Après le boxeur Younès Sdiri, place dans ce numéro à Nouri Hlila, une autre figure marquante du sport national qui n’est plus de ce monde. Dans un entretien qu’il nous avait accordé avant son départ, il évoque notamment la première accession de l’Union Sportive Monastirienne parmi l’élite, et un moment épique de l’histoire de la sélection, à savoir les confrontations de 1969 contre le Maroc aux éliminatoires de la coupe du monde. D’ailleurs, il garde jalousement la balle du match d’appui malheureusement conclu dans la nuit du 13 juin 1969 au Vélodrome de Marseille sur l’élimination de la Tunisie au tirage au sort.
Né le 7 juin 1944 à Monastir, Hlila signe en 1961 sa première licence avec les cadets de l’USM. Son premier match seniors, il le dispute en 1962 USM-EMM (4-2) en division 2, alors que le dernier est USM-ESS (0-1) en 1976. L’international usémiste a joué 198 matches en championnat pour 28 buts, et 6 en coupe. Avec l’équipe nationale, il a livré dix rencontres, dont deux officielles contre le Maroc en 1969.
Ce décorateur ébéniste est père de trois enfants.
Si Nouri, pour commencer, que vous reste-t-il encore de cette mythique confrontation
face au Maroc aux éliminatoires du Mondial «Mexico-1970» ?
Cette année-là, il a fallu recourir à un match d’appui pour départager la Tunisie et le Maroc, et ce, le 13 juin 1969 à Marseille. J’étais sur le banc des remplaçants. Pourtant, aussi bien au match aller à El Menzah (0-0) qu’au retour à Casa (0-0), j’ai été aligné. Le fait d’aller en sélection vous transporte au septième ciel. C’était une marque de reconnaissance, un peu comme être appelé sous les drapeaux pour défendre la patrie. Les confrontations tuniso-marocaines ressemblaient à une «telenovela». Deux années auparavant, les deux pays n’étaient pas parvenus non plus à se départager aux éliminatoires des Jeux olympiques de Mexico (0-0 à Tunis, 1-1 à Casa). Une légende avait alors vu le jour sur les filets troués qui ont privé la Tunisie de buts réguliers dans ces confrontations épiques. Nouveau nul, donc, au Vélodrome dans la «Belle».
En cas d’égalité parfaite après les matches aller et retour, le tirage au sort était en vigueur….
Le toss était donc devenu inévitable. Dans un premier temps, l’arbitre français Michel Kitabdjian appelle les deux capitaines Mohsen Habacha et Driss Bamous au rond central où il effectue le tirage au sort dans la confusion que je vous laisse imaginer. Il avait déjà officié la première manche, le 27 avril 1969 à El Menzah. Crispés, nous étions étendus sur le gazon du stade Vélodrome quand nous avons aperçu le référée français prendre la pièce de monnaie par terre, puis la retourner comme s’il voulait qualifier le Maroc. Une confusion s’ensuivit, le service d’ordre dut intervenir. Et Kitabdjian de demander aux deux capitaines et aux juges de le suivre dans les vestiaires où tout ce beau monde allait s’enfermer. Quelques instants plus tard, Habacha sortit des vestiaires, les larmes aux yeux. Nous avons de suite tout compris. Un rêve s’en allait. Adieu Mexico, Guadalajara, Puebla, Toluca, Monterrey et tutti quanti. Le hasard a voulu que ce soit la sélection chérifienne qui partira là-bas.
Mais cela ne s’arrêtera pas là pour vous, puisque le Maroc allait marquer votre carrière professionnelle…
Oui, j’y ai vécu un long moment. Le Maroc était devenu par la force des choses une seconde patrie pour moi. Je fais décorateur et ébéniste, et mes affaires me portent très souvent là-bas. La dernière fois, je m’y suis installé durant cinq ans d’affilée. J’ai d’ailleurs décoré le Palais royal au Maroc, le palais présidentiel de Skanès, le bureau de Bourguiba, le théâtre municipal…J’ai fait mes études au Centre d’ameublement à Monastir où les Danois nous ont beaucoup appris. Deux ans après, j’ai intégré Skanès Meubles en tant que contremaître avant de m’installer pour mon propre compte en mettant sur pied une entreprise de tapisserie. J’ai procédé à la décoration de plusieurs hôtels. Quand je n’ai rien à faire, j’invente de nouveaux motifs. C’est une passion comparable à celle du football.
