Accueil Economie Supplément Economique Pourquoi la Croissance ne décolle pas ? | Fatma Marrakchi, Directrice du Laboratoire d’Intégration Économique Internationale à La Presse : “L’Etat doit réguler… Et réguler n’est pas produire”

Pourquoi la Croissance ne décolle pas ? | Fatma Marrakchi, Directrice du Laboratoire d’Intégration Économique Internationale à La Presse : “L’Etat doit réguler… Et réguler n’est pas produire”

 

Véritable baromètre de la santé économique, la croissance est le mot clé qui émaille les débats économiques et auquel se réfèrent les économistes pour indiquer une bonne ou une contre-performance de l’économie sur une période donnée. La croissance est aussi la bataille que tout gouvernement aspire à gagner, puisqu’elle est présentée comme étant la solution miracle aux maux de l’économie. La Tunisie, n’échappant pas à cette règle, souffre, depuis plusieurs années, d’une croissance molle incapable de résorber le chômage. D’ailleurs les économistes expliquent que les difficultés financières auxquelles est confronté le pays trouvent leur origine dans cette croissance faible ayant caractérisé la décennie qui a suivi la révolution de 2011. Au-delà des facteurs conjoncturels, le problème est, de fait, structurel. Pr Fatma Marrakchi souligne, à cet égard, que l’essoufflement de la croissance commençait à se manifester, bien avant la révolution. Dans cet entretien, elle décortique les phénomènes qui ont conduit à ce marasme économique et propose des pistes de solutions pouvant rallumer les moteurs de la croissance en Tunisie.

La crise Covid a constitué un choc sans précédent pour l’économie tunisienne. Alors que 2021 a signé la reprise économique dans plusieurs pays à travers le monde, y compris des pays voisins, les économistes ont estimé que la Tunisie a raté sa reprise technique. A quoi est dû ce cafouillage?

Effectivement, tous les pays du monde ont connu une régression au niveau de leur taux de croissance pour l’année 2020, à des degrés différents, bien sûr. Mais ce n’est pas ce qu’on a perdu qui est le plus important c’est plutôt ce que j’appelle le taux de rebond qu’il faut regarder. Comment je peux savoir si le taux de rebond était suffisant ou pas ? C’est en faisant une comparaison avec des pays qui sont similaires ou bien les pays qui sont partenaires à l’échange. Par exemple, un pays comme les Etats-Unis a rebondi à plus de 100% l’année d’après, donc il a pu récupérer ce qu’il a perdu en termes de croissance lors de la crise Covid. Pour les pays voisins tels que le Maroc ou l’Algérie, les taux de rebond étaient respectivement de 90% et 70% —pourtant l’Algérie est un mono exportateur de pétrole et n’avait pas la diversification nécessaire—. La Tunisie n’a récupéré que le tiers de ce qu’elle a perdu, c’est-à-dire un taux de rebond de 30%. C’est le taux de rebond parmi les plus faibles au monde. En quoi réside, alors, le problème? A mon avis, le problème c’est qu’on a commencé à grignoter les deux facteurs de production, à savoir le capital et le travail, et ce, vers je crois l’année 2008, depuis la crise des Subprimes, bien avant la révolution. A l’époque, on disait que le Tunisie n’a pas été touchée par la crise des Subprimes, mais réellement, elle l’était. Il est vrai que nous n’avons pas un compte capital qui est ouvert par rapport à l’international, c’est-à-dire que l’importation et l’exportation des capitaux ne sont pas totalement libres, surtout à la sortie, c’est ce qui explique la première hypothèse, sauf que la crise de 2008 nous a réellement affectés parce que nos partenaires ont été touchés par la crise, notamment l’Europe. A partir de ce moment-là, nous avons commencé à perdre en termes de croissance et en termes aussi de croissance potentielle. Car on ne s’est pas rétabli de la crise, puisque le secteur des exportations des biens mais aussi celui du tourisme dépendent du marché européen et que les Européens ont vu leurs revenus baisser (parce qu’ils ont perdu leur travail ou ils ont vu leurs salaires diminuer, ou pour toutes autres raisons). Et donc, à partir de 2008, on a commencé à perdre un peu du terrain au niveau des taux de croissance, et cela a continué après la révolution en 2011, avec l’arrêt de la production du phosphate. La Tunisie a cessé également d’être un pays exportateur de produits pétroliers et est devenue de plus en plus dépendante des importations des produits pétroliers. Tout cela a affecté très fortement notre niveau de croissance. Et surtout, les deux facteurs de production, qui sont l’investissement qui est l’accroissement du capital et la main-d’œuvre. Qu’est-ce qu’on a vu depuis? On a vu se développer deux phénomènes qui sont très importants. En regardant un peu le budget qui a été construit, au cours de ces dernières années, on trouve que l’investissement public ne dépasse pas les 5 milliards. On est vraiment en deçà de nos potentialités par rapport à l’investissement public. Et c’est l’investissement public qui attire l’investissement privé. C’est un gros moteur de croissance pour la Tunisie. On a commencé à couper dans le budget de l’investissement public, parce que nous avons déjà des problèmes de financement. Et même les 5 milliards que nous avons budgétisés, on a du mal à les mettre en application. Donc, si on a de moins en moins de capital, on fait de moins en moins de croissance, c’est normal. Aussi, il y a le phénomène de la migration des compétences nationales. On a de plus en plus d’ingénieurs, de médecins, de paramédicaux, etc. qui partent. Presque tous les corps sont touchés par l’immigration. Et, bien sûr, ceux qui partent sont les meilleurs je pense, puisqu’ils sont très compétitifs à l’échelle internationale. Si vous perdez en facteur capital et en facteur travail, qui sont des facteurs très importants pour la croissance, eh bien vous avez une croissance qui n’arrive pas à aller au-delà d’un certain taux. C’est l’impact direct que je vois. Mais, réellement, il y a aussi d’autres facteurs. Si l’investissement public et privé local font défaut, on peut compenser cela par l’investissement direct étranger, or on n’arrive pas à drainer l’investissement direct étranger. Pourquoi? Parce que tout simplement on n’est pas très attractif, du point de vue du climat des affaires par exemple. Déjà les investisseurs privés locaux n’investissent plus autant qu’auparavant, que dire des investissements étrangers qui rencontrent beaucoup de problèmes en termes d’implantation, d’évolution, d’accès au marché et de disponibilité de main-d’œuvre compétente. Il y a aussi le fonctionnement de l’administration qui est très lente et lourde. Ce sont tous des facteurs qui leur posent problème et c’est ce qui fait que les investisseurs ne viennent pas. N’oublions pas que nous sommes, également, en train de perdre en termes d’environnement macroéconomique: nous avons un déficit budgétaire important, un déficit courant important… Ce sont des fondamentaux qui n’attirent pas l’investissement direct étranger. Tous ces phénomènes-là font qu’on perd en croissance et on perd même en croissance potentielle, et c’est un véritable problème aujourd’hui.

