civilisation extrême-orientale, se ressentent aussi bien dans les peintures que dans les courts poèmes qui débordent d’une énergie communicative. Dans les dessins parfois calligraphiques exécutés directement au pinceau, la forme du point domine. Elément de base du langage plastique, le point n’est que la trace concrète de la pression de la main sur le support. La touche exécute un mouvement, une petite danse qui finit en transe, comme celle du Derviche tourneur. Un rond noir plein apparaît avec parfois des éclaboussures d’encre autour et de fines stries laissées par les poils du pinceau-sismographe qui s’est vidé d’encre. La pression de la main, les éclaboussures, les stries témoignent de la rapidité de l’action, de son intensité ainsi que de la puissance du geste subversif, car il se découvre lui-même, à chaque instant.
De la réunion de tous les points et fragments, une masse emplit toute la surface du support ne laissant apparaître que quelques vides ou le blanc de l’acrylique. Entre monochromes et camaïeux de gris, contrastes et nuances, le mélange optique qui est déduit du blanc et du noir, offre un équilibre instable, d’où une vibration visuelle et une profondeur, un cinétisme permanent. Cette masse compacte grouillante, sans cesse en effervescence n’est pas le résultat d’une simple addition ou superposition d’éléments, elle est l’expression d’une recherche d’équilibre entre le clair et l’obscur, le plein et le vide, le yin et le yang, la rigueur et la souplesse, le concret et l’abstrait, l’inspiration et l’expiration, le flux et le reflux. Y a-t-il plus beau pour traduire le combat du vivant dans sa complexité ? Le tissage de touches dans les tableaux et la tresse de mots dans le recueil naissent au fur et à mesure, dans le for intérieur de l’artiste Hichem Ben Ammar, sans calcul et loin d’une volonté de plaire. Le tout est extériorisé parfois dans la colère et la rage, mais souvent dans la joie de la découverte et le plaisir de l’extase spirituelle.A la dimension texturale du visuel correspond toujours la dimension textuelle littéraire. Il est certain que la juxtaposition des deux langages qui se nourrissent l’un et l’autre dans un rapport de simultanéité finissent par créer indissociablement une unité, une atmosphère. L’adéquation entre la texture du texte et le texte de la texture des peintures de Hichem Ben Ammar s’est imposée à lui par l’exigence d’exprimer l’indicible et le désir de saisir l’insaisissable. Telle est la métaphore d’un éternel conflit entre les ambitions et l’humilité qui s’opposent au fond de chacun. L’expression plastique et poétique devient alors la voie du salut pour dissiper les maux de l’âme.
A.B.