Revenons à vos débuts. Comment étiez-vous venu au football ?
Le quartier constitue un passage obligé pour tout footballeur qui se respecte. Un jour, Ameur Hizem m’a vu disputer un match dans notre quartier. Visiblement, je lui ai plu puisqu’il me demanda d’aller signer au club de notre ville, l’USM. Mais il me fallait d’abord obtenir le feu vert de mon frère aîné. «Vous allez faire du chemin et apprendre beaucoup au sein du club, me souffla Si Ameur pour m’encourager. On vous offrira un équipement complet: des crampons, le maillot de l’USM, et serez encadré par beaucoup d’entraîneurs…».
Le message de Si Ameur vous a-t-il convaincu ?
Ah oui. J’ai de suite signé ma licence. En 1961, un an avant l’ouverture du stade Mustapha Ben Jannet, j’étais déjà à l’âge des cadets. L’année d’après, je débutais parmi les seniors à l’occasion d’un match de D2 contre El Makarem de Mahdia où j’ai réussi un doublé sur les quatre inscrits par notre équipe qui comprenait deux joueurs de la glorieuse équipe du FLN (Front de libération nationale) algérienne: Hamid Zouba et Mohamed Maouche. Je ne devais plus quitter l’USM durant seize bonnes saisons, dont onze passées en division nationale.
Et vos parents, quelle a été leur position ?
A vrai dire, je n’a pas connu mon père Mohamed que j’ai perdu alors que j’avais à peine un mois. Il était fellah. Ma mère Beya Chedly, cousine du Professeur Amor Chedly, l’ancien médecin particulier du président Bourguiba, a dû supporter toute seule la charge de notre famille composée d’un frère et de deux soeurs. Donc, il n’ y eut personne pour m’empêcher de pratiquer le foot. Au contraire, ma mère allait être la première dame monastirienne à aller au stade Ben Jannet assister aux rencontres de football. En accédant au stade, dans son sillage, elle permettait à plusieurs badauds d’accéder gratis à l’enceinte.
De qui se composait l’équipe dans laquelle vous avez évolué ?
Moncef Tabka, Mohsen Tabka, Fadhel Ghedira, Khemaies Chekir et son frère Ahmed, Mahfoudh Benzarti, Mohamed Jouirou, Said Trabelsi, Nouri Besbès, Hamadi Mkada, Ali Sekma, Hedi Merchaoui, Frej Ajina, Becheur….
Quel poste avez-vous occupé ?
J’étais ailier droit, ou inter. Je jouais des deux pieds et n’hésitais pas à frapper des 30 ou 40 mètres. Je savais aussi créer les occasions en faveur des joueurs de pointe. Mon meilleur atout était le sprint. On m’appréciait surtout pour ma pointe de vitesse. En sélection, au poste où je jouais, la concurrence battait le plein.
Quel est votre plus beau but ?
En 1965, contre l’Union Sportive Maghrébine dans un match-barrage. Ali Sekma adresse un long centrage. Je saute dans la mêlée et décoche de la tête un tir imparable semblable à un coup de marteau. Il y eut également un but que j’ai inscrit pratiquement du rond central, et de l’extérieur du pied, svp ! Mahfoudh Benzarti me sert, je n’hésite pas à tenter ma chance d’une distance aussi lointaine. Il ne s’agit pas d’un lob. Le gardien de l’AS Marsa, Ferjani Derouiche, n’y a vu que du feu. C’était en demi-finale de la coupe de Tunisie.
Quel a été votre plus beau souvenir ?
Avoir intégré les rangs de l’équipe de Tunisie alors qu’il y avait sur la scène les Tahar Aniba, Amor Madhi, Abdelmajid Ben Mrad, Slah Karoui, Youssef Zouaoui… qui pouvaient raisonnablement prétendre à ma place. C’est un immense honneur pour moi d’avoir été le deuxième Monastirien convoqué en sélection, après «El Moujahid» Mahfoudh Benzarti.
Et le plus mauvais ?
Indiscutablement, le cauchemar du Vélodrome de Marseille. Cela a été un vrai traumatisme d’autant plus qu’au match aller, à El Menzah, j’ai hérité d’une grosse occasion. Ma frappe s’est écrasée sur le poteau du gardien chérifien, Hamid Hazzaz. Vous savez, un demi-siècle plus tard, je conserve toujours le ballon du match d’appui Tunisie-Maroc. Au coup de sifflet final de Kitabdjian, j’ai couru du banc des remplaçants pour mettre la main sur le précieux sésame.