Vous avez souligné que les problèmes dont souffre l’économie tunisienne commençaient déjà à se manifester à partir de 2008 et se sont accentués après la révolution. On sait aussi que la baisse de l’activité touristique et minière a impacté la performance de l’économie après 2011. Pensez-vous qu’il aurait été judicieux de procéder, à cette époque-là, à un changement du modèle économique afin de ramener l’économie sur une trajectoire de croissance vigoureuse ?

En fait, j’ai une idée sur le modèle économique bien que je n’aime pas beaucoup cette appellation. Aujourd’hui tout le monde parle de déficit budgétaire important, d’endettement très important, de déficit courant… je pense que ces problèmes-là ne sont qu’une partie apparente de l’iceberg. Revenons au modèle de développement. Depuis les années 70, on n’arrive pas vraiment à être innovant dans notre modèle de développement. D’abord, notre économie est très ouverte par rapport à l’extérieur. Ceci est vrai pour le volet commercial: on importe et on exporte beaucoup. C’est aussi vrai pour le volet des services. Mais à l’intérieur de notre économie, nous restons quand même une économie fermée. C’est-à-dire que dans les divers secteurs il y a des barrières à l’entrée pour les nouveaux entrants et il y a aussi des barrières à la croissance pour la majorité des entreprises. Prenons l’exemple de n’importe quel secteur : dattes, tomates, huile d’olive… Dans tous ces secteurs-là, il y a des entreprises qui sont déjà bien établies et qui empêchent les autres d’entrer dans ce secteur-là. Ces entreprises ont même un pouvoir de régulation au niveau du secteur. Elles interviennent même au niveau des lois à mettre en place. Et elles mettent des barrières à l’entrée pour que d’autres ne puissent pas accéder à ce secteur. La conséquence de ces barrières à l’entrée se traduit au niveau du marché, au niveau de notre vie au quotidien : les prix sont élevés pour les ménages et pour les entreprises.

Donc, il n’y a pas de concurrence en fin de compte. S’il y a deux ou trois entreprises qui opèrent dans un secteur particulier, elles peuvent s’entendre sur les prix par exemple. Et lorsqu’il n’y a pas de concurrence sur le même marché, il va y avoir une faible création d’emplois et avec cette faible création d’emploi, le salarié aujourd’hui ne négocie pas son salaire. Les salaires nominaux d’une manière générale sont faibles. Comment l’Etat a agi vis-à-vis de cette situation problématique où les prix sont élevés et les salaires faibles? Pour pallier aux prix élevés du transport, de l’énergie, du lait, du pain… l’Etat a commencé à subventionner. Il a subventionné l’énergie pour les entreprises et les produits alimentaires pour les ménages, c’est sa réponse à ce modèle de développement —si on veut— basé sur des salaires nominaux faibles et sur une main-d’œuvre qui n’est pas très qualifiée. De plus, l’Etat a confié tout un pan de services aux entreprises publiques. Et ces entreprises publiques ainsi que l’administration ont commencé à recruter massivement, puisque les entreprises privées n’arrivent pas à recruter beaucoup de monde étant donné l’absence de concurrence sur le marché. C’est la raison pour laquelle que nous avons aujourd’hui une administration pléthorique. N’oublions pas les transferts sociaux effectués par l’Etat au profit des familles nécessiteuses. De l’autre côté, nous avons des recettes fiscales qui sont faibles, car nous avons, entre autres, décidé de mettre en place un régime fiscal tel que le régime forfaitaire pour permettre aux gens de bénéficier d’un plus fort pouvoir d’achat. Tout ce que je viens de dire, sur la subvention, la tarification des entreprises publiques, les emplois publics surdimensionnés, les transferts sociaux, la fiscalité qui n’est pas très juste envers tous les citoyens et toutes les entreprises… Tout cela a généré une crise de finances publiques que nous sommes, aujourd’hui, en train de vivre. Donc, le problème originel n’est pas les finances publiques qui sont dans un état compliqué et difficile. Elles ne sont que la conséquence d’un modèle de développement qui ne permet pas aux différentes entreprises d’entrer sur le marché, et d’opérer dans un environnement de concurrence. Toutes ces autorisations qu’on demande aux entrepreneurs pour qu’ils puissent opérer dans un secteur donné ne servent à rien aujourd’hui. J’appelle donc tout simplement à libérer les énergies des gens pour qu’ils puissent travailler. Les entreprises publiques ne peuvent pas produire dans tous les secteurs. Il faut ouvrir les horizons au secteur privé et quand je dis secteur privé ce n’est pas uniquement les entreprises qui sont établies mais aussi celles qui veulent entrer dans le secteur privé pour opérer. Prenons l’exemple des banques. Nous avons 22 banques et quand on se rend à une banque et on sollicite un service les commissions retenues sont exorbitantes. Ceci s’explique par l’absence de concurrence parce qu’elles s’entendent entre elles. A mon sens, tout cela est à revoir. C’est ce que j’appelle un modèle de développement qui ne tient plus la route et qui n’est plus conforme à l’évolution dans le monde d’une manière générale. On ne peut plus continuer à fonctionner ainsi et l’Etat ne peut pas produire dans tous les secteurs, et ne peut pas avoir un œil sur tous les secteurs. Bien sûr, l’Etat doit réguler. Et réguler n’est pas produire.

Les lois de finances qui ont été élaborées après 2011 n’ont pas réussi à favoriser la stimulation de la croissance (par exemple en favorisant une politique de l’offre) ?

Je suis en train de suivre les lois de finances depuis un certain nombre d’années. Les lois de finances ne font que saupoudrer des avantages sur les secteurs et sur les entreprises. Elles permettent de créer un certain espace fiscal que le ministère des Finances essaie un peu de répartir sur tout le monde, parce que lors des réunions qui se tiennent avec les représentants des divers secteurs, chacun revendique des incitations au profit de son secteur. C’est peut-être leur rôle mais c’est aussi à l’Etat de trancher. L’Etat n’arrive pas à trancher, et ce, pour deux raisons. Premièrement, l’Etat ne sait pas quels sont les secteurs qui sont à développer. On a du mal à cibler certains secteurs. Moi, je pense qu’on ne peut pas travailler sur tous les fronts. D’où l’importance de ce que j’appelle la vision : Est-ce que l’Etat a une vision de ce qu’il faut faire aujourd’hui? On peut dire par exemple, que nous avons des avantages dans certains secteurs autant y aller et mettre le paquet sur certains secteurs dont les énergies renouvelables. Par exemple aujourd’hui nous avons un problème grave, au niveau de l’énergie. La balance commerciale est à majorité déficitaire par le biais du secteur énergétique. La logique dit que nous devons développer les énergies renouvelables et augmenter leurs taux dans le mix énergétique. Alors qu’on prévoit atteindre une part de 30%, le taux est toujours figé à 3%. Ce qui est très faible. Et ce qui est encore pire c’est qu’on n’arrive pas à faire bouger ces 3%. Il y a eu dernièrement le déblocage d’un projet de capacité de 100 mégawatts à Sidi Bouzid, c’est bien. Mais on s’attend à ce que les autres 400 mégawatts soient libérés tout de suite.