Citez-nous les noms des entraîneurs que vous avez connus ?
J’ai porté les couleurs usémistes de 1961 à 1976. J’ai été formé chez les jeunes par l’ancien défenseur de l’EST, Naceur Naouar, et par Mokhtar Ben Nacef qui exerçait alors au lycée de Monastir comme Prof d’éducation physique et sportive. Mes entraîneurs avec les seniors sont Ahmed Benfoul (1962-64), le Hongrois Ferenc Locsey (1964-66), Ameur Hizem (1967-68, et 1976-78), Mustapha Jouili (1968-70, et 1974-75), le Yougoslave Miodrag Djorgevic (1971-73), Hamadi Henia (1972-73), Ahmed Chekir (1973-74) et Kamel Benzarti (1975-76). En sélection nationale, j’ai connu Sereta Begovic qui m’a convoqué pour la première fois, Radojica Radocijic qui me rappelle en 1970 pour mes deux dernières capes en 1970 contre la Libye: (2-2) à Benghazi, et défaite (3-2) à Tripoli. J’ai inscrit un but dans ce dernier match. Mais durant cette tournée libyenne en sélection, je me rappelle avoir vécu la frayeur de ma vie.
Comment cela ?
A Benghazi, alors que l’avion allait décoller pour Tripoli où nous allions disputer un second match amical, le réacteur a pris feu, semant la panique chez les passagers. Je me rappelle qu’un bonhomme, qui ne doit pas être Libyen en raison de son accent vint me chercher dans le cargo en criant: «Descendez vite, descendez Monsieur. Il y a le feu !». Je ne sais plus comment j’ai réussi un saut périlleux pour me retrouver à même le tarmac, contractant au passage une blessure au genou. Ensuite, j’ai couru à perdre haleine, les pieds nus sur le tarmac. En revanche, le membre fédéral Ameur Gargouri, qui vient du Sfax Railways Sport, était si gros qu’il n’a pas pu réagir de suite. Il était resté cloué à son siège, et dut être sauvé par miracle. Une fois réparé, cet appareil devait nous ramener dans la capitale libyenne. Toutefois, choqué, notre entraîneur Ben Nacef a refusé de prendre cet avion, préférant endurer la fatigue de toute une journée qu’il a passée dans une voiture-louage pour faire le trajet qui est tout à la fois long et pénible.
Durant votre longue carrière, avez-vous contracté une grave blessure ?
Juste après le stage de préparation des Jeux méditerranéens Tunis-1967 effectué à Tatabanya, en Hongrie, j’ai été blessé à la clavicule. Du coup, j’ai été privé de la grande fête que la Tunisie se préparait à offrir aux yeux des sportifs du monde entier. Pourtant, lors du stage de Hongrie, j’ai été aligné au cours des matches de préparation.
Quelle a été votre meilleure saison ?
En 1971-72, j’ai inscrit sept buts en championnat, terminant au 7e rang du classement des buteurs. Ce tableau a été remporté par l’avant-centre du Club Africain, Moncef Khouini (12 réalisations).
Avez-vous reçu des offres pour aller jouer ailleurs ?
En 1966, un journaliste espagnol annonce à notre entraîneur, le Hongrois Ferenc Locsey, qu’il veut porter le numéro sept de l’USM dans son pays pour un test avec un club.
Seulement, les règlements de l’époque interdisaient aux joueurs de l’équipe nationale d’aller jouer ailleurs. Nous étions tellement intéressés par cette offre que nous avons décidé de partir. Du reste, l’arbitre Tahar Ouakaâ, qui travaillait au port de La Goulette, m’a demandé de présenter l’autorisation de la fédération pour valider la sortie du territoire.
Et j’ai dû aller en catastrophe à La Marsa, au domicile du président de la fédération, Beji Mestiri, pour obtenir le document. Une fois à Marseille, nous avons effectué la traversée des Pyrenées à bord de la 404 toute neuve de mon entraîneur, Locsey. Nous avons trouvé le journaliste en question à Valence, en Espagne.
J’ai effectué des tests au stade Mestalla avec Valence. Ensuite, je suis parti pour un test avec l’Atletico Madrid, et avec l’Espagnol Barcelone.
Au bout de six mois, je suis rentré. Le mal du pays et la difficulté de m’adapter à un football aussi rude et exigeant m’ont décidé à rentrer. Et puis, je ne pouvais pas abandonner ma mère, restée toute seule au pays.
Avec l’USM, vous avez longtemps galéré en deuxième division. Y a -t-il une grande différence avec la première division ?
Dans la majorité des stades, en ce temps-là, il n’ y avait pas de gradins, et le public se tenait à un mètre à peine de la ligne de touche. Que ce soit à Gafsa, Metlaoui, Djerba ou Gabès, on devait affronter de véritables batailles. Une fois, je me rappelle que les supporters locaux m’ont attrapé, puis tenté de me balancer dans un grand bassin d’eau.
Parfois, dans les déplacements, on ne pouvait pas dormir dans un hôtel parce que les supporters locaux faisaient la fête tout à côté à coup de zokra et de tabla. Une fois, alors que nous effectuions le déplacement de nuit à bord d’un minibus, celui-ci a dû être tiré par un trax pour nous permettre de traverser un oued.
Toutefois, ma plus grande peur, je l’ai vécue lors d’un stage dans un hôtel à Gafsa. Alors que je dormais dans ma chambre avec ma femme, nous avons entendu le tintamarre provoqué par quelqu’un qui tentait de défoncer la porte, je crois à coups de pieds rageurs.
Paniquée, mon épouse s’est mise à pleurer et crier. Tout de suite, ma première réaction a été de placer une table pour barrer l’accès à ma chambre. Ensuite, j’ai frappé de toutes mes forces contre le mur afin d’ameuter mon voisin, mon coéquipier Mustapha Jouili qui était arrivé en catastrophe pour me porter secours. Quel soulagement !
Au terme de la saison 1967-68, l’USM a terminé dernier, mais a néanmoins assuré son maintien en division nationale (actuelle Ligue 1). Si vous racontiez à nos lecteurs cet épisode cocasse…
Il arrive rarement de voir quatre clubs terminant ex aequo à la dernière place (41 points): Club Athlétique Bizertin,Club Sportif d’Hammam-Lif, Union Sportive Monastirienne et Union Sportive Maghrébine. Très proche du président Habib Bourguiba, Sadok Boussoffara, qui est en même temps président du CSHL et maire de la ville d’Hammam-Lif, va voir le président de la République. Il lui dit que, dans un tel cas de figure, et selon les dispositions réglementaires, ce sont le CSHL et le CAB qui doivent être relégués. De ce fait, la ville de l’Evacuation allait perdre sa place parmi l’élite.
Bourguiba décida alors qu’à titre exceptionnel, il n’ y aura pas relégation cette année-là. Avec l’accession du Stade Sportif Sfaxien et du Club Sportif des Cheminots, la D1 passe de 12 à 14 clubs.
A votre avis, quel est le meilleur footballeur tunisien de tous les temps ?
Noureddine Diwa et Tahar Chaïbi sont inégalables. Ils émergent du lot.
En quoi le football a-t-il changé ?
L’argent a tout faussé. L’USM nous faisait bénéficier d’une prime de 5 dinars lorsqu’il nous arrivait de battre un gros morceau (ESS, CA, EST, CSS), avec en supplément un diner à l’Esplanade. En équipe nationale, on nous remettait un montant de 20 dinars comme argent de poche. Rien à voir avec les joueurs milliardaires d’aujourd’hui qui bousillent leur santé avec la chicha, et font la fête la nuit en sortant par la fenêtre de leur chambre d’hôtel. Comme des voleurs….
Parlez-nous de votre famille….
En 2000, j’ai divorcé de Noura que j’avais épousée en 1972. Nous avons trois filles, toutes employées dans des compagnies aériennes: Sonia, Sondos et Lilia.
Enfin, quels sont vos hobbies ?
Une petite balade au bord de la mer, un footing quotidien, le foot européen à la télé, mon club préféré étant le Real. Comme vous voyez, des plaisirs très simples. Par ailleurs, je consacre beaucoup de temps au développement des modèles de salon, de décoration des rideaux pour de jeunes mariés. En véritable «pro», je continue de fréquenter les foires internationales. Cette passion est toujours vive chez moi.