C’est toujours le problème de l’administration et la lourdeur administrative qui revient. Pourquoi ces 400 mégawatts ne sont pas opérationnels? Parce que tout simplement l’administration est très lourde et les lois sont très complexes à appliquer. On a, aussi, un problème en matière d’autosuffisance alimentaire pour tout ce qui est blé par exemple. Aujourd’hui, étant donné la chétive récolte, on devrait importer presque 100% de nos besoins en blé dur et tendre. Les superficies dédiées aux céréales sont en baisse parce que les agriculteurs ne sont pas encouragés, et que le prix que paie l’Office des céréales aujourd’hui est inférieur au prix international. Il faut aller directement vers l’agriculteur et l’encourager à produire. Il y a toute cette structure de subventions du blé —dont l’Office des céréales— qui est fortement déficitaire… Elle est à démanteler. Il ne sert à rien de mettre en place des contrôles partout parce qu’on n’arrivera pas à tout contrôler de toute façon. Il faut démanteler toute cette structure combinée de subventions sur toute la chaîne de production.. C’est à mettre à plat, et ce, pour pouvoir donner de l’aide directement à l’agriculteur et non pas passer par les différents transformateurs qui sont tout simplement des sous-traitants chez l’Etat. A chaque fois où il y a une augmentation du coût de la production ils n’hésitent pas à revendiquer, à leur tour, des augmentations des subventions et l’Etat subit. Car il ne s’agit pas d’entrepreneurs à proprement parler. Ce sont des sous-traitants chez l’Etat. C’est parce que le système en lui-même est fortement sclérosé et il est tellement compliqué et complexe que même si on mettait des gens partout pour surveiller et contrôler, eh bien, on n’y arrivera pas parce que le système est poreux et il y a des fuites partout.

Etant donné la concurrence qui ne cesse de s’intensifier entre les pays, compte tenu de la montée du protectionnisme mais aussi des guerres commerciales qui sont de plus en plus récurrentes, est-ce que la Tunisie peut se réinventer, dans ce contexte géopolitique actuel, et réussir à créer les richesses en améliorant son positionnement dans les chaînes de valeur mondiales ?

Contrairement aux années 90 où il y a eu un commerce international basé sur une nouvelle division internationale du travail qui est l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales, la mondialisation a été, aujourd’hui, remise en cause par la crise Covid. En fait, la crise nous a montré la limite de la production et de l’insertion dans les chaînes de valeur mondiale parce que les frontières ne sont pas aussi ouvertes qu’on le pensait. Même si les pays n’ont pas l’intention de se protéger —aujourd’hui, cette intention est manifeste— la crise Covid nous a montré qu’en fait le monde n’est pas un monde de libre-échange parce qu’on peut avoir des facteurs exogènes qui nous empêchent d’avoir un monde où il y a le libre-échange. Par exemple, aujourd’hui, la littérature développée par l’Ocde parle de nearshoring. En effet, pour diversifier un peu les sources d’approvisionnement et pour ne pas tomber en panne d’approvisionnement, on parle de plus en plus de nearshoring, c’est-à-dire le rapprochement des sources d’approvisionnement.

On parle même de friend shoring, c’est-à-dire acheter chez nos amis qui ne nous laisseront pas tomber. Et ce changement n’est pas une mauvaise chose pour la Tunisie, dans la mesure où l’Europe et les Etats-Unis vont se détourner peu à peu de la Chine qui est l’usine du monde. Nous devrions nous positionner par rapport à cette nouvelle donne. Justement, s’il y a des incitations à instaurer dans le cadre des lois de finances, elles doivent être au profit des secteurs qui ont du potentiel et qui peuvent fournir l’Europe qui est notre voisin. Et donc, on ne parle plus de mondialisation des chaînes de valeur mais de régionalisation des chaînes de valeur. Pour tout problème qui est vécu par le monde, nous devons le prendre comme un défi à transformer en un point positif. Si nous avons la possibilité d’arracher des entreprises, qui peuvent être délocalisées de l’Asie vers la Tunisie, c’est tant mieux. Il n’y a qu’à voir l’industrie pharmaceutique, par exemple, les secteurs qui font partie des énergies renouvelables, l’huile d’olive… Ce sont des exemples de secteurs sur lesquels on peut miser. La Tunisie doit profiter de cette régionalisation des chaînes de valeurs pour se rapprocher plus de son partenaire le plus ancien et le plus traditionnel et aussi regarder un peu du côté de l’Afrique. Mais ça c’est un autre dossier. Déjà, le Maroc a pris une longueur d’avance sur le marché d’Afrique en se dotant d’une banque opérationnelle sur toute l’Afrique mais aussi en disposant de dessertes aériennes vers les pays africains. Ce n’est pas le cas pour la Tunisie et peut-être ce sont des éléments sur lesquels on devrait travailler. Mais il y a aussi un deuxième sujet sur lequel je devais insister, c’est la décarbonation. En 2024, le monde va être de plus en plus décarboné. Et donc, si nous voulons toujours exporter nos produits sans être taxés, il faut travailler sur cela. L’Europe procédera à la taxation des produits importés de la Chine qui sont déjà à forte empreinte carbone. De par sa proximité avec l’Europe, les produits exportés en provenance de la Tunisie vers l’Europe ont une empreinte carbone plus faible et cela devrait constituer une opportunité. La décarbonatation est une opportunité parce qu’elle va permettre de nous rendre plus compétitifs que la Chine. Donc, en somme, deux opportunités s’offrent à la Tunisie : la régionalisation des chaînes de valeur mondiales. La Tunisie, pour en profiter, doit cibler quels sont les secteurs les plus importants et quels sont les demandeurs des produits tunisiens. Et deuxièmement, la décarbonatation qui est aussi une opportunité à saisir, et ce, dans l’objectif d’être plus compétitif que des pays qui n’arrivent pas à décarboner.

Par quels moyens est-il possible de rallumer les moteurs de la croissance en Tunisie ?

Pour moi, l’investissement public reste un déterminant essentiel de l’investissement privé qui est un moteur indéniable de la croissance. Or, nous savons que nous avons des déficits de financement au niveau du budget de l’Etat. Pour dégager un petit espace fiscal, il faut réallouer les ressources budgétaires. Cela peut ne pas ouvrir une manne importante de financement mais au moins la réallocation des ressources budgétaires va permettre à l’Etat d’être plus efficace. Par exemple, pour les salaires —qui constituent un stock et non pas un flux—, le fait de penser à une mobilité à l’intérieur de l’administration va rendre nécessairement l’administration plus efficace, et nous permettra peut-être de dégager un petit espace fiscal. On peut agir au niveau de la subvention aussi: On sait aujourd’hui que si on réussit la transition vers les renouvelables, cette subvention énergétique va diminuer nécessairement. Pour les produits alimentaires et particulièrement le blé, on peut procéder à de petites augmentations du prix du blé et de ses dérivés, tels que le pain, le couscous, etc., D’années en années grâce à ces petites augmentations on peut atteindre la réalité des prix, toutes les fuites vont disparaître, parce qu’en fait la fuite c’est un arbitrage à faire, et c’est une opportunité de gain qui se dégage. Pour les entreprises publiques aussi.

En gardant les entreprises publiques qui ne sont pas assainies et où les conseils d’administration ne sont pas suffisamment professionnalisés, ces entreprises vont rester déficitaires et peut-être que les déficits vont s’aggraver. Il n’y a qu’à voir l’Office des céréales, l’Office du Commerce, la Stir, la Steg… Ce changement va nous donner un petit espace fiscal pour augmenter l’investissement public. Autre chose, les investissements verts. Peut-être que les institutions internationales, d’une manière générale, et les investisseurs étrangers sont très intéressés par les projets verts. Il faut donc développer tout ce qui est écologique. En optant pour les projets écologiques, on peut avoir beaucoup de financements étrangers. C’est aussi important.

Et pour moi, le principal frein aujourd’hui à la croissance c’est ce système archaïque avec lequel l’administration travaille, le fait que tout doit passer par l’administration, ces délais qui sont hyper longs… Il y a aussi le port de Radès qui demeure un frein très important (les exportations passent à 80% par le port de Radès). Il demeure un goulot d’étranglement qu’il faut assainir et réformer. Il faut choisir ces priorités-là pour qu’on puisse libérer les énergies et pour que les gens puissent travailler. Et enfin il y a la stabilité qui est importante. La stabilité politique, et la confiance. Il ne faut pas que les lois changent du jour au lendemain. La stabilité et la visibilité sont très importantes pour l’investisseur. L’investissement reste toujours le principal moteur de la croissance.